Heureux les coeurs purs, ils verront Dieu ! Comment, à travers les siècles de l'histoire de l'Eglise, le célibat sacerdotal s'est imposé comme la plus noble des libérations.
Boulevard Voltaire est un site dont on ne peut que saluer le courage politique y compris dans la défense du christianisme. Mais le récent et plutôt médiocre article d’Arthur Herlin sur le livre co-signé par le pape émérite Benoit XVI traduit une erreur de la pensée qui aboutit à une formule ressassée : le célibat n’est pas un dogme. Évidemment, puisqu’il s’agit de l’organisation de l’Église et non de contenus de foi.
Il convient donc de faire un peu d’histoire et en particulier d’histoire des Gaules si on veut comprendre la question et cesser de proférer des sottises.
Au IVème siècle, l’Église de France est alors gallo-romaine, c’est-à-dire que sa langue liturgique est le latin, mais les hommes qui la constituent sont des « Gaulois » acculturés. Un peu comme Augustin, qui était un « Punique » acculturé qui parlait latin, pensait en latin et priait en latin. Ils participaient de la culture gréco-latine qui s’était imposée lorsque la Gaule avait été soumise et était entrée dans l’orbis romanum. Après les grandes persécutions dont l’effroyable martyre du groupe des chrétiens de Lyon (avec l’étoile sainte Blandine en son centre) a laissé le souvenir dans une lettre bien connue des historiens du christianisme ancien, et qui atteste de son ancienneté, l’Église des Gaules peut enfin s’organiser, construire des monastères, délimiter des diocèses et se développer librement. De ce Vème siècle qui fut une apogée, de cet intervalle entre les incursions barbares et la conversion d’un roi franc conquérant, on dispose d’une riche historiographie que seule l’inculture post-moderne de nos paroisses dévastées a plongée dans l’oubli. Il suffit d’ouvrir et de lire, sans omettre les notes de bas de page, La Gaule chrétienne à l’époque romaine de E. Griffe pour en prendre conscience. Pour ceux et celles qui en douteraient.
Au premier rang des vertus que l’Église réclame de ses prêtres se place la continence. Quand le nouveau prêtre vient du siècle, il arrive souvent qu’il soit marié. Dans ce cas, la même règle s’impose à lui comme à l’évêque : il doit renoncer à l’usage du mariage et vivre avec son épouse comme avec une sœur. L’épouse de l’évêque reçoit même le nom d’épiscopa, celle du prêtre celui de presbytera. Elles jouèrent un rôle majeur, soulageant leur époux des tâches relevant du monde : « elles rendent à César ce qui est à César, afin que, par leur époux elle puisse donner à Dieu ce qui est à Dieu ». Et ces tâches ne sont pas uniquement de nettoyer les églises (ce que font leurs servantes) ou de s’occuper de nourrir les invités. Elles s’occupent de la gestion des questions temporelles au sens large.
On s’est agité sur ces questions dès les origines des Églises diocésaines. Dans la région de Toulouse, un prêtre nommé Vigilance (sic) avait critiqué la continence imposée aux prêtres. Le De septem ordinibus Ecclesiae et le Contra Vigilantium de saint Jérôme attestent que la discipline (et non le dogme) du célibat ne s’est pas implantée dans le clergé sans réticences. L’autorité du Siège apostolique mais surtout la faveur dont jouissait l’idéal monastique auprès des fidèles ont contribué à faire accepter cette discipline. Cet idéal monastique s’est imposé dés ce Vème siècle de développement sans entraves, soutenu en particulier par un moine venu d’Orient (d’Antioche), Jean Cassien, qui apporta la connaissance de l’organisation conventuelle des monastères d’Égypte et contribua à la faire adopter, en attendant la règle de Benoît de Nursie.
Au Vème siècle, ces renonçants qu’on appelaient les « sancti », prêtres ou laïcs, ont largement contribué à l’évangélisation d’une Gaule très largement chrétienne par le nombre et le maillage, mais pas forcément encore profondément christianisée.
La continence est la face visible d’un état spirituel qui s’appelle la « chasteté », terme que notre monde affolé de sexualité (hétérosexuelle comme homosexuelle et bientôt transsexuelle) ne peut plus guère appréhender justement et qu’elle voit comme un idéal inaccessible et destructeur d’humanité. Cela ne fait que traduire l’état de déchéance de notre postmodernité qui aberre, et en particulier le profond mépris que notre société éprouve pour le corps humain, ramené à n’être plus qu’un objet de jouissance, toujours disponible pour quelque expérience sexuelle sordide. Y compris, indignité suprême, pour ne pas dire infamie, le corps des enfants.
Les choses avouent difficilement leur secret, et le mystère sexuel moins que tout autre.
Nous le savons tous si nous avons un peu lu, ou aimé, il ne peut y avoir d’amour humain qui ne comporte normalement, au moins en désir, union charnelle. En y renonçant, même en désir, le religieux qui fait vœu de chasteté sacrifie deux choses. Il sacrifie ce qu’Augustin appelle la chair, et ce qui en constitue l’un des instincts les plus profonds, l’instinct proprement charnel. Mais ce n’est que l’aspect visible, toujours un peu spectaculaire de l’état religieux.
Qu’il en ait conscience ou pas, - et c’est mieux s’il en a conscience – le prêtre ou le moine opère un sacrifice qui atteint l’abîme des aspirations naturelles de l’homme. Il sacrifie toute possibilité pour lui de désirer et donc d’atteindre ce paradis terrestre de la nature dont le rêve hante l’inconscient de notre race humaine et que Jacques Maritain a fort joliment et justement décrit: l’amour fou entre l’homme et la femme, cette gloire et ce ciel d’ici-bas où prend réalité un rêve du fond des âges consubstantiel à la nature humaine, et dont tous les chants d’hyménée chantés le long des siècles d’autrefois révélaient la nostalgie inhérente à la pauvre humanité. J’ajouterai dans la liste des chants d’hyménée : les romances de M6, les drames de la passion du 7ème art, à commencer par les adaptations de Tristan et Yseult (bien que le filtre qu’on leur a fait boire les absout partiellement). Mais ce filtre peut aussi être entendu comme la métaphore d’une puissance dévastatrice qui échappe au gouvernement de la raison : la passion amoureuse. Humaine folie qui nous vaut de grandes œuvres littéraires, beaucoup de tragédies et qui nourrit cet imaginaire de l’amour fou, forcément voué à la mort.
C’est d’un tel renoncement que le vœu de chasteté est avant tout le signe.
Dans l’ordre seulement naturel, la chasteté est à ce titre un affranchissement et donc une libération.
Dans l’ordre spirituel, elle est un mystère, c’est à dire une surintelligibilité qui demande, pour être adéquatement comprise et interprétée, un petit peu d’intelligence, de réflexion et accessoirement de culture.
La prêtrise n’est pas seule appelée à se soumettre à cette saine discipline de la continence qui est la vertu de tempérance appliqué à un domaine particulier: le mariage sanctifie ce puissant instinct charnel. Il existe une chasteté conjugale dont le but n’est pas d’abord la régulation des naissances. En se soumettant à une continence partielle, l’homme s’affronte à un instinct qui est celui de son espèce, un instinct qui habite en sa personne comme un dominateur étranger et qui la tient et la tourmente avec une violence tyrannique (même s’il varie d’une personne à une autre). C’est à une force furieuse immensément plus ancienne que l’individu par lequel elle passe que la chasteté fait échec.
J’ai montré il y a bien des années au cours d’un étrange colloque sur le Chaste et l’obscène comment Zola décrit, dans la Curée, à travers le personnage de Renée, le lent chemin qui conduit de la lubricité à l’obscénité. Notre monde, qui prétend ne plus rien cacher, ne plus rien vouloir cacher, est un monde obscène. Et à ce titre, il est une « apocalypse » en creux, au sens premier du terme, celui de dévoilement : de l’immensité des turpitudes humaines.
Le sacerdoce, c’est de la masculinité sacrifiée. Mais le prêtre ne vient pas à la prêtrise la corde au cou, contraint et forcé : il répond à un appel dans les profondeurs de son être et de sa chair d’homme. Au nom de quoi devrions-nous douter que cet appel ne va pas transformer profondément cette chair même, et donner à toute sa personne la force d’assumer ce renoncement tout au long de sa vie ? Ce qui porte un nom : la sanctification. L’homme appelé au sacerdoce reçoit un sacrement, un signe qui opère ce qu’il signifie. Il le reçoit au Nom de Jésus, qui l’a dit lui-même : Apprenez que mon joug est léger. Et l’Église prend le temps de vérifier la validité de cette vocation singulière.
Les forces brutales du monde qui nous entoure, la vision dégradée et dégradante de l’humaine sexualité, tout concourt à nous faire oublier, voire à nous faire rejeter le donné de base du christianisme : une énergie infiniment supérieure, une énergie divine qui s’appelle la Grâce, communiquée par le sacrifice de Jésus éternellement commémoré à chaque office, par les mains que l’on peut espérer pures du célébrant. Mais qui toute impures qu’elles puissent être n’invalident pas le rituel. Extraordinaire supériorité du rituel de la transsubstantiation sur tout autre rituel religieux, tous étroitement tributaires de la pureté rituelle de l’officiant.
Les énergies humaines sont sans doute renouvelables, mais avec beaucoup d’entropie. La Grâce est tout simplement une énergie divine qui vient surélever notre système énergétique, qui, seul, est voué au néant. C’est le seul intérêt de la discipline ecclésiastique, monacale ou autre : permettre au chrétien de s’associer à cette transformation qui convertit en lui cette force divine, et fait de lui un fils de Dieu. Et ce, dans un monde qui ne brille ni par sa bonté, ni par son intelligence, si par sa justice et où il lui faut manifester cette lumière et cette énergie.
La continence est un état visible qui révèle un état invisible : celui de la chasteté. La Vierge Marie en est la figure la plus accomplie, et c’est la raison pour laquelle la prêtrise nourrit pour elle une dévotion privilégiée. Plus humble encore s’il est possible, saint Joseph est l’autre grande figure de cette chaste humilité qui nous est donnée à contempler pour l’accomplir en nous, selon ce que nous sommes. C’est ce qui donne tout son sens à celle des Béatitudes qui nous rappelle l’enjeu véritable de ces questions redoutables:
Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu.
Marion DuvauchelProfesseur de lettres et de philosophie
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