Malaise dans l’Église

À bien des égards, le pontificat du pape François sème le trouble et la confusion, voire la colère parmi les croyants. Un juste travail de discernement invite à faire confiance à l’Eglise éternelle épouse du Christ, dépassant largement les péchés de ses fils, et les erreurs de ses papes

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Attention : certains passages pourraient heurter la sensibilité de nos lecteurs. Cher lecteur, si le pape François dynamise votre foi, s’il vous donne envie d’évangéliser, de changer, de vous sanctifier et de chanter l’amour de Dieu, alors surtout, ne lisez pas les lignes qui suivent. Gardez votre joie. Et priez pour ceux qui pleurent.

 

            Mais si, comme moi et comme beaucoup d’autres, ce pontificat vous donne du chagrin, alors il est temps de le décrire, en remontant aux faits qui l’inspirent afin d’en dessiner les limites et de comprendre en quoi il est justifié. Car, paradoxalement si le lexique de la joie (« gaudete », « Laetitia ») et de la louange (« Laudato ») est omniprésent dans les textes du pape François et dans leurs titres, l’impression qu’il produit et qui s’impose de plus en plus nettement tiendrait plutôt de l’affliction. Plus exactement, une gêne qui se colore de plusieurs nuances : malaise, division, trouble, défiance et colère.

 

            N’est-ce pas pécher contre l’Esprit ? À quoi sert-il de détailler ce ressentiment ? D’abord, cela servira à montrer qu’il ne procède pas d’une humeur chagrine, d’un intégrisme latent ou d’un refus devant l’autorité - reproches qui nous sont adressés par certains partisans inconditionnels du pape François. En sens inverse, en retournant aux faits objectifs, on dessinera les limites du problème, et donc on pourra déjouer la tentation sédévacantiste sans être suspect de bergogliolâtrie.

 

            Peut-être aussi que les figures de Jean-Paul II et de Benoit XVI nous ont trop habitués à une grâce qui n’a rien de systématique : celle d’avoir un pape visiblement mystique, humainement admirable, intellectuellement profond. Or ce ne sera pas la première fois que les turpitudes des passions et de la politique troublent la fonction pétrinienne. On se souviendra des trafiques d’indulgences, des papes Borgia, d’Alexandre VI condamnant Savonarole au bûcher, ce dominicain qui prêchait la sobriété au cœur de Florence. Songeons à Pie IX prônant le « Ralliement » des catholiques français à la République née dans le sang de la Terreur, à Pie XI condamnant l’Action Française et, au Mexique, s’arrangeant avec le président Calles[i] au prix d’une trahison des Cristeros, etc. On n’est trahi que par les siens et, comme disait saint Augustin la trahison des meilleurs est la pire des trahisons : la plus douloureuse. C’est la déréliction  de Socrate face aux juges de la démocratie athénienne, celle de Jeanne face à l’évêque Cauchon, par-dessus tout, celle du Christ devant le Sanhédrin. Alors, relativisons : on est loin de cela. Restent le malaise, la division, le trouble et la défiance.

 

Malaise

 

            Malaise : ce qu’inspirent les positions de François sur l’immigration, pour l’accueil des clandestins sans papiers, sa condamnation des États souverainistes, de Salvini, Orban etc. Préfère-t-il donc les mondialistes qui favorisent la submersion migratoire, l’avortement et les droits homosexuels ? Tout sourire avec Obama. Grimace avec Trump. Agacement : le Magistère désormais condamne la peine de mort et, par là même, la doctrine de saint Thomas d’Aquin, des lois de l’Ancien Testament ainsi que les coutumes de nombreux pays catholiques. Énervement : lorsqu’en avril 2016, il ramène de Lesbos, douze migrants illégaux en utilisant son avion officiel et à la barbe de l’État italien. L’agacement vire à l’exaspération quand on apprend que tous ces migrants syriens sont musulmans, que le pape n’aura sauvé aucun des chrétiens d’Orient martyrisés par ces mêmes musulmans, et qui attendaient dans les camps, aux côtés de leurs bourreaux.  Consternation : pourquoi faut-il qu’il se prête à ce jeu risqué des interviews dans l’avion ? Désagréable impression que notre pape se sent plus proche des journalistes gauchistes à qui il se confie qu’aux chrétiens à qui il reproche un comportement « mesquin »[ii] et qui défendent une « doctrine froide et sans vie »[iii].

