CENTRAFRIQUE | Père Yves Genouville : « À ce jour, les viols présumés ne sont pas avérés »

Des militaires de l’armée française sont accusés d’abus sexuels sur de jeunes enfants à Bangui. Ancien aumônier militaire, le père Yves Genouville analyse les faits et le traitement de l’information, avec son expérience de prêtre et de soldat : “En situation de guerre, la neutralité n’existe pas.”

LIBERTE POLITIQUE. — L’accusation portée par l’ONU contre l’armée française en Centrafrique vous paraît-elle fondée ?

PÈRE YVES GENOUVILLE. — L’étude objective de ce que nous pouvons connaître à ce jour de cette affaire nous montre qu’aucun des faits mentionnés ici ou là n’est avéré. Une enquête est ouverte depuis le mois de juillet. Des gendarmes de la prévôté ont mené des investigations sur place, comme le veut la procédure. Sur toutes les chaînes de télévision (ou dans les journaux, comme l’Obs, Ndlr) on cite des pseudo-témoins. Qui peut garantir leur fiabilité ?

Les autorités françaises sont officiellement saisies de l’affaire depuis juillet 2014, mais c’est un dossier très complexe, car il y a eu plusieurs milliers de militaires qui sont passés en Centrafrique et les faits se seraient étalés sur plusieurs mandats différents. L’aumônier militaire que j’ai été ne peut que regarder cela avec la plus grande prudence : il n’y a aucune certitude à l’heure actuelle.

Les sources de l’information (des journaux anglais, notamment) laissent penser qu’il s’agit d’une opération d’intoxication, comme il y en a déjà eu par le passé…

Le calendrier est très surprenant. Les révélations sur les faits supposés sont en effet arrivées juste avant l’ouverture du forum de Bangui. On sait que la France a une position sur la situation divergente sur certains points de celle des Anglo-Saxons. Sortir une affaire de ce type à ce moment précis est un bon moyen de négocier en position de force. Le rapport cité par les médias anglais a été écrit par un haut-fonctionnaire de l’ONU.

Lorsque l’on voyage dans certains pays, on sait ce que signifie une source onusienne : ce n’est pas toujours un gage de fiabilité. Ce qui laisse planer un doute indéniable.

En France, on a l’impression que l’armée a droit à un traitement particulier dans les médias. Le traitement médiatique des affaires de pédophilie dans l’Éducation nationale et l’accusation portée contre les soldats français ne laissent-ils pas penser qu’il y a là « deux poids, deux mesures ? »

Le traitement particulier que vous évoquez ne me choque pas car le métier des armes est un métier hors-norme. Il me semble donc normal que nous ayons un traitement comme tel.

Mais il ne faut pas généraliser : il y a tout de même des journalistes qui savent de quoi ils parlent et qui sont de fins connaisseurs du monde de la Défense. Cependant, il est vrai que, dans le milieu germanopratin, certains sont plus éloignés de l’armée que de l’Éducation nationale, ce qui peut expliquer un certain décalage. Lorsqu’il s’agit de l’armée les choses s’emballent tout de suite.

Il faut aussi savoir qu’en situation de guerre, la neutralité n’existe pas. Chaque information est cruciale pour les deux camps, et nous savons que dans de précédents conflits, certains journalistes français ont servi l’adversaire, parfois de manière inconsciente.

Quelque chose m’a cependant beaucoup marqué ces dernières années, lorsque l’on sortait des histoires sordides sur l’armée française : la plupart du temps, après une enquête sérieuse, l’on apprenait que la réalité était tout autre et ne justifiait pas le début d’une polémique. Pourtant, le mal était fait. Il faut être très prudent.

N’existe-il pas une incompatibilité entre la communication des militaires, qui s’inscrit dans le temps long, et la recherche du scoop ?

On a beaucoup reproché le manque de communication de l’armée au début de Serval par exemple (l’opération s’est montée dans l’urgence, Ndlr). Les armées sont très soucieuses de leur communication, qui est une donnée stratégique, mais il est normal que nous n’ayons pas une vision complète de tout ce que se passe à la guerre.

Un des anciens chefs d’état-major de l’armée de terre parlait du « caporal stratégique » pour expliquer que chaque soldat est un maillon extrêmement important de la chaîne. Son comportement peut avoir une influence majeure sur la conduite des opérations. Et il le sait. La moindre attitude ou action d’un soldat peut avoir de fortes répercussions.

Le temps du soldat est différent de celui du journaliste : le soldat est soldat 24 heures sur 24, même chez lui, même en permission. Et cela peut aussi sembler injuste pour le soldat de voir son (bon) travail remis en question par les actes supposés de quelques-uns. Comme le dit le colonel Goya sur son blog, même s’il y a eu quelque chose et que ces faits sont graves, cela ne doit pas remettre en cause l’action de nos armées.

L’armée française, surnommée aussi la grande muette, n’a-t-elle pas tendance à faire régner le silence sur ce genre d’affaire ?

Je ne peux parler que de ce que je connais mais je n’ai pas ce sentiment. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience que ces sujets sont des sujets sérieux. Et quand il y a, comme dans tout groupe humain, des fautes, elles sont traitées et punies. Je n’ai jamais vu d’ordre passer disant : « Il ne faut pas parler de tel sujet. » Les seules informations que l’on ne peut divulguer sont celles qui peuvent mettre en danger d’autres soldats. On l’a vu avec les réseaux sociaux, nos soldats peuvent être mis en danger très rapidement.

Comment prendre du recul sur ce type d’affaires ?

Notre responsabilité doit d’abord être celle de vérifier nos informations et d’exercer un vrai sens critique. Nous avons cette possibilité grâce à l’Internet. C’est très important. Quand on lit un article sur le web, identifier l’auteur permet de mieux cerner le texte.

Prenons le cas de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), très instructif. Il s’agit d’un organisme qui a abreuvé les médias occidentaux sur la guerre en Syrie. Or derrière cette source presque unique pour la plupart des médias, se trouve un seul homme, qui relaie de manière partiale ses informations. Une simple vérification sur l'Internet permet de s’en rendre compte. Les journalistes ne font pas toujours ce travail de vérification, par manque de temps ou par paresse. Ou par idéologie. Cet exemple est intéressant, et montre combien l’on est à la fois sur informés et, paradoxalement, désinformés.

Quel est le rôle de l’aumônier militaire en pareille situation ?

D’abord savoir rester à sa juste place. Il a un statut, une mission d’aumônier militaire. Il doit savoir faire l’interface entre les hommes et le commandement, sans pour autant interférer. S’il peut accéder directement au chef, cela n’est pas un passe-droit. C’est un discernement permanent que l’aumônier militaire doit mener. Il n’y a pas de règle, c’est à chacun de s’adapter en fonction des situations particulières. Il est aussi au service de deux institutions, l’armée et l’Église. Il faut donc trouver son équilibre en permanence.

 

Le père Yves Genouville est prêtre du diocèse de Versailles, ancien aumônier militaire, curé de la paroisse Saint-Symphorien. Il est contributeur du Padre Blog.

Propos recueillis par François de Lens.

 

Sur ce sujet :

L’avis du général Philippe Bény

 

 

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