La tragique expansion du virus Ebola aurait-elle pu être maîtrisée ? L’expérience épidémiologique montre qu’une prévention adaptée avec une intervention médicale classique mais conséquente est plus efficace que le recours massif à l’hypothétique espoir du vaccin miracle.
Depuis le mois de mars 2014, ce virus qui induit une fièvre hémorragique ravage trois pays voisins de l'Afrique de l'ouest, la Sierra Leone, le Libéria, et la Guinée, coincés entre le Sénégal à l'ouest et la Côte d'Ivoire à l'est. L'alerte a été lancée au mois de mars par Médecins sans frontières (MSF), l'ONG française à la pointe de la lutte contre cette épidémie, et sans qui l'Organisation mondiale de la santé serait aujourd'hui encore plus mal en point qu'elle ne l'est.
La gestion de la crise par l'OMS est en effet sur la sellette pour n'avoir pas su anticiper l'ampleur de l'épidémie à un moment où elle aurait encore pu être maîtrisée. Plus de 4 800 morts à ce jour et près de 10 000 contaminations, sans oublier tous ceux qui ne sont pas détectés, c'est par un facteur 10 ou 20 la plus grave épidémie due à Ebola depuis sa découverte dans les années 70.
Pourtant le 22 mars, la situation aurait pu être contrôlée ; on comptait à ce moment-là 49 cas suspects et 29 morts, comme cela arrive régulièrement en RDC, au Congo, au Gabon ou en Ouganda où aucune épidémie n'a jamais atteint une telle ampleur. Mais c'est la première fois que l'Afrique de l'Ouest était touchée, et la réaction est venue beaucoup trop tard. Ce n'est que cet été que l'OMS s'est vraiment alarmée, alors que l'épidémie était déjà hors de contrôle.
Des causes banales
Si on en est arrivé là, c'est hélas pour de très banales et classiques raisons : Ebola a touché des pays pauvres sans ressources majeures, sortant d'années de guerres ou de guérillas, et sans aucune expérience de ce virus. Le nombre de nouveaux cas diagnostiqués ne montre hélas aucun signe de fléchissement et certains envisagent le pire avec plus de 1,4 million de cas d'ici janvier.
De nombreux témoignages indiquent que les médecins de MSF, de l'OMS et même les intervenants locaux ont été très mal accueillis dans les villages, voire rejetés et même malheureusement tués en une occasion en Guinée. Le bruit a couru que c'était eux qui propageaient la maladie. La situation est donc tragique et à ce jour nul ne sait comment maîtriser cette épidémie sans précédent.
Raisons d’espérer
Il y a pourtant des raisons d'espérer. Par exemple le Sénégal et le Nigéria qui avaient été touchés ont réussi à juguler la propagation du virus.
Le Nigéria en particulier avait été mis dans une situation très délicate par un diplomate inconscient : infecté par Ebola, il se déplaça de Lagos à Port-Harcourt pour être traité par un médecin qu'il connaissait ; cela se passa entre le 1er et le 3 août. Une fois guéri, il s'en retourna chez lui sans mentionner son voyage. Mais entretemps le médecin avait contracté le virus à son tour et tomba malade le 11 août. Ne disant rien il continua à voir des patients pendant deux jours, puis reçut de nombreuses visites à l'occasion d'une naissance. Il fut hospitalisé le 16 et mourut le 22, la confirmation de la présence du virus n'arrivant que le 27 août.
Il y avait donc potentiellement des centaines de personnes contaminées, de Lagos à Port Harcourt et entre les deux villes. Pourtant il semble que cette histoire, racontée par le service des actualités du magazine Science, n'a pas eu les conséquences tragiques qu'elle aurait pu entraîner, heureusement pour ce pays.
Par ailleurs, il est désormais certain que l'apparition d'Ebola en RDC annoncée le 26 août constitue une épidémie indépendante et qu'elle a été maintenue sous contrôle : aucun nouveau cas n'a en effet été identifié depuis le 21 septembre (source : CDC.gov) et ce pays devrait donc également prochainement être considéré comme débarrassé du virus.