 

Un agaçant conformisme écologiste

 

            Pour ceux qui ne sont que modérément admirateurs de Greta Thunberg, du GIEC (IPCC) et d’Obama, Laudato si fut la première alerte. Mais en fait le texte est surtout ambigu. Le chapitre intitulé « Conversion écologique » paraît choquant : il n’est de conversion qu’au Christ. Mais le texte montre que l’attention écologique est un développement de la rencontre avec le Christ.

Même le chapitre « le climat comme bien commun » reste flou : « il existe un consensus scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un réchauffement préoccupant du système climatique ». Le réchauffement n’est pas un consensus théorique : c’est un fait objectif. Le « consensus » qu’invoquent les écologistes porterait plutôt sur la thèse, en fait discutée, de l’implication humaine dans ce réchauffement. C’est justement là que le doute est possible bien qu’il ne soit pas médiatiquement autorisé[iv].  Ici donc le magistère se fait le serviteur docile de la pensée unique. Plus loin l’encyclique précise que « de nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement (…) est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (…) émis surtout à cause de l’activité humaine ». Je souligne tout ce qui montre le flou où cette encyclique place les catholiques. L’Église n’avait-elle pas appris à se tenir à bonne distance des débats scientifiques ?  Il y a « consensus ». Il y en avait autour du géocentrisme. Il y en a sur l’implication humaine ?  Dans quelle proportion nos GES contribuent-ils au réchauffement ? 2 % ?  20 % ? 70 % ? Quel dommage qu’ici un élément du magistère introduise dans la doctrine catholique le discours du GIEC, des médias, des Obama, Macron etc. qui conduisent l’ONU à recommander d’avoir « un enfant de moins ». Que désigne ce consensus, sinon le fait que « l’urgence climatique », à l’image de tous nos « états d’urgence » autorise le pouvoir à interdire le débat ? Liberté politique a abondamment relayé les doutes qu’il est permis d’avoir sur ce rouleau compresseur médiatique. Autre raison de douter : à cause du Covid, le rêve de Greta s’est réalisé : en 2020, l’économie mondiale s’est arrêtée, nos émissions de GES ont baissé près de 20 %. Ignorant cette information capitale, le taux de CO2 a bizarrement continué d’augmenter cette année.             Ajoutons enfin que cette encyclique semble avoir été inspirée par Leonardo Boff, un théologien de la libération plusieurs fois sanctionné sous Jean Paul II. En 1992, il quitte le sacerdoce et fonde la notion d’une écologie intégrale qui doit devenir « un nouveau paradigme de la relation des êtres humains à la terre et la nature ».

 

Division

 

            À chaque nouvelle parole politique du pape François, des débats, parfois violents, déchirent l’Église, comme une plaie qui cicatrisait à peine, qui commençait juste à faire un peu moins mal et qui s’ouvre à nouveau. J’ai eu des échanges douloureux avec François Huguenin, Patrice de Plunkett, et Laurent Landete, les deux premiers fustigeant les « bergogliophobes » et autres « intégristes toujours critiques ». Pour eux, il faut accepter avec soumission le magistère de l’Église même et surtout quand il nous « bouscule ».

 

            Comme le dossier le montre, tous les discours d’un pape n’engagent pas son infaillibilité. Tous ne nous imposent pas le même devoir d’obéissance, surtout lorsqu’ils traitent de politique ou de science. Or justement notre pape fait beaucoup – beaucoup trop – de politique.

