Les autorités catholiques dépassées par leur base conservatrice

Source [Marianne] Depuis le 13 novembre, des fidèles catholiques manifestent pour le rétablissement des messes. Une mobilisation plus bruyante que celle des autres religions. Décryptage avec Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l'université de Bordeaux.

« Rendez-nous la messe » tel était le mot d'ordre le week-end des 14-15 novembre dans plusieurs grandes villes de France. Des militants catholiques manifestaient pour dénoncer l'interdiction de tenir des messes dans des lieux de culte, pourtant restés ouverts. Alors que le gouvernement a reçu les cultes ce lundi 16 novembre et annoncé que les offices ne reprendraient pas avant le 1er décembre, cette mobilisation contre les règles du confinement interpelle quant à la capacité de mobilisation de l'Église catholique ainsi que de sa « force de frappe » pour influencer l'exécutif. Décryptage avec Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l'université de Bordeaux et auteur de Qui sont les cathos aujourd'hui ? Sociologie d'un monde divisé.

Marianne : Contrairement au premier confinement, les catholiques se sont mobilisés pour demander le retour des messes. Qui porte ces revendications ?

Yann Raison du Cleuziou : Les controverses sur la suspension de la messe existaient déjà lors du premier confinement mais elles étaient restées internes à l'univers catholique. Elles portaient sur deux choses : l'interdiction de la communion à la bouche (certains jugeant que toucher l’hostie n'est pas respectueux) ; ainsi que sur la rapidité avec laquelle les évêques se sont soumis à la suspension des messes, demandée par les préfets.

Ces deux critiques venaient tendanciellement de l’aile conservatrice des catholiques et visaient à dénoncer la tiédeur des instances officielles. Une tiédeur à l'égard du respect de l’eucharistie mais aussi de la messe elle-même, en ne la défendant pas face aux mesures sanitaires. Il ne s'agit que d'un épisode dans l'affrontement récurrent des plus conservateurs avec les autorités catholiques. Cette aile considère que les évêques se compromettent en raison de leur désir d'apparaître comme de bons partenaires de l’ordre républicain. Ce que l’on observe depuis une semaine, c’est une publicisation de cet affrontement interne.

Dans un sens, les catholiques sont comme tout le monde, ils ont du mal à entrer dans ce second confinement, notamment au vu des nombreuses exceptions.

Qui sont ceux qui manifestent ? Et ceux qui appellent à la mobilisation ?

Les manifestants sont majoritairement des étudiants. Ensuite les réseaux qui les mobilisent sont assez différents selon les villes. Je me suis rendu à Saint-Sulpice vendredi dernier. Les paroissiens traditionalistes y occupaient une place importante. On voyait des prêtres en soutane et un certain nombre de carnets de chants du pèlerinage de Paris à Chartres, autant d'indices qui montrent que la mobilisation s’appuyait en partie sur ces sociabilités préexistantes.

Sur place, j’ai pu noter deux registres de contestation. Le premier, porté par Jean-Frédéric Poisson [Président du Parti chrétien-démocrate, désormais renommé Via ; N.D.L.R.] avec une argumentation de type libérale qui appelle à la défense des droits fondamentaux contre ce qu'il estime être une extension abusive du pouvoir de l’État. Une seconde ligne, plus confessionnelle, était tenue par Guillaume Bernard, personnalité connue de la nébuleuse de la droite « hors les murs » [Robert Ménard, Marion Maréchal, Jean-Frédéric Poisson] qui est notamment maître de conférences à l' ICES [Institut catholique en Vendée]. Pour sa part, il a moqué l'incompétence des ministres à reconnaître la présence réelle de Jésus dans l’Hostie. Ce qui signifie que pour lui, le pouvoir politique n'est légitime que dans la mesure où il reconnaît la supériorité de Dieu par rapport à l’ordre politique.

Au-delà de ces argumentaires, la contestation de la distinction opérée par le gouvernement entre ce qui est essentiel ou non fait l'unanimité parmi les manifestants. Pour eux, il s'agit d'affirmer que l’identification de l’essentiel aux seules conditions matérielles d’existence, « métro, boulot, conso », est profondément révoltante.

Comment se situent les évêques dans cette contestation ?

Tout dépend lesquels. Les manifestants reçoivent un franc soutien de Mgr Rey, de Mgr Aillet et d’autres… Mais la conférence des évêques de France est plus prudente. Encore une fois, on retrouve un clivage assez classique. En général, la conférence des évêques de France privilégie l’éthique de responsabilité sur l’éthique de conviction. Elle cherche à avoir une relation de confiance avec le gouvernement en espérant bénéficier de certains privilèges en contrepartie. Ne serait-ce qu’un surcroît de reconnaissance par rapport aux représentants des autres religions.

Au mois de mai, pour le déconfinement, les évêques avaient proposé un protocole sanitaire ambitieux pour obtenir la réouverture rapide des églises. Ils ont ressenti un certain dédain de la part du gouvernement qui n'a pas retenu leur proposition. Ils ont essuyé un second revers lorsque des associations traditionalistes qui avaient saisi le Conseil d'État, ont obtenu la réouverture des lieux de culte. Après cet épisode, ils ont eu le sentiment d'être dépassés par leur base et méprisés par le gouvernement. Cette fois-ci, un référé a également été déposé par quelques évêques et associations de catholiques. Mais la conférence des évêques de France a suivi le mouvement et fait de même quelques jours plus tard.

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