source[Causeur]C’était Martin Weill il y a deux ans. C’était Guillaume Meurice cette année. Mais aucun journaliste. A croire qu’il n’y a plus que les comiques qui se rendent à la Marche pour la Vie. Et ce n’est jamais pour se moquer des Femen, qui y font régulièrement leur petit happening.
Les journalistes avaient l’excuse de la météo, exécrable ce jour-là. Ce qui me laisse penser, d’ailleurs, que l’évacuation musclée des Femen était inutile. Torse nu par 7°C, sous la pluie et le vent, elles n’auraient pas tenu bien longtemps de toute façon.
Mais sous la même météo se déroulait le même jour dans la même ville une manifestation féministe contre Trump. « Quelques centaines » de personnes y participaient (« une centaine » seulement selon le Monde !), contre « quelques milliers » à la Marche pour la Vie. Les chiffres définitifs sont de 7000 à la marche anti-Trump (Le Parisien, l’article a été modifié et titrait initialement sur « plus de 2000 ») et 8500 (préfecture) à la Marche pour la Vie. Allez, mettons qu’il y avait à peu près autant de gens : la couverture médiatique des deux événements n’en est pas moins fort différente, avec des reportages et des interviews à la marche anti-Trump, quand la Marche pour la Vie était réduite à une brève dans le bandeau défilant en bas de l’écran. Si l’on tient compte du fait que « moins de 5% des manifestations bénéficient d’un traitement médiatique au-delà de la presse locale » (Rémy Rieffel, Que sont les médias ?, Gallimard, 2005, p. 296), ce genre de choix éditorial que ne justifie aucun chiffre est parlant. Il signifie que pour bien des journalistes, l’allusion vaut soutien et qu’il faut donc la faire aussi discrète que possible quand cela s’impose.
Pourtant, à la Marche pour la Vie, il n’y a pas que les numéros dégotés par Guillaume Meurice qui sont marrants. Il y a parfois les journalistes eux-mêmes. Ils se pointent à la Marche pour la Vie comme ils iraient au zoo, pour voir des énergumènes qui, « en 2018, sont encore contre l’IVG » (rendez-vous compte, ma brave dame) et parfois, ils essaient de ramener ces fous furieux à la raison avec des arguments imparables. Je me souviens de Martin Weill (du « Petit Journal » version Yann Barthès), expliquant à des militants du groupe « les Survivants » que l’embryon n’est « pas un être vivant ». La variante un tout petit peu plus subtile, qu’on entend aussi, est de dire que ce n’est pas un être humain. On a l’impression que, pour les journalistes, si l’embryon était un être vivant, ou pire, un être humain, il faudrait interdire l’IVG. Les journalistes sont donc des individus extrêmement rétrogrades.
En effet, évidemment, tuer un être vivant n’est un problème pour personne, ou seulement pour quelques écolos radicaux : les militants anti-IVG ne sont pas opposés à la cueillette du muguet ni à la dégustation des moules, activités qui consistent à tuer des êtres vivants. Et pour le point numéro 2 (être humain), embryon ne désigne pas la nature d’un être mais son stade de développement, comme « adulte » par exemple. Personne n’irait dire : « mais non, ce n’est pas un être humain, c’est un adulte ». Comme l’a fort bien rappelé le Professeur Israël Nisand, fervent militant pro-IVG : « dès la première cellule, c’est un être humain, ce n’est pas un castor ». Si l’avortement a pu être autorisé, c’est pour l’unique raison que juridiquement,
cet être vivant humain n’est pas une « personne ». Et c’est tout.
Le fameux droit des femmes à disposer de leur corps n’a jamais signifié que l’embryon faisait partie du corps de la femme. Il signifie que dans l’espace intime qu’est l’intérieur du corps de la femme, elle seule est habilitée à décider quels organismes ont le droit de vivre. Je tue les virus, les mauvaises bactéries, et les humains dont je ne veux pas (ou dont finalement je ne veux plus). C’est moi qui décide. Et le vrai scandale, c’est qu’aujourd’hui en France (en 2018 !), à 12 semaines de grossesse, une femme perd le droit de disposer de son corps.
[L’autre scandale, c’est qu’en France, aujourd’hui (en 2018 !), une femme qui avorte n’est pas forcément une femme qui veut avorter. Mais ça, pas vrai, on s’en fout. Elle avorte et elle ferme gentiment sa gueule si elle veut pas qu’on passe en mode explication façon Tex. Et puis avec le temps elle s’en remettra, et elle ira très bien merci.]
Donc continuons.
Rien ne se passe : aucune intervention divine dans la nuit qui sépare le dernier jour de la 12ème semaine et le premier jour de la 13ème semaine. Rien n’est ajouté, rien n’est enlevé. Sauf le droit pour la femme de décider si cet enfant doit vivre ou mourir : ce que je viens d’écrire est un argument classique des anti-IVG. Et pourtant, on l’entend de plus en plus dans la bouche des pro-IVG, parce que sans lui, il est impossible de plaider pour une extension du délai d’autorisation de l’avortement.
