Mais au fait, qu'est-ce qu'une injure ? Ridiculiser un borgne, un roux, un petit ou un grand, stigmatise un trait physique en renforçant le conformisme qui impose ses stéréotypes par le rire.

Il n'en va déjà pas de même quand on traite quelqu'un de voleur, de traître ou de salaud, puisque alors on accuse. On prétend ainsi dénoncer une faute, non un ridicule. Si être gros ou myope n'appelle pas le jugement et ne devrait induire aucune exclusion, il n'en va pas de même des conduites libres. Ce n'est pas une faute d'être myope, c'en est une de prendre le volant sans lunettes.

On peut même dire qu'être jugée est le propre d'une conduite humaine. La dignité est d'être jugé et d'en répondre, non d'échapper au jugement. Aucun choix humain ne peut être mis en dehors de toute évaluation, au-dessus ou au-dessous, sans cesser par là d'être humain. On sait bien que même les attitudes les plus saintes et les plus nobles trouvent leurs critiques.

Que les personnes homosexuelles se défendent de l'insulte est légitime, mais pourquoi voudraient elles échapper à toute évaluation ? Comment peut-on admettre qu'un député se trouve condamné pour homophobie, au prétexte qu'il a déclaré que si tous étaient homosexuels l'avenir de l'humanité serait en danger ? Il s'inspire de Kant qui dégage ainsi un critère d'universalité et de cohérence des maximes morales : ce que tu veux, une humanité peut-elle le vouloir ? Il aurait pu aussi bien s'inspirer de Voltaire dans L'Homme aux quarante écus : Toutes les fois qu'on peut dire d'un état de vie quel qu'il puisse être, si tout le mode embrassait cet état, le genre humain serait perdu, il est démontré que cet état ne vaut rien, et que celui qui le prend nuit au genre humain autant qu'il est en lui. Il est vrai que Voltaire visait ici...les moines, en réemployant à leur adresse l'argument qui lui servait ordinairement contre l'amour socratique .

Qu'est-ce que ce tribunal qui répond à un argument par une condamnation ? Celle-ci aurait dû soulever l'indignation des amis de la liberté. Est inadmissible d'abord la volonté de décider de la vérité par une loi. On peut bien penser que la conduite homosexuelle est perverse, et je ne vois pas quelle inspiration autorise le législateur à trancher cette difficile question. Par cet arrêt on instaure un délit d'opinion, et le plus choquant est encore que cela soit fait au nom du respect. Que peut bien valoir une obligation policière de préjugé positif ? On pourrait bien y voir de la condescendance plutôt que du respect. Qui se satisferait d'une approbation contrainte ? Ainsi la politique de reconnaissance se retourne en intolérance.

On a vu un homme condamné pour injure alors qu'il avait formulé en termes raisonnables une opinion argumentée, comme si toute évaluation était devenue injurieuse. Pendant ce temps certains homosexuels paradent sur des chariots, sans comprendre apparemment le mépris que comportent la dérision et l'obscénité qu'ils affichent. Eux qui ont fait condamner un homme qui les prend au sérieux acceptent de s'exhiber dans la dérision, se soumettant par là à des pouvoirs autrement violents.

Le règne du mensonge commence ainsi. Quand on a obtenu que quelqu'un parle contre sa conscience et même contre le bon sens, on est assuré qu'il est prêt à toutes les soumissions. On dit que les mafias enrôlent en faisant commettre un premier meurtre, la société oppressive se contente du premier mensonge.

*Jean-Noël Dumont professeur agrégé de philosophie, directeur du Collège supérieur (Lyon).

Pour en savoir plus :

■ L'affaire Vanneste jugé en appel pour homophobie, ou comment on tue la liberté d'expression, Décryptage, 17 décembre 2006.

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