[Document] " On ne peut combattre le mal par le mal, ajoutant le mal à un mal ", c'est l'avis de Mgr Tauran, secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les États, à propos d'une éventuelle action militaire contre l'Irak.

Dans un entretien accordé le 9 septembre à l'Avvenire, le prélat estime que si le recours à la force était jugé " opportun et proportionné ", cette décision doit être prise dans le cadre des Nations unies. Mgr Tauran insiste pour que soient prises en compte " les conséquences pour la population irakienne, les répercussions possibles pour les pays de la région et la stabilité du monde ".

Cette position, constamment rappelée par le Saint-Siège, procède d'une logique : dans un monde globalisé, on ne peut juger le bien-fondé d'actions ou de politiques spécifiques qu'en fonction de l'amélioration apportée au sort de l'humanité tout entière. Une position rappelée par le cardinal Cormac Murphy-O'Connor, archevêque de Westminster, primat de l'Église catholique britannique et galloise dans le Times du 7 septembre, alors que le gouvernement de Tony Blair est totalement aligné sur la politique des États-Unis.

Irak : au risque d'un combat douteux, par Cormac Murphy-O'Connor

Une partie essentielle du catéchisme de l'Eglise catholique nous recommande, étant donné les malheurs et les injustices qui accompagnent toute guerre, de prier et de faire tout notre possible pour ne pas être entraînés dans un conflit armé. En fait, le texte va encore plus loin : "Tous les citoyens et tous les gouvernements doivent œuvrer pour éviter la guerre ."

Il existe de bonnes raisons pour lesquelles beaucoup, y compris notre propre gouvernement et celui des États-Unis, considèrent le régime irakien comme une menace pour la sécurité de la région et sans doute de l'Occident. Le président Saddam Hussein a commis de nombreuses atrocités contre son propre peuple. Il a obstinément refusé de se soumettre aux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, qui exigent que l'Irak rende ses armes de destruction massive. On peut penser qu'il a l'intention de se procurer des armes nucléaires, mais il n'existe aucune preuve à ce jour.

Aujourd'hui, la discussion entre les responsables occidentaux ne se limite pas à la nature de la menace et à l'intérêt d'un changement de régime en Irak ; elle pose aussi la question de savoir si ce changement doit être réalisé par une action militaire extérieure, c'est-à-dire en déclenchant une guerre.

Le catéchisme pose un certain nombre de conditions rigoureuses pour qu'un acte de défense - en l'occurrence une attaque préventive - soit considéré comme légitime. Une de ces conditions stipule que "l'emploi des armes ne doit pas entraîner des malheurs et des désordres pires que ceux qu'on veut éliminer". Le catéchisme note que "la puissance des moyens modernes de destruction pèse lourdement pour apprécier cette condition".

Une guerre en Irak causerait de grandes destructions et de grandes souffrances. Elle entraînerait aussi de très graves conséquences pour l'Angleterre et pour le monde. On peut raisonnablement penser qu'une intervention dresserait le monde arabe contre l'Occident et ruinerait les efforts faits pour la paix entre Israël et le peuple palestinien.

Le premier ministre Tony Blair a promis de publier les preuves qui justifient sa conviction de plus en plus grande que la menace que représente l'Irak est à la fois grave et imminente et que le régime doit changer ou être changé. Sans preuves convaincantes, ou mieux indiscutables, il est difficile de voir comment les craintes que nous pouvons avoir dans ce pays et à l'étranger pourraient être apaisées.

Puis il y a d'autres questions, proches et également pressantes, que l'on doit poser.

- Cette action militaire a-t-elle pour but de neutraliser une menace, de changer un régime, ou les deux ?

- Cette action militaire aura-t-elle pour effet de stabiliser ou de déstabiliser la région ? Permettra-t-elle de faire avancer ou de retarder la paix entre Israéliens et Palestiniens ?

- Cette action militaire aura-t-elle l'accord du Conseil de sécurité des Nations unies et, dans le cas de la Grande-Bretagne, celui de l'Union européenne ? Dans le cas contraire, quels seront ses effets sur les efforts entrepris pour créer une structure de lois internationales que toutes les nations respecteront ?

Il me semble que de nombreux Anglais auront du mal à soutenir les gouvernements britannique et américain dans ce qu'on envisage actuellement, sauf si, en plus des preuves promises, on peut leur fournir des réponses convaincantes à ces questions.

Mais on doit considérer encore autre chose. Une confrontation directe en temps de crise peut être inévitable, mais elle risque de créer autant de problèmes qu'elle se propose d'en résoudre. Il faut aussi prendre en compte les causes secondaires.

Juste après les horribles événements du 11 septembre 2001, j'ai assisté à Rome à une réunion d'évêques venus du monde entier. Des marques de profonde sympathie ont été adressées aux évêques américains et, au-delà d'eux, au peuple américain. Mais étaient également présents des évêques venus de pays parmi les plus pauvres du monde qui, tout en éprouvant beaucoup de sympathie pour les États-Unis, ont rappelé à leurs collègues évêques d'autres genres d'atrocités. Des millions de personnes ont été massacrées au Rwanda en 1994, sans réponse satisfaisante de la communauté internationale.

Les évêques africains ont aussi attiré notre attention sur la tragédie des milliers d'enfants de leurs diocèses qui mouraient chaque semaine par manque de nourriture et d'eau potable. Comparé aux ressources disponibles dans le monde entier, un tel dénuement n'est pas seulement une tragédie humaine - c'est aussi une terrible injustice.

Il serait facile de considérer cette tragédie comme entièrement séparée de "la guerre contre le terrorisme", ou de l'instabilité au Moyen-Orient, mais il existe un lien.

En consacrant des quantités presque inconcevables de ressources à la préparation et au déclenchement d'un conflit militaire, nous détournons inévitablement des fonds de la pauvreté vers la guerre. Ce faisant, nous fragilisons encore plus la vie de millions de gens, sans compter ceux qui seront victimes du conflit lui-même.

Le temps est peut-être venu d'envisager une coalition sans précédent afin d'aider les peuples les plus pauvres du monde - les Africains en premier lieu, mais aussi les populations déplacées et pauvres du Moyen-Orient. Ne serait-ce pas là une façon plus grande, aux effets plus durables et plus positifs de s'opposer à la fois au mal que représente le terrorisme et au scandale de la pauvreté dans le monde ?

On ne peut ni décrire ni défendre le terrorisme comme une opposition à la pauvreté ; mais on ne pourra pas non plus le vaincre par la seule force des armes. Même une guerre décisive et "victorieuse" ne ferait que créer des quantités de nouvelles victimes et que renforcer l'hostilité déjà existante.

Je suis persuadé que la puissance du sacrifice généreux, et non la puissance des armes, est la seule voie pour construire un monde plus juste et en paix.

Il existe des situations où une réponse immédiate à une menace importante sert un but préventif. Cependant, on ne peut résoudre les problèmes de notre planète uniquement par une action militaire unilatérale.

Dans un monde globalisé, on ne peut juger le bien-fondé d'actions ou de politiques spécifiques, qui ont un impact international, qu'en fonction de l'amélioration apportée au sort de l'humanité tout entière, en particulier les plus pauvres, et du renforcement des perspectives de paix.

Aujourd'hui, il existe de véritables raisons de douter qu'une action militaire en Irak réponde à ces critères.

Le cardinal Cormac Murphy-O'Connor est archevêque de Westminster, primat de l'Eglise catholique britannique et galloise.

© The Times. Traduit de l'anglais par Jean Guiloineau, Le Monde.>/i>