Grand battage médiatique autour du centenaire des "Semaines Sociales de France". À cette occasion, la célèbre institution chrétienne attend plus de 4000 participants européens à Lille, du 23 au 26 septembre.

Objectif affiché : "Débattre et témoigner de la société européenne d'aujourd'hui pour construire celle de demain." Une rhétorique alambiquée qui rappelle les belles années de l'Action catholique, mais qui rencontre encore du succès. Animées par des "chrétiens sociaux", les Semaines sociales ont vécu une histoire parfois agitée, très marquée par l'aile marchante de l'Église de France. Dans les années soixante-dix, les mauvaises langues parlaient des "Semaines socialistes", au point que celles-ci connurent "une éclipse", comme l'avoue pudiquement leur site Internet (www.ssf-fr.org). Aujourd'hui, les "chrétiens sociaux" sont plutôt socio-démocrates et euro-fédéralistes.

L'histoire des Semaines sociales commence donc en 1904. Dans le but de diffuser l'enseignement social du pape Léon XIII, Marius Gonin et Adéodat Boissard mettent en place des "semaines sociales" destinées à réunir pendant plusieurs jours des catholiques désireux de réfléchir aux questions qui traversent la société de leur époque. La première rencontre se déroule à Lyon. Jusqu'aux années 1970, conçues comme des universités d'été, les Semaines se succèdent pratiquement annuellement, chaque année dans une ville différente.

À la charnière des années 1960 et des années 1970, les Semaines sociales traversent une grave crise qui leur est pratiquement fatale : tensions, contestations et confrontations s'y manifestent vivement. Ainsi, évoquant la rencontre de Rennes de juillet 1971, La Documentation catholique titre-t-elle dans son numéro du 5 septembre 1971 (n° 1592, p. 771) : "À Rennes, une semaine sociale laborieuse a pressenti une société naissante."

À propos des interventions, des débats et des conférences (notamment celle du marxiste Guy Besse), l'article utilise les termes : "expériences conflictuelles" ; "corps instables" ; "effervescence militante" ; "bouillonnement productif à partir d'affrontements mieux sentis et mieux assumés".

 

Le thème de la rencontre de Lyon en 1973 reste dans l'air du temps : "Chrétiens et Églises dans la vie politique." La Documentation catholique en témoigne (n° 1637, 5-19 août 1973, p. 720) : "Quatre hommes engagés viennent expliquer comment leur foi chrétienne les a amenés à leur combat politique et dans quel esprit ils le mènent : Claude Bernardin [PS], François Borella [PSU], Jean Foyer [UDR], Jean-Marie Daillet [réformateur]." La revue poursuit en annonçant des semaines sociales qui ne verront finalement pas le jour : "La session "Études et recherches" de 1974 portera sur la contestation générale des institutions. Elle sera suivie en 1975 d'une session "Rencontres et confrontations"."

Le schéma d'une semaine de réflexion est abandonné après la rencontre de Lyon de 1973. Les manifestations, quand elles ont lieu, se circonscrivent désormais à un, deux ou trois jours. En 1987, un certain renouveau est annoncé. Si certains participants rajeunissent les assemblées successives, le fait n'est pas généralisable et ces dernières années voient le recours à des intervenants déjà présents trois décennies plus tôt. L'appui du puissant groupe Bayard-Presse qui injecte des fonds substantiels dans l'institution (et le soutien actif de sa machine de guerre commerciale dans les réseaux paroissiaux de l'Ile-de-France), et l'arrivée de notables socio-démocrates très en cour dans l'establishment (Jean Boissonnat, Michel Albert, Michel Camdessus), consolident ce second souffle. Les Semaines retrouvent leur rythme annuel à partir de 1995, avec une participation qui dépasse chaque année 2.000 personnes.

Progressisme pas mort

Mais le progressisme chrétien affiché par les derniers présidents ne laisse pas d'étonner, alors que les Semaines sociales s'attribuent volontiers une autorité officielle bénie par les autorités ecclésiastiques. Publié en 2002, le livre de Jean Boissonnat et de Michel Camdessus, Notre foi dans ce siècle (Arléa), mêle le volontarisme européen ("Le projet européen est un refus explicite des logiques "naturelles" de l'histoire humaine" p. 77), aux errances ecclésiologiques.

Irrités par le "centralisme autoritaire et crispé" de l'Église de Rome, les auteurs cherchent l'Esprit-Saint dans le monde (où la troisième personne de la Trinité cohabite avec le berceau des droits de l'homme et de la femme), prêchent pour l'encadrement démocratique du pape et le diaconat des femmes. On trouvera également une recommandation pour l'instauration de périodes de vie commune entre séminaristes et futurs imams, et, dans un autre ordre d'idées, un plaidoyer en faveur de la contraception. Dès lors, comment trouver du crédit aux conclusions des travaux proposés aux participants ? Depuis quand fait-on du social équilibré sur du théologique aventureux?

À l'occasion du centenaire, Jean-Paul II avait été invité à se rendre à Lille, mais, pour son nouveau déplacement en France, le Pape a jugé préférable de se rendre en pèlerin au sanctuaire marial de Lourdes le 15 août. Ce choix a coupé court aux affirmations de l'évêque de Lille, Mgr Defois, annonçant qu'il allait accueillir le pape pour la cinquième fois de sa vie. C'est finalement le cardinal Etchegaray qui représentera le Saint-Père.

La présence annoncée de Martine Aubry à cette rencontre ecclésiale de Lille (au sein d'un échantillon socialiste conséquent), a surpris les observateurs qui se souviennent des attaques de l'actuel maire de Lille contre la venue du pape Jean-Paul II en septembre 1996. Il est vrai qu'elle ne sera pas la seule à faire partie de ceux qui s'en prennent à celui qui, de l'Église, représente le "centralisme autoritaire et crispé".

*Ludovic Laloux est historien, auteur notamment de Passion, tourment ou espérance ? Histoire de l'Apostolat des laïcs, en France, depuis Vatican II (F.-X. de Guibert, 2003) et de Histoire du christianisme au XXe siècle (F.-X. de Guibert, 2004).

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