Kadhafi a tenu parole : il est mort en combattant. Dès le début de la guerre civile (17 février) il avait annoncé qu'il ne quitterait pas le pays et mourrait les armes à la main. Il aura tenu tête huit mois au CNT et à l'Otan pour finir là où on ne l'attendait pas : alors que tout le monde le croyait réfugié dans les régions désertiques du sud libyen, c'est dans sa ville natale, Syrte, assiégée depuis le 15 septembre, qu'il a choisi de mener l'ultime combat.
Un mois de la plus sanglante des batailles, la présence du guide expliquant sans doute la résistance acharnée de ses partisans. Ainsi Kadhafi a-t-il échappé au sort de Saddam Hussein, capturé, jugé et exécuté, et à ceux – peut-être pires encore à ses yeux – de l'exilé Ben Ali et du prisonnier Moubarak. Mouammar Kadhafi a payé sa propre stratégie, explique Riadh Sidaoui , directeur du Centre arabe de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps) de Genève... Le CNT lui avait proposé un accord : s'il abandonnait le pouvoir, les rebelles le laisseraient quitter le pays, mais il a refusé. C'est son propre choix. Sa mort était évidente, il n'y avait pas d'autre issue. Il a choisi la voie suicidaire. (20 minutes.fr)
Rien ne dit, cependant, que le CNT et le commandement de l'Otan auraient respecté un tel accord. Exilé ou emprisonné, Kadhafi serait resté bien encombrant.
Une grande obscurité enveloppe les circonstances exactes de sa mort. Au point que la Russie, furieuse des libertés que l'Otan a prises avec le mandat de l'Onu, vient d'obliger celle-ci à ouvrir une enquête : Kadhafi a-t-il été achevé après avoir été blessé quand son convoi a été pris pour cible par un avion de l'Otan - un chasseur français, selon notre ministre de la Défense ? A-t-il succombé à ses blessures ? Une vidéo prise par un téléphone portable le montre ensanglanté mais encore vivant, puis malmené par des soldats, puis mort. Kadhafi a été tué aux mains des révolutionnaires , a déclaré le porte-parole officiel du CNT à Benghazi, Abdel Hafez Ghoga. Aux mains ou par ? La nuance est de taille. N'en déplaise à Bernard-Henri Lévy, omniprésent sur les plateaux de télévision pour saluer sa victoire mais qui ne supporte manifestement pas qu'on puisse en contester la pureté, trop de monde avait intérêt à ce que le raïs ne soit pas capturé vivant : au sein du CNT -où siègent plusieurs anciens collaborateurs du tyran, à commencer par son ancien ministre de la justice qui fit condamner à mort les infirmières bulgares- comme parmi les membres de la coalition dont plusieurs ont à faire oublier leur complaisance des dernières années envers le maître de Tripoli. La France, mais aussi l'Italie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis avaient contribué à réhabiliter l'ancien paria terroriste des années quatre-vingt pour s'en servir contre les djihadistes tout en signant des contrats juteux. Il y a moins d'un an, le 25 novembre 2010, Boris Boillon, notre ambassadeur de France en Irak – aujourd'hui en Tunisie –, déclarait encore au Grand Journal de Canal+ : Kadhafi a été un terroriste, il ne l'est plus, il a fait son autocritique. (...) Dans sa vie on fait tous des erreurs et on a tous droit au rachat . Comme si Kadhafi avait cessé par miracle d'être un psychopathe ! S'il avait comparu devant le Tribunal pénal international, on imagine que lui-même ou son avocat se seraient régalés...
Mais cette fin prévisible d'un régime tyrannique comme il en fleurit beaucoup en terre d'islam n'annonce pas pour autant une ère radieuse pour la Libye. Même l'intensité des combats qu'ils menaient contre les kadhafistes ne parvenait pas à masquer les divisions des ex-rebelles. La chute de Syrte inaugure la deuxième phase, celle que le CNT attendait pour proclamer la libération totale du pays et entamer des discussions pour former un gouvernement chargé de gérer la transition jusqu'aux élections générales. Cela promet du sport. Après 42 ans d'une dictature impitoyable, tout est à inventer dans un pays sans institution, ni administration civile, ni armée, ni tradition électorale (au fait, y a-t-il beaucoup de pays musulmans ayant une tradition électorale ?) mais divisé par un vieil antagonisme régional entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine, et surtout fragmenté en 150 tribus, sans oublier les islamistes en embuscade -ceux-là même contre lesquels Kadhafi s'était retourné. Chacun a déjà commencé à réclamer sa part du gâteau dans un pays riche en pétrole et en gaz. Et dans lequel des dizaines de milliers d'armes ont été disséminées. On peut donc craindre que la guerre civile qui aurait fait plus de 25 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés connaisse de nouvelles flambées. Le sort des habitants de Syrte qui, contrairement à ceux de Benghazi, n'auront décidément pas profité de la protection des avions de l'Otan, mais aussi les expéditions punitives à l'œuvre à Tripoli contre tous ceux qui sont soupçonnés de sympathies kadhafistes, tout cela n'annonce pas des lendemains qui chantent. Comme l'a écrit Gustave Thibon les fièvres épuratrices procèdent presque toujours des mobiles les moins épurés .
Plus généralement, on ne peut que s'alarmer du cours que prend le printemps arabe dans son ensemble. Le massacre de coptes défilant pacifiquement au Caire par l'armée égyptienne et les violences contre une chaîne de télévision à Tunis sont des rappels brutaux à la réalité : jusqu'à preuve du contraire, dans un pays régi par la charia, la chute d'un régime despotique ouvre rarement une nouvelle page... celle de la réconciliation dans l'unité et la liberté (Nicolas Sarkozy, communiqué du 20 octobre sur la fin de Kadhafi).
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