Si l'efficacité d'une action politique se mesure au bruit médiatique qu'elle provoque, la levée de l'excommunication du pape Benoît XVI a atteint son objectif. Il faut dire que le Diable s'en est mêlé...

Ce qui aurait dû n'être au départ qu'une affaire de sacristie a pris une tout autre dimension avec les propos absurdes – et concomitants – de l'un des bénéficiaires de la miséricorde du pape, niant l'extermination des juifs par Hitler.
On peut certes se demander ce qu'allait faire à ce moment-là sur une télévision suédoise un évêque anglais vivant en Argentine [1]. Mais, manipulation ou pas, des propos scandaleux ont bien été tenus.
Le confinement social, politique et intellectuel où vivent depuis de nombreuses années les traditionnalistes de la mouvance de Mgr Lefebvre a laissé prospérer de sombres fantasmes. Nul doute qu'en levant l'excommunication, le pape a voulu remettre dans les courants d'air la vieille tour gothique. Cela ne plaît sans doute pas à tous ceux qui l'habitent. Et de la tour ainsi éventée, si l'on nous pardonne cette image à la Walt Disney, ne surgit pas toujours la Belle au bois dormant : d'étranges chéiroptères peuvent aussi en sortir bruyamment – nous parlons des idées, non des hommes, même si ceux-ci sont blâmables.
Fallait-il pour autant que le pape s'abstînt ?
S'il ne s'agissait que de réduire le schisme lefebvriste (une opération dont l'aboutissement est encore loin !), peut-être. Mais tout laisse à penser que le dessein de Benoît XVI est bien plus vaste. Le grand objectif de son pontificat est le rapprochement avec l'orthodoxie, qu'à l'instar de Jean Paul II, il tient pour le poumon oriental de la chrétienté européenne. Vaste dessein dont l'aboutissement remettrait sans doute en cause un ordre géopolitique dominé depuis longtemps par le Nord-Ouest anglo-saxon et protestant [2]. Un tel projet rompt notamment avec la géographie d'un Samuel Huntington, plus culturelle que théologique à vrai dire, pour qui dans sa théorie du choc des civilisations , une césure majeure sépare l'Ouest catholique et réformé de l'Est orthodoxe.
On ne comprendrait pas sans une telle perspective la modération de l'attitude du Vatican lors de l'affaire de Georgie. Pas davantage son obstination à réduire le schisme traditionnaliste.
Comment en effet vouloir se réconcilier avec ceux qui ont arrêté le temps au XIe siècle, si l'on n'est pas, dans son propre pré carré, capable de le faire avec ceux qui l'ont arrêté au XVIe ? Peut-être pas dans ces termes, c'est sûrement ce que des orthodoxes ont dit au pape.
Œcuménisme
En sus de sa portée géopolitique, une telle problématique illustre ce que sont les nouveaux chemins de l'œcuménisme. Pour les tenants progressistes de ce dernier, l'interlocuteur privilégié était, même si cela n'était pas dit ouvertement, le seul protestantisme libéral. Le programme proposé au catholicisme, dans la suite supposée de Vatican II, n'était d'ailleurs pour beaucoup que de lui ressembler de plus en plus.
Cette voie a-t-elle encore un sens ? On peut se le demander au vu de l'évanescence de l'interlocuteur, de plus en plus sécularisé, largement débordé par une mouvance évangéliste bien plus obscurantiste sur les questions de science que Rome ne le fut jamais. L'évolution affligeante d'un Mgr Williamson illustre à sa manière la déliquescence de l'anglicanisme.
Si elle veut encore faire progresser l'unité des Églises, l'Église catholique n'a pas le choix : ce n'est plus à des libéraux qu'elle a à faire désormais. Les uns sont crispés sur telle ou telle forme de rituel, les autres sur une interprétation littérale de la Bible que même saint Augustin, au IVe siècle écartait.
Même si les vraies divergences apparaissent comme mineures, le rapprochement n'en est que plus difficile. Les religions non chrétiennes avec lesquelles le dialogue continue d'être nécessaire, sont elles-mêmes le plus souvent attachées à différentes formes de littéralisme. Littéralisme que le pape a pris à contrepied dans son discours des Bernardins en rappelant que dans la grande tradition occidentale, pour sacré qu'il fut, tout texte appelait une interprétation.
En tendant la main aux lefebvristes, le pape Benoît XVI a pris un risque considérable. S'il l'a fait, c'est que l'enjeu en était bien davantage qu'une affaire de chapelle.

[1] On ne saurait mettre en doute la bonne foi du Pape quand il affirme ne pas avoir été au courant de ces propos avant la signature de la levée d'excommunication. Cela vaut-il cependant pour tous les membres de la Curie ?
[2] Est-ce pourquoi l'offensive contre le Pape est partie du Spiegel, le grand hebdomadaire de Hambourg ?

 

 

 

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