Il faut bien sûr aussi mentionner les cas récents des États-Unis (dont le dernier à New York : un médecin de MSF qui a quitté la Guinée le 14 octobre) et de l'Espagne où le virus pourrait encore se propager, mais où aucun nouveau cas n'a été décelé dans les derniers jours.
Les leçons de l’histoire
Qu'aurait-il fallu faire en mars-avril ? Investir massivement dans des campagnes relayées par des réseaux locaux connus et appréciés des habitants des villes et des villages pour les informer par des canaux en qui les gens avaient confiance. C'est par exemple ainsi que l'Ouganda avait considérablement réduit l'impact du VIH entre 1990 et 2001 (Stoneburner, Low-Beer, Science, 2004 ; commentaire dans Liberté Politique). Il avait fallu des années pour arriver à ce résultat, à savoir une baisse de la prévalence de 30% à 5%, mais on devrait se souvenir de cette leçon de l'histoire.
Tout baser sur la recherche d'un vaccin ou d'un traitement expérimental comme le font trop de pays industrialisés à l'heure actuelle est symptomatique de notre société : c'est utile bien sûr, et même indispensable, mais ce recours massif à la technique automatique prend le pas sur le reste. Il faudrait envoyer des médecins et des infirmiers, des hôpitaux de campagne, du matériel de base, des tests rapides et fiables (une société française vient d'annoncer la mise au point d'un tel test) et se donner les moyens de diffuser de façon efficace les campagnes de prévention.
Début octobre, Cuba a déployé pas moins de 165 médecins et personnels soignants en Sierra Leone ; ils ont été rejoints par 83 nouveaux médecins et infirmiers cette semaine, et ce nombre doit encore augmenter dans les semaines qui viennent (source : Le Parisien).
Aucun pays industrialisé n'a su apporter une réponse similaire à ce jour, et on ne peut que le regretter. Avec l'ONG Médecins sans frontières, la France est bien sûr très impliquée, mais comment se fait-il que notre pays se repose sur une ONG, là où une aide de l'État, en particulier envers une ancienne colonie comme la Guinée, serait particulièrement appropriée ? On notera d'ailleurs que les grandes puissances se sont réparties leurs efforts selon cette ligne : la Guinée pour la France, la Sierra Leone pour le Royaume-Uni, et le Liberia, pays où se sont installés de très nombreux descendants d'esclaves américains, aux États-Unis (source : Bloomberg.com).
Des risques contrôlables, mais pas partout
En France, l'importation du virus est une quasi-certitude. Mais là où en Afrique de l'ouest les malades ont eu trop tendance à se réfugier chez eux par manque de confiance envers le personnel soignant, on peut s'attendre à ce qu'une personne atteinte en France se précipite chez un médecin et soit immédiatement prise en charge.
Il n'y a donc à ce jour aucun risque d'une épidémie d'une grande ampleur dans un pays industrialisé : ce qu'ont su faire le Sénégal, le Nigéria ou la RDC des dernières semaines, nul doute que nous en serons capables.
Mais cela ne devrait pas détourner notre regard de la situation tragique vécue par trois pays de l'ouest africain. Car si l'épidémie devait se propager de proche en proche en Afrique de l'Ouest (et c'est le cas avec un patient signalé au Mali), un risque qui grandit chaque jour, la situation pourrait devenir incontrôlable non plus à l'échelle de trois pays, mais sur une zone géographique bien plus étendue.
Albert Barrois est directeur d’une équipe de recherche en science bio-médicale.
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Les médecins et le personnel soignant ont payé un lourd tribut au virus Ebola dans les trois pays les plus touchés. Ce qui manque le plus, ce sont les moyens d'éviter des contaminations à l'hôpital tant pour le personnel soignant que pour les malades hospitalisés. Cela explique la méfiance des populations qui redoutent d'être contaminés à l'hôpital...
Il y a plus de médecins africains en Europe, qu'en Afrique.