L'économiste Jean-Yves Naudet, président de l'AEC, présente la problématique du colloque du 30 avril sur la logique du don dans l'économie, telle qu'en parle Benoît XVI :  On ne peut pas créer de confiance dans l'économie sans relations de gratuité. 

Liberté politique. — Dans Centesimus annus, Jean-Paul II a identifié la société civile comme le cadre normal de l'économie de la gratuité. Benoît XVI semble aller plus loin en considérant que la logique du don et de la gratuité doit trouver sa place dans  l'activité économique normale . Pourquoi ?

Benoît XVI ne contredit évidemment pas Jean-Paul II et il est évident que la société civile au sens où il l'entend regroupant familles, associations, groupes caritatifs, mouvements religieux, paroisses, etc. [1], est le lieu naturel de la gratuité et du don, comme l'économie est le lieu de l'échange (donc du contrat) et la politique celui de lois justes. Mais Benoît XVI s'engouffre dans une brèche ouverte par Jean-Paul II, affirmant que le don pouvait aussi s'appliquer à l'économie (sujet de ce colloque) et à la politique (vue comme le service du bien commun).

Les hommes sont les mêmes partout et s'ils sont capables d'amour, de gratuité et de don dans certaines relations, pourquoi changeraient-ils brusquement de nature en passant sur le terrain économique ? Il y a une unité de la personne humaine. En affirmant que la question sociale (et donc la doctrine sociale de l'Église) est radicalement anthropologique, Benoît XVI signifie qu'elle concerne l'homme tout entier, dont les vertus doivent être les mêmes dans tous les domaines : on ne peut découper l'homme en tranches suivant le domaine où il agit, et, pour les croyants, être chrétien seulement le dimanche.

Le don gratuit n'attend pas de retour. Cette logique est-elle compatible avec la logique de l'échange, autrement dit de la réciprocité, qui caractérise l'économie ?

Il y a sans doute au moins deux pistes différentes ouvertes par Benoît XVI. La première consiste à faire coexister sur le marché des entreprises différentes, certaines  capitalistes , recherchant le profit, d'autres plus ouvertes à d'autres dimensions, ne faisant pas du profit une priorité absolue, ce qui peut recouvrir un secteur social, mutualiste, coopératif, etc. La coexistence des deux devrait permettre une  hybridation  selon Benoît XVI, les bonnes pratiques ayant un impact bénéfique sur tous.

L'autre idée, que beaucoup mettent déjà en pratique, porte sur le secteur capitaliste lui-même. Il n'implique pas nécessairement un comportement égoïste ou méprisant vis-à-vis des autres ; on peut chercher à bien gérer, à dégager un profit (condition de la survie de l'entreprise) et le faire dans le respect des hommes, de leur dignité, de leurs droits fondamentaux, de la morale naturelle ; être attentif aux dimensions humaines ; aux détresses personnelles et sociales ; savoir aller au delà de l'obligation légale, puisque par nature, la morale est ce qui va plus loin que la loi ; renoncer à une rémunération élevée, quand on a mal géré et provoqué des drames humains, même si l'on a le droit avec soi, devrait être un reflexe élémentaire; c'est aussi une forme de gratuité.

Cela rejoint aussi la différence sur laquelle insiste Benoît XVI entre la justice (rendre à l'autre ce qui est sien, par exemple un juste salaire) et la charité (donner à l'autre ce qui est mien). Ici, le don n'est pas uniquement financier et il est parfois plus important — et plus dur — de donner de son temps que de son argent.

Benoît XVI écrit que la vie économique doit être comprise comme une  réalité à plusieurs dimensions  où la  réciprocité fraternelle  doit être présente : cela signifie-t-il pour le pape que plusieurs systèmes économiques peuvent coexister, ou qu'il faut privilégier une troisième voie qui échappe aux défauts de l'économie administrée et de l'économie capitaliste ?

L'Église ne se situe pas sur ces terrains de  troisième voie , Jean-Paul II n'avait cessé de le rappeler. Elle critique tous les systèmes. Ce qui pose problème dans le marché, ce n'est pas le marché lui-même, ni l'échange, qui, s'il est juste, n'a rien de mauvais en soi ; mais faire reposer toute une société, comme dans nos sociétés de consommation, sur le seul contrat, c'est vider peu à peu de son sens profond le lien social, ce que Benoît XVI appelle la socialité.

Il faut donc autre chose que le simple donnant-donnant du contrat pour créer du lien social, y compris dans la vie économique. D'où cette importance de la réciprocité fraternelle, qui crée la confiance dont le marché lui-même a besoin pour fonctionner, on l'a bien vu avec la crise récente.

Comment créer de la confiance sans un minimum de valeurs humaines de gratuité ? Cela ne condamne pas l'échange, lieu de la rencontre de deux volontés libres. Cela permet de le dépasser, d'aller plus loin, de l'humaniser encore plus. Comme le rappelle Benoît XVI,  la cité de l'homme n'est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d'abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion . La gratuité et le don comme expression de la fraternité. L'agir gratuit pour tout dire.

 

COLLOQUE

La logique du don et de la gratuité dans l'économie selon Caritas in Veritate

Fondation de Service politique – Association des économistes catholiques

Samedi 30 avril 2011, 14h-18h

Paris VIIe, paroisse Saint-Pierre-du-Gros-Caillou
Entrée libre (préinscription recommandée)
Programme et renseignements : www.libertepolitique.com

 

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[1]. Cf. notre colloque 2010   Libérer la société civile , et les actes publiés dans Liberté politique n° 49, été 2010.