 

            Autre argument : « les papes précédents aussi choquaient certains chrétiens ». Non ! Les divisions que suscitent François déchirent la génération Jean-Paul II, celle des JMJ, celle qui montrait, contre les lefebvristes, que le magistère qui suivait Vatican II prolongeait la tradition à condition d’appliquer ce que Benoit XVI appelle une « herméneutique de la continuité ». Ceux que le pape François divisent aujourd’hui, c’étaient au contraire ceux qui étaient profondément unis sous les deux pontificats précédents. C’est cela qui est extrêmement triste.

 

            Ces divisions n’opposent pas seulement les laïcs. On connaît les dubia et les critiques de Schneider, Müller, et Vigano (entre autres) au sujet d’Amoris laetitia[1]. Mais en 2018, une autre affaire fragilise l’irénisme d’une entente prétendument parfaite  entre les deux papes. Le Vatican préparait la publication de 11 fascicules théologiques autour de la théologie morale du pape François. Mgr Dario Edoardo Viganò,  ministre de la Communication du Saint-Siège[v] demanda à Benoit XVI d’en rédiger une préface, ce qu’il refusa. Le Vatican publia d’abord une version tronquée de cette lettre de refus : Ratzinger y témoignait poliment de ce qui unit les deux hommes. Mais quand la lettre fut, peu après, publiée dans son intégralité par Settimo Cielo, on y lisait certaines réticences de Benoit XVI envers ces textes et les théologiens qui y avaient travaillé aux côtés du pape François et dans lesquels Benoit XVI reconnaissait des ennemis acharnés de la doctrine traditionnelle. Il y fait part de sa « surprise » de voir figurer parmi les auteurs sélectionnés « le professeur Hünermann qui, durant mon pontificat, s’est distingué pour avoir chapeauté des initiatives hostiles à la papauté »[vi]. La publication complète de cette lettre obligea Vigano à présenter sa démission à François qui l’accepta « non sans réticence » et sans mentionner Benoit XVI.

 

            Deux ans auparavant, l’Institut Jean-Paul II fut profondément réorienté. La théologie du corps de son saint fondateur en fut effacée au profit d’une ouverture aux « sciences humaines ». Je sais par une source confidentielle que, peu après son éviction, le dernier président wojtylien déjeunait chez le Pape émérite. Avant de le saluer, celui-ci l’aurait invité à imiter le cardinal Newman qui dans sa lettre au duc de Norfolk disait qu’il vaut mieux suivre sa conscience plutôt que le pape ou les autorités civiles.

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[1] Les cardinaux signataires des dubia sont les cardinaux Raymond Burke, Joachim Meisner, Walter Brandmüller et Carlo Caffarra.

[i]       Calles conclut « los Arreglos » avec le Secrétaire d'État du pape Pie XI, le cardinal Gasparri, celui-là même qui signa les accords de Latran avec Mussolini. À sa demande, le président mexicain s'engage à ne plus tenter d'appliquer les articles antireligieux de la Constitution. Il donne aussi sa parole que les rebelles seront amnistiés et qu'il ne leur sera fait aucun mal. Mais il ne s'agit que de sa parole. Aucun document n'est signé… Obéissants, les Cristeros se soumettent mais, dans les faits, l'amnistie ne sera pas respectée et seront assassinés dans d'atroces conditions aussitôt après avoir rendu leurs armes sur ordre de leur évêque.

[ii]              Amoris Laetitia (§ 304 et § 305) : les lois morales sont « des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. »

[iii]            Id § 59

[iv]   Un climatosceptique est défini tantôt comme « un connard », tantôt comme un « négationniste » autant dire un nazi coupable de « climatocide ». Oui, ça c’est nouveau, dorénavant les méchants tuent le climat…

[v]    À ne pas confondre avec son homonyme.

[vi]   Article à trouver sur le site Diakonos.be en tapant : « En guise de continuité, il y a un gouffre. La véritable histoire des 11 fascicules » dans leur barre de recherche.