A l’heure où l’on parle de rendre le vote obligatoire, seuls trente députés étaient présents à l’Assemblée jeudi 16 avril pour voter le projet de loi sur le renseignement. Moyen ultime de lutte contre le terrorisme pour le gouvernement, cette loi n’est pas cependant sans dangers.
Adrienne Charmet-Alix est porte-parole de l’association la Quadrature du net, qui défend les droits et les libertés des personnes sur l’Internet. Elle explique à Liberté politique pourquoi cette loi est dangereuse, malgré ses bonnes intentions.
LIBERTE POLITIQUE. —Pourquoi vous opposez-vous à cette loi sur le renseignement ?
ADRIENNE CHARMET-ALIX. — La loi sur le renseignement a un objectif louable : donner un encadrement légal adapté aux activités des services de renseignement, qui fonctionnent jusqu'à présent dans un cadre dépassé et avec des activités largement illégales. Mais elle présente un certain nombre de points inquiétants, à la fois dans le détail et dans l'équilibre d'ensemble :
- légalisation massive des pratiques illégales des services de renseignement, permettant une surveillance large et très intrusive pour la vie privée des citoyens, ainsi que des conservations très longues des données collectées ;
- extension des champs d'action du renseignement intérieur et extérieur, avec des finalités extrêmement vastes et dangereuses pour la démocratie ;
- dispositions permettant la collecte généralisée des données des citoyens sur Internet afin de permettre le tri par algorithmes des comportements « suspects » ;
- mise en place d'un régime de « surveillance internationale » pour les communications « émises ou reçu à l'étranger », qui concernera donc massivement les résidents français tout en contournant les maigres protections prévues pour la surveillance nationale ;
- installation d'une commission de contrôle n'ayant qu'un avis consultatif sur les demandes d'interceptions, celles-ci demeurant dans la main du pouvoir politique (Premier ministre).
Le gouvernement assure qu’il s’agit d’une loi longuement réfléchie. N’est-elle pas pourtant une conséquence directe des attentats islamiste de janvier ?
Le projet de loi était dans les cartons depuis au moins un an, voire deux. Les derniers rapports de la Délégation parlementaire au renseignement montraient qu'il devenait urgent de légiférer. Le gouvernement avance également qu'il encourait une condamnation de la CEDH s'il restait sans législation.
Nous attentions ce projet de loi éventuellement en 2015, mais sans certitude et plus tard dans l'année.
Les attentats de janvier ont certainement servi de déclencheurs à la présentation rapide du projet de loi. Nous le craignions, et nous n'avons pas été déçus.
S’opposer à cette loi, n’est-ce pas entraver l’action antiterroriste des forces de l’ordre ?
Non, s'opposer à cette loi n'est pas entraver l'action antiterroriste, pour deux raisons :
D’abord, l'objet de cette loi n'est pas la lutte contre le terrorisme mais le renseignement en général, et notamment le renseignement intérieur.
Comme le précise le texte, les finalités du renseignement intérieur sont bien plus larges que le terrorisme, on y trouve également la défense des intérêts économiques et scientifiques de la France, la lutte contre les violences collectives pouvant troubler l'ordre public, la criminalité et la délinquance organisée, etc.
Ces nombreuses finalités étendent très largement le champ de la surveillance, parce qu'elles augmentent le nombre de raisons et de périmètres permettant qu'on puisse se retrouver surveillés.
Opposer systématiquement le terrorisme à l'opposition à cette loi est donc un piège sémantique.
Quelle est la seconde raison ?
Les méthodes proposées dans ce projet de loi ne sont pas les bonnes. Sur les mesures de surveillance ciblées nous n'avons pas d'oppositions majeures, sauf que nous souhaitons un encadrement en amont de la mise en place d'interceptions qui soit bien plus fort, en raison de l'élargissement décrit plus haut.
En revanche, les mesures de surveillance massive de type « boîtes noires » sont connues pour être notoirement inefficaces dans la lutte contre le terrorisme (y compris par la NSA), parce qu'elles noient les services sous des masses énormes de données, des milliers de faux-positifs, mais aussi parce qu'elles poussent à une modification des comportements des potentiels terroristes.
Par exemple, les mesures adoptées aux USA lors du Patriot Act ont poussé dans les 10 dernières années les éléments les plus dangereux du terrorisme ou de la très grande criminalité à ne plus utiliser Internet, ou à ne l'utiliser qu'avec des méthodes d'anonymisation très poussées. On pousse les « terroristes » sous les radars de la surveillance, et on surveille quand même toute la population.
Les services de renseignements vont pouvoir scanner tous les échanges entre les personnes. Cela n’est-il pas déjà fait par les géants du net (Facebook, Google, etc.) ? Pourquoi s’en inquiéter, alors ?
Tout d'abord, ce n'est pas parce que certaines entreprises font des choses dangereuses avec nos données personnelles que l'État doit faire de même.
Ensuite, il ne faut pas amalgamer les deux. Un service comme Google, Facebook, etc. reste un service : si je ne veux pas l'utiliser, je ne l'utilise pas. J'ai le choix. En revanche, je n'ai pas le choix de ne pas être espionné par mon gouvernement.
De même, les services web sont soumis à un certain nombre de contraintes réglementaires, principalement édictées par la CNIL en France, et le Règlement européen sur les données personnelles en Europe. Les services de renseignement ne sont pas soumis à cela.
Enfin, chaque service web collecte des données spécifiques qui l'intéressent dans son objectif marketing. Il reste, même si c'est de moins en moins sensible, des cloisonnements dans les données personnelles, tout n'est pas amalgamé.
Un service de renseignement peut, au contraire, collecter l'ensemble de vos données personnelles, votre réseau de relations, vos activités bancaires, vos données de santé etc. C'est beaucoup plus intrusif.
N’est-il pas un peu tard pour se mobiliser ? La Manif pour tous a déjà subi, semble-t-il, ce genre de surveillance en 2013…
Je doute que La Manif pour tous ait subi en 2013 une surveillance généralisée comme celle qui est en passe d'être légalisée.
Qu'elle ait été surveillée comme l'ensemble des mouvements sociaux sont surveillés, c'est certain. Mais probablement pas davantage, et sur un mode assez classique.
Il est difficile de se mobiliser contre quelque chose qui n'existe pas matériellement. Se révolter contre des pratiques occultes des services de renseignement sans preuve, c'est impossible.
Cette loi avait pour objectif affiché d'être une « grande loi sur le Renseignement » qui règlerait enfin tous les problèmes, et il apparaît que c'est essentiellement une loi qui sert à immuniser les services de renseignement dans leurs actions, et à renforcer la surveillance massive. L'alliance de circonstance entre la droite « dure » et la gauche de gouvernement sur ce sujet montre d'ailleurs qu'il ne s'agit pas ici de porter une vraie politique du renseignement, qui définisse les grandes lignes des rapports entre une société, ses citoyens et ses services, mais de légaliser les pratiques existantes et de faire en sorte que le pouvoir politique puisse garder la haute main sur les activités des services, sans trop de contrôle judiciaire ou citoyen.
Propos recueillis par François de Lens.
En savoir plus :
Le projet de loi sur le renseignement
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Adrienne Alix a pendant plusieurs années, anonymement avec d'autres personnes tenu un blog (http://wikirigoler.over-blog.com/) à partir duquel elle a attaqué des contributeurs de wikipédia. Il n'est pas étonnant qu'elle s'inquiète de lois qui permettraient de régir les dérives d'internet.