[Source : blog de Maxime Tandonnet]
Samedi 2 juillet, les Républicains ont rendu public leur projet pour 2017. L’événement est de taille. Dans la perspective vraisemblable d’une alternance l’an prochain, ce document a vocation à servir de fondement à la politique suis sera menée pendant cinq ans.
C’est donc avec le plus grand intérêt que j’en ai pris connaissance. Malheureusement, il me faut avouer que ce texte ne m’a guère convaincu. Certes, les bonnes idées ne manquent pas mais son épaisseur est révélatrice d’un malaise: un catalogue de 370 pages, sans priorités, traitant tous les sujets sur le même plan (logement, social, environnement, immigration, etc.) La question fondamentale, à mes yeux, celle du gouvernement de la France – la gouvernance – n’apparaît qu’à la fin, visiblement bâclée et traitée par dessus la jambe. Pour réformer le mode de gouvernement du pays, il est proposé en quelques lignes de « mettre fin à l’interdiction du cumul des mandats » (député-maire), de réduire le nombre des parlementaires, de supprimer le Conseil économique et social, de faciliter les consultations grâce au numérique (les termes « référendum d’initiative populaire » n’apparaissent pas), diminuer le « nombre des autorités administratives indépendantes » (???). Pardon à mes amis du parti des Républicains, mais je trouve cette légèreté inquiétante. Elle tendrait à souligner que les états-majors politiques, sont totalement à côté de la plaque, n’ont strictement rien compris au drame de ce pays. Quand une Nation ne parvient plus à se gouverner, elle fait naufrage comme un navire sans gouvernail pris dans la tempête. L’impuissance politique est le problème majeur de la France. L’exercice du pouvoir s’est transformé en un grand spectacle de communication et de manipulation, fait de polémiques stériles, de promesses et d’annonces sans lendemain, de scandales, de coups de menton et de petites phrases. Mais l’appareil gouvernemental a perdu prise sur le réel dans une France devenue largement ingouvernable. Toutes leurs belles propositions de réforme ne serviront à rien s’il est impossible de les mettre en œuvre: annulations par le Conseil constitutionnel, ou une autre juridiction (Conseil d’Etat, Cour de Cassation), absence de crédits liée aux restrictions budgétaires, au poids de la dette publique, obstacle du droit européen (directives, règlements, jurisprudences de la cour de Justice européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme), blocage et mauvaise volonté des administrations, faiblesse du gouvernement et des ministres plus intéressés par leur destin personnel que par leur ministère, reculades face aux manifestations et aux grèves massives risquant de paralyser le pays, principe du lynchage médiatique qui oblige le chef de l’Etat surmédiatisé et incarnant à lui seul la responsabilité politique, à faire machine arrière pour sauvegarder son « image ». Voilà tout un ensemble de facteurs qui explique la paralysie politique du pays depuis des décennies… Je n’invente rien, je l’ai vécu de l’intérieur de 2005 à 2011, place Beauvau et à l’Elysée jusqu’à la fameuse catastrophe de mai 2012. Le projet des Républicains esquive ainsi le seul sujet qui compte aujourd’hui, celui de la gouvernance du pays, tous les autres n’en étant que la déclinaison. Il se présente comme un grand corps sans tête ni colonne vertébrale. Il aurait dû commencer par ce qui est fondamental: quelle présidence future, quel rôle pour le Premier ministre et les Ministres? Comment gérer les blocages de la technocratie et des juridictions? Quelle réponse donner aux contradictions entre les ambitions politiques et le droit européen? Facile d’annoncer des promesses qu’on ne peut pas mettre en œuvre! En matière d’immigration par exemple, l’idée fondatrice du projet est celle de la mise en place de « plafonds d’immigration familiale ». Un vieux serpent de mer dont j’entends parler depuis 2002 au moins! Or, ils sont inapplicables aujourd’hui comme hier car contraires au droit constitutionnel (préambule 1946), à l’article 8 de la CEDH et au droit européen (directive de 2003). Alors, que fait-on? Et je ne parle pas des propositions sur « Schengen II » qui supposent une refonte totale du règlement du 15 mars 2006 sur le « code frontière »; ce n’est pas impossible mais dans des conditions extrêmement complexes et difficiles à réunir: accord de la Commission européenne, puis « majorité qualifiée » du Conseil et enfin vote favorable du Parlement européen. Pourquoi ne pas le dire? J’entends d’ici le politicien lambda, fustigeant mes observations et me traitant de « technocrate obtus » n’ayant « rien compris ». Mais la vérité, c’est qu’ils ne pourront pas faire une large part de ce qu’ils annoncent et se retrouveront coincés de toute part. Les gesticulations, les cris, les hurlements, les polémiques, l’excitation, les coups médiatiques, les insultes, l’agitation ne serviront à rien. Le résultat sera le même: le néant. Que sommes nous en droit d’exiger d’eux aujourd’hui ?
- Des propositions conformes à la réalité de ce qu’il est possible de faire ou non, en finir avec les sornettes: bref, la vérité, ce mot devenu étranger à la vie politique.
- Et quand ce n’est pas possible en l’état, pour les raisons que je viens d’expliquer, qu’ils disent comment ils comptent s’y prendre pour surmonter ou écarter les obstacles, juridiques, financiers, sociaux ou tout au moins essayer, au prix de quelles crises, quelles ruptures, quelles fractures, quelle résistance, quelles révolutions, quelles batailles, quels choix fondamentaux? Et jusqu’où?
Oui, étrange et inquiétant projet, sans ligne, sans priorités, sans méthode ni moyens… Serait-il le reflet de la vieille imposture française selon laquelle l’arrivée d’un « homme providentiel » à l’Elysée suffira à tout régler? On n’ose l’imaginer tant la supercherie est éventée. Or, ce n’est pas seulement 2017 qui se joue aujourd’hui , c’est la période 2017-2022. Les Français ne supportent plus de se sentir manipulés et trahis. On leur a trop souvent fait le coup. En cas d’échec de 2017 à 2022, les conséquences seront épouvantables. Il n’est pas impossible que les Français aient alors la tentation de se venger en portant au pouvoir les courants extrémistes de gauche ou de droite, voire un mélange des deux, qui cette fois-ci plongeront le pays dans un abîme sans fin, la faillite et la guerre civile.
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