Beaucoup de Français, toujours prêts à nourrir leurs complexes face aux Allemands, même quand il n'y a pas lieu, voient ces jours ci l'accord trouvé avec Tsipras au sujet de la Grèce comme le triomphe de la domination allemande, Angela Merkel étant ainsi consacrée comme l'arbitre incontournable des destinées de l'Europe.
Nous pensons qu’une telle approche est illusoire et que, quant au fond, les Allemands n'ont guère à se glorifier de la manière dont les choses se sont passées.
D'abord parce qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient : au moins Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, en phase avec la grande majorité de l'opinion allemande, voulait que la Grèce sorte de la zone euro. Le gouvernement français était, on le sait, plus compréhensif vis-à-vis de la Grèce. Ce qui explique la différence d’attitude entre l'Allemagne et la France, l'une paraissant dure et l'autre flexible, c'est que les opinions publiques y sont dans un état d'esprit très différent.
Les Français et les Allemands
Les Français, au fond, se moquent de ce que va devenir la Grèce et, si on les pousse, ils auraient plutôt de la mansuétude (pas tous, l'anti-hellénisme se développe aussi chez nous), croyant, comme tout le monde et comme, semble-t-il, le gouvenrment grec lui-même, que le salut est pour la Grèce de rester dans l'euro.
Les Allemands sont, dans leur majorité, attachés au maintien de la monnaie unique parce que leur classe dirigeante est, sur ce sujet, sous hypnose, comme toues les classes dirigeantes de l'Europe continentale, ne concevant qu'il y ait une vie possible hors de l'euro. En outre, depuis que les réformes de Schröder y ont abaissé les coûts, l'euro profite à certains intérêts allemands, en particulier à tous ceux qui exportent en Europe. Or, comme l'a dit Angela Merkel, le départ de la Grèce sonnerait le glas de l'euro dans son ensemble.
Mais en même temps les Allemands sont remontés à fond contre les Grecs, ils ne veulent plus en entendre parler et leur départ aurait fait leur joie. Ils savent qu'ils ne recouvreront pas les créances lourdes dues par ce pays et ne veulent donc pas s'engager davantage.
Être réélue
La chancelière Angela Merkel devrait arbitrer entre ces considérations contradictoires, et cela en fonction d'une vision à long terme. Il n'est pas certain qu'elle l'ait vraiment fait ; ce qui importe d'abord à cette politicienne roublarde est ce qui lui permettra le mieux d'être réélue. Si elle a opté pour l'accord, rien ne dit que cela ait été de son plein gré.
Il reste que les Allemands qui voulaient se débarrasser des Grecs n'ont pas eu gain de cause.
On peut dire ensuite que les contraintes très lourdes qui ont été imposées à la Grèce et que, dès lors que Tsipras avait imprudemment laissé voir qu'il tenait à rester dans l'euro, a dû accepter, ne sont pour l'essentiel, que l'expression de la rationalité économique. Ce n'est pas la dureté allemande, c'est la dureté des faits. Si l'on veut que la Grèce équilibre ses comptes extérieurs, il lui faut réduire ses coûts intérieurs et donc consentir à faire encore des sacrifices. Dès lors que les uns et les autres renoncent à l'option de la dévaluation et donc de la sorte de l'euro, il n'y a pas d'autre solution. Ceux qui, tel François Hollande, veulent garder la Grèce dans l'euro mais avec des exigences adoucies sont dans la contradiction.
Savoir si les sacrifices exigés suffiront et n'enfonceront pas au contraire un peu plus la Grèce, est une autre question. C'est le problème des grands malades : le médicament, à dose trop faible est inopérant ; à dose suffisante, il les tue.
Le diktat est américain
Malgré l'importance des concessions faites par la Grèce, l'Allemagne aurait pu rompre les négociations. Elle ne l'a pas fait. Et si elle ne l 'a pas fait, c'est que, très probablement Obama est intervenu pour cela auprès de Merkel pour contrer Schaüble.
Les États-Unis souhaitent le maintien du statu quo pour au moins trois raisons : parce que l'explosion de l'euro pourrait être le détonateur d'une nouvelle crise financière internationale analogue à celle de 2008, parce que l'euro leur permet, comme l'explique François Asselineau, de maintenir les économies européennes sous tutelle, parce qu'il serait dangereux pour l'OTAN de laisser la Grèce, dont la position géopolitique est capitale, errer sans attache dans une zone de haute turbulence, au risque qu'elle devienne une tête de pont de Moscou. Il est probable que, parallèlement aux pressions faites sur le gouvernement allemand, des pressions analogues aient été exercées sur Tsipras. Avec quels arguments ? On ne sait. Loin d'être la maitresse du jeu, l'Allemagne s'est ainsi laissé imposer une décision que la majorité des Allemands rejetait.
Et pour quel bénéfice ? En réalité aucun. Quand on dit que la Grèce, du fait de cet accord, se trouve écrasée par des conditions draconiennes, on ne se trompe pas. Mais qui pense une seconde que la Grèce va appliquer l'accord et en particulier rembourser les énormes dettes qui pèsent encore sur elle ? À l'évidence, elle ne le fera, pas par tricherie ou malhonnêteté mais tout simplement parce qu'elle ne le peut pas et ne le pourra pas plus dans l'avenir. Elle ne le pourra pas tant qu'elle restera dans l'euro.
En définitive, Angela Merkel, dont les exigences étaient moins les siennes que celles de la réalité, et dont l'opinion ne voulait pas d'un nouvel accord, s'est vu imposer par Washington un accord qui certes, parait sauver l'euro — pour combien de temps ? — mais qui ne lui rapportera pas un kopeck parce qu'il ne sera jamais appliqué.
Ajoutons que rien ne dit que l'euro sera durablement sauvé par cet accord inapplicable.
Roland Hureaux
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