Qu'on se souvienne : au lendemain de la fatwa lancée contre l'auteur des Versets sataniques, une grande manifestation de soutien à Paris avait vu fleurir des pancartes bien significatives au pays de la liberté d'expression : Au secours, Voltaire ! De Gaulle, en son temps n'avait pas moins bien réagi quand, à la droite qui réclamait la tête de Sartre en pleine affaire algérienne, il avait magistralement répondu : On ne met pas Voltaire à la Bastille ! Un spécialiste du défenseur de Calas rappelait avec pertinence dans l'Affaire Voltaire, documentaire-fiction diffusé par Arte il y a quelques années, que si Voltaire avait été inquiété, bastonné, exilé, s'il avait subi toutes sortes d'avanies, jamais pourtant on n'avait cherché à le tuer.

 

En France, il reste donc dangereux — et c'est une chance — de bâillonner le droit de penser. Qu'on se le tienne pour dit. Nos politiques, phagocytés dans une peur mauvaise conseillère, auraient tort de vouloir faire la politique de l'autruche en agitant la muleta du droit de réserve pour les fonctionnaires : Un fonctionnaire doit se montrer prudent et modéré en toutes circonstances rappelle le ministre de tutelle de Robert Redeker. Ils ont bien tort, dis-je, car leur base tient de manière viscérale à la liberté de penser. Cela vient de loin. C'est fondé. C'est une question de conscience.

L'Affaire Redeker, ou l'illustration de la thèse de l'islamisation de la société

Affaire Voltaire, Affaire Redeker, autre temps, autres mœurs.

Qu'en est-il ? Superposition de deux prises de paroles jugées à haut risque. Celle du pape, à Ratisbonne, celle d'un philosophe, disqualifiant une pensée unique et ayant pour unique choix, dans la tribune dite libre du Figaro, d'opter pour un discours fort, voire en certaines lignes, provocant. Cela dit, dépêchons-nous de rire, avant d'être obligés de pleurer ! Figaro n'en reviendrait pas, au pays des Lumières, de constater que le journal, portant nom de l'insolent barbier, tourne casaque pour s'excuser lamentablement dans un des seuls buts de récupérer, entre autres, les marchés tunisien et égyptien, mis en péril par la censure d'un jour. Bien sûr, les tenants de l'ordre public et de la paix sociale rétorqueront qu'il en va d'intérêts supérieurs. Mais à partir de quand jugera-t-on qu'il est temps de parler ? qu'il n'est plus temps de se taire ?

Ainsi Robert Redeker entre-t-il en terrain du politiquement incorrect et affirme-t-il que l'islamisation des esprits avance chaque jour davantage. Dans une comparaison osée mais étayée, il met en parallèle les agissements communistes de la Guerre froide et ceux de l'islamisme d'aujourd'hui, les réunissant dans un totalitarisme inhumain. L'œil du Coran veillerait désormais aussi efficacement que l'œil de Moscou, Hier la voix des pauvres prétendait venir de Moscou aujourd'hui elle viendrait de la Mecque.

Toute moralisation n'est pas islamisation

Seulement voilà, point de départ confus de la démonstration : le string interdit à Paris-Plage, alors que dans le même temps le voile ne l'est pas. L'exemple retenu pour illustrer en tout premier lieu l'islamisation à l'œuvre reste pour le moins surprenant. Cette toute première partie de l'article de mon collègue philosophe ne laisse pas de poser quelques questions. Y a-t-il vraiment dans l'interdiction du string, islamisation ? Rien de plus contestable. Toute moralisation de la société ne peut être réduite à une islamisation. Navrant même de placer si bas notre chère liberté. Que les islamistes voient dans cette exhibition malsaine le signe d'une pornographie dégradante et décadente, on n'a pas de mal à le comprendre, mais ce n'est pas proprement islamiste de penser que le string ne révèle pas vraiment la dignité de la femme. L'article part donc sur de mauvaises bases, affaiblit le raisonnement, et met le feu aux poudres. Mais enfin, cette première partie passée, la force de la démonstration l'emporte, la cohérence du reste de l'article fait mouche.

Il faut sauver Robert Redeker

D'en haut, on aura beau se rengorger et affirmer que l'islamisation des esprits, de la société, n'est pas !, force est de constater que la France de la vraie vie n'en vit pas moins le contraire. Cette France peut bien alors se féliciter, au lieu de prendre peur, d'avoir encore en son sein des hommes de parole comme Robert Redeker : l'effort de penser, d'analyser la chronique des jours, n'est pas encore mis sous le boisseau. L'on en vient même à être satisfait que le Figaro, dans son premier mouvement, ait hautement honoré la liberté d'expression. Tant pis pour les pragmatiques et les tolérants de tout poil qui haussent les sourcils, avec une moue de compromission insupportable.

Il faut sauver Robert Redeker des griffes du fanatisme, cette maladie convulsive, cette fièvre que Régis Debray dans le Feu sacré nomme poussée théocratique. On ne le voit que trop, l'adaptation immunitaire que ce dernier proposait alors, le bouclier laïque ne fonctionne pas en l'espèce, on ne le voit que trop.

Si le fanatisme islamiste est un totalitarisme, il ne pourra être éradiqué que par les forces d'un nouvel humanisme, celui fondé sur le respect de la personne humaine, de toute la personne humaine. Qu'on ne se méprenne pas : alors, même Voltaire, surtout Voltaire, ne suffira pas à trouver de réponse efficace. On ne pourra pas faire l'économie d'une raison rénovée, raison irriguée par une lumière nouvelle qui nous ferait passer de l'âge des Lumières avec tout ce que peut contenir ce pluriel, à l'âge de la lumière.

* Hélène Bodenez est professeur de lettres (