Comité d'éthique : la peur du mot juste

Jean-Marie Le Méné, 23 novembre 2004

Dans une interview donnée au journal Le Figaro le 16 novembre, à l'occasion des Journées annuelles d'éthique, le Pr.

Didier Sicard, président du Comité national consultatif d'éthique (CCNE) stigmatise la commercialisation du corps humain comme "un phénomène irréversible".

À la question de savoir s'il existe, dans notre pays, un acharnement procréatif, le Pr. Sicard répond en faisant état d'un triple paradoxe. D'abord une surmédicalisation de la procréation pour permettre à des femmes de plus en plus âgées d'avoir des enfants. Ensuite, une augmentation du nombre de naissances d'enfants handicapés issus de ces techniques d'assistance médicale à la procréation. Enfin, des grossesses naturelles soumises à un "screening biologique et échographique de plus en plus impitoyable".

Au total, le Pr. Sicard relève que "la société n'a pas encore intégré ce phénomène contradictoire". Mais n'est-ce pas un peu court de parler seulement de paradoxe et de suggérer à la société de le digérer ? Il y a un surprenant décalage d'intensité entre l'observation du phénomène de société et la réaction éthique. En fait, la gravité de ce qui se passe actuellement – en matière bioéthique - ne suscite pas de commentaire particulier de la part du président du CCNE. Il prend acte, mais ne dit pas ce qu'il en pense. Est-ce un bien ou un mal pour la société ? Faut-il continuer dans cette voie ou changer de cap ? Le CCNE, qui n'est pourtant que consultatif ne délivre pas d'éthique ; il semble échoué au milieu du gué.

Cet échouement est aussi l'aveu d'un échec. Les comités d'éthique, étatiques par définition, ont consenti à n'être que des jardins d'acclimatation de la transgression. Prévus pour rendre acceptable ce qui ne l'est pas encore, les comités d'éthique sont devenus le purgatoire de la transgression. Dans tout ce qui est décrit par le Pr. Sicard – et qui est parfaitement légal – quelle nouveauté a fait l'objet d'un avis négatif du CCNE ?

Il en résulte une inquiétante euphémisation de la situation. Non, on ne se contente pas, dans notre pays, de tout mettre en œuvre pour favoriser la procréation chez les couples en mal d'enfants, au risque de donner naissance à des enfants grands prématurés.

On est dans l'eugénisme en fabriquant aussi des embryons in vitro dans le but de les sélectionner et de ne réimplanter que le plus apte.

On est dans l'utilitarisme en mettant aussi la main sur les embryons fabriqués en trop dans le but de les détruire et de récupérer leurs cellules souches. La perspective est d'ailleurs purement économique (les essais sur l'embryon sont moins coûteux que sur l'animal), car la voie poursuivie est sans issue thérapeutique.

Non, le screening anténatal n'aboutit pas seulement à la "non-naissance" d'enfants normaux. Il aboutit surtout à l'avortement de la quasi-totalité des enfants handicapés dépistés et aussi à l'avortement d'un certain nombre d'enfants normaux.

Exhiber des paradoxes n'est pas un but en soi. Tout ceci est-il absurde ou a-t-il un sens ? À défaut d'être une exigence intellectuelle, le choix du mot juste devrait constituer le service minimum du respect de l'opinion publique. Surtout quand il s'agit de la manipulation de la vie humaine. Et que la parole est donnée à un comité dit d'éthique.

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>