Ainsi, très bizarrement, quand Olivier de Lagarde (dans l’émission « Moi président ») demande à une Femen : « que répondez-vous quand on vous dit que l’embryon est un être humain ? », celle-ci, au lieu de répondre que c’est de la manipulation, se contente de rétorquer : « je réponds que beaucoup d’opposants à l’IVG sont pour la peine de mort. » Autrement dit : il y a des mises à mort légitimes, et seul importe le critère que l’on considère comme déterminant dans cette légitimation (culpabilité du condamné dans un cas, volonté de la femme enceinte dans l’autre).
Dans son billet rigolo, Guillaume Meurice trouve très drôle que des militants pro-life parlent de l’embryon comme d’un « enfant ». Mais c’est lui qui retarde : il n’imagine pas qu’on puisse dire la même chose en étant pro-IVG et même, en étant sur le point d’avorter. Il devrait parler avec Eva : après le décès de Simone Veil, Benjamin Illy tend son micro FranceInfo à Eva, 17 ans, qui vient au Planning Familial pour un avortement et qui affirme « chacun a le droit de faire ce qu’il veut de son corps, de garder un enfant comme de ne pas le garder. » Cette jeune fille se considère donc elle-même comme une mère infanticide. C’est très étrange. Il y a encore dix ans, elle aurait répondu que ce qu’elle avait dans le ventre n’était pas encore un être humainet qu’elle demeurait donc libre d’en faire ce qu’elle voulait. Le changement de discours est ainsi en passe d’être entériné par l’opinion publique et trouve sa justification dans le propos de la conseillère du Planning :
Il y a évidemment des gens, même des progressistes, pour trouver impensable d’avorter des fœtus de 7 ou 8 mois : « là, ça devient trop dégueulasse quand même » (quel argument !). Il y a même des médecins qui sont mal à l’aise à l’idée de faire accoucher une femme d’un bébé mort, ce qui arrive déjà avec les IVG médicamenteuses à 12 semaines (14 SA) : et les droits des femmes alors, bordel ? Il ne faut pas faire médecine quand on a le cœur mal accroché, les cocos ! Au demeurant, l’avortement très tardif se pratique déjà ailleurs… et même déjà chez nous dans le cadre du très mal nommé « avortement thérapeutique » (qui ne soigne rien). Promenez-vous dans les cimetières, vous verrez des tombes dans lesquelles reposent des individus qui n’ont ni personnalité juridique ni nom de famille mais qui sont dotés d’un prénom et d’une inscription à l’état civil. Ils ont été éliminés lors d’un avortement, pour les plus jeunes à 4 mois et demi de grossesse, soit 8 semaines de plus qu’une IVG sans motif médical. On entend également parler, de plus en plus fréquemment, de l’infanticide néonatal en milieu médical : Bébé handicapé, qui devait sortir mort, survit à son avortement. Erreur médicale ! Vite fait, bien fait : couic (ou plutôt plouf puisque les médecins les plus prévoyants se préparent un baquet pour noyer comme un chaton le bébé qui aurait la mauvaise idée de sortir vivant). Fini Bébé, a pu !
On ne peut pas dire que cela secoue l’opinion. Cela ne choque personne (à l’exclusion des gens qui, en 2018, considèrent encore que etc. mais ceux-là, on s’en tape). Comme quoi, les mentalités évoluent, et ça c’est toujours bien.
Mais tout cela ne durera pas. La vie triomphera. La vie triomphera parce que ces millions d’euros sanguinolents qui partent quotidiennement dans la cuvette des toilettes ou la poubelle des déchets biologiques, ça vous a quand même quelque chose de répugnant : je veux dire, quel gâchis de fric !
On pourrait changer la loi pour obtenir l’autorisation de charcuter un peu ces choses, histoire de voir si on ne peut pas en tirer une cellule ou un organe qui puisse se vendre. Mais il y a mieux, tellement mieux. La science, la technique, c’est vraiment chouette. On peut transférer des organes, des gamètes ? On pourra bientôt transférer des embryons et des fœtus. Don de rein, don de sperme, don de fœtus. Plus besoin de les zigouiller. Au lieu d’avorter, on fera don de son embryon à une femme infertile ou à une lesbienne ; ou bien on le fera mettre dans un utérus artificiel afin de pouvoir le vendre, pardon, le donner à la fin de la « grossesse ». J’ai confiance : la vie triomphera. Mais pas sûr que les pro-life seront plus satisfaits demain qu’aujourd’hui.
Pas sûr, en effet, que l’humanité en sorte grandie.
Texte dédicacé à l’être humain sans personnalité juridique (et beaucoup trop bien portant pour pouvoir être légalement occis) qui se développe dans mon utérus.
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