Elle s'annonce titanesque et à la française. Les forces syndicales ont donné de la voix, le gouvernement a prononcé la formule magique, les entreprises n'ont plus qu'à s'exécuter. Car chacun sait que c'est l'État qui fixe les salaires et que les entreprises n'ont qu'à appliquer ce que le plan a décidé.

Il est pourtant vrai que le pouvoir d'achat se porte mal. Mais dans la réalité ce sont les entreprises (et surtout les clients) qui fixent les salaires, en fonction de leur situation économique. Comme le dit Ernest-Antoine Seillière, "la souveraineté salariale est dans l'entreprise". Car il se trouve que nous sommes encore en économie de marché.

Un calcul complexe

Le calcul du pouvoir d'achat est une chose délicate. Il faut tenir compte des prix et des revenus. Du côté des prix, les choses sont assez simples et l'indice de l'INSEE est fiable. La hausse est actuellement de l'ordre de 2%. Les ménages sont persuadés qu'elle est beaucoup plus rapide, car ils sont sensibles aux achats courants et répétitifs, dont les prix montent plus vite que la moyenne, plus qu'à des achats rares (comme un ordinateur ou une télévision), dont les prix diminuent et qui font à juste titre baisser l'indice. Comme on ne change pas d'ordinateur tous les jours, on y est moins sensible, mais la baisse n'en est pas moins réelle.

La chose est plus complexe du côté des revenus. Car selon les ménages, il y a un ou deux salaires ; il y a plus ou moins de revenus sociaux ; il y a des revenus de l'épargne ; il faut tenir compte des prélèvements sociaux, ainsi que du poids des impôts. À la limite, il y a autant de variations du pouvoir d'achat que de ménages, chacun étant dans une situation différente. Personne ne se retrouve jamais dans la moyenne.

Les dernières statistiques publiées par l'INSEE portent sur l'année 2003. Elles ne concernent que le salaire net moyen mensuel, qui tient compte de l'évolution du salaire de base dans le seul secteur privé, des primes, du nombre total d'heures travaillées, et de l'évolution des prélèvements sociaux (CSG et autres cotisations). Mais pas des impôts, ni des prestations sociales, ni des traitements des fonctionnaires. Et encore moins des revenus de l'épargne.

Le pouvoir d'achat stagne

Ceci étant précisé, ce salaire net moyen a perdu, en 2003, 0,3% de pouvoir d'achat dans le secteur privé. Mais là encore il faudrait distinguer selon les catégories sociales. La perte est plus forte pour les employés (- 1,1%) ou pour les cadres (- 0,8%) que pour les ouvriers (-0,2%). Mais si l'on descendait plus dans le détail, on trouverait des différences plus marques selon les branches, plus encore selon les entreprises et plus encore selon les salariés.

Pour 2004, il est un peu tôt pour se prononcer, mais l'INSEE a indiqué, selon ses premières publications pour l'année dernière, que le salaire moyen par tête devrait avoir progressé de 2,5% dans les entreprises du secteur marchand, ce qui, compte tenu d'une inflation de 2,1%, devrait se traduire par une hausse de 0,4% du pouvoir d'achat. Cela veut dire que globalement la situation n'est pas bonne pour le pouvoir d'achat, qui a en gros stagné sur l'ensemble 2003-2004, tandis que l'année 2003 marquait la première chute du salaire réel moyen depuis 1996.

Faut-il s'en étonner ? Est-ce dû à une mauvaise volonté des patrons ? N'oublions pas que les profits ont progressé en 2004. Mais les profits ne sont pas pris sur les salaires. Ils représentent la légitime rémunération de l'entrepreneur. Celui-ci est récompensé pour avoir innové, trouvé quelque chose qui n'existait pas. Le salarié, lui, a une rémunération également légitime, qui repose sur la productivité du travail.

En outre, la hausse des profits de 2004, qui concerne surtout quelques grandes entreprises (et pas les PME), n'est qu'un rattrapage après la chute des années antérieures. Et l'essentiel de ces profits n'est pas distribué, mais sert à l'investissement.

Enfin, si les profits étaient tous distribués (rappelons qu'ils représentent à peine 3% de rendement du capital), les salaires augmenteraient à peine la première année et l'entreprise ferait faillite l'année suivante. Il n'y a que la CGT pour croire qu'il y a là un trésor caché qui devrait revenir aux salariés. De plus, beaucoup d'entreprises font participer les salariés aux bénéfices, mais cela ne peut s'envisager de la part de l'entreprise que sur une base volontaire.

On ne peut distribuer que ce qui a été produit

Le pouvoir d'achat n'a pas stagné à cause des superprofits. Mais alors pourquoi a-t-il stagné ? L'entreprise ne peut distribuer que ce qui a été produit. En 2003 par exemple, la hausse du PIB n'a été que de 0,6%. Comment distribuer une richesse qui n'a pas été produite ? Sans croissance, pas de hausse des revenus. En 2004, on est péniblement à 2%. Pourquoi ? Parce que l'économie est dévorée par les prélèvements obligatoires parmi les plus importants du monde, qui ruinent la productivité des entreprises, font baisser le pouvoir d'achat et servent à entretenir un secteur public ruineux. Quant aux charges sociales, elles réduisent drastiquement le pouvoir d'achat des salariés, qui gagneraient beaucoup plus s'ils recevaient le salaire complet et s'assuraient par eux-mêmes. Et ils seraient mieux protégés.

Mais aussi parce que l'économie est empêchée de se développer par des réglementations arbitraires, dont les 35 heures sont l'exemple le plus évident. Or elles empêchent de travailler plus et donc de gagner plus. Le gouvernement Jospin a imposé la réduction du temps de travail (qui ruine également les budgets publics, car elle coûte 15 milliards d'euros). Que les salariés ne s'étonnent pas si, travaillant moins, ils gagnent moins. D'autres interventions publiques ruinent le pouvoir d'achat en créant du chômage.

Finalement, c'est en dernier ressort le client qui paie les salaires. Si l'on veut que le client paie plus, il faut lui en donner plus, c'est-à-dire augmenter la productivité, sinon, c'est le chômage qui progresse. Cela passe par un recul de l'État. Là, le gouvernement peut faire quelque chose de plus efficace que d'interpeller les entrepreneurs en leur suggérant un Grenelle des salaires. Il est vrai que c'est plus facile d'accuser les entrepreneurs et de faire jouer la lutte des classes que de réduire le poids de l'État. Mais c'est pourtant la seule solution pour accroître le pouvoir d'achat.

* Professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'association des économistes catholiques.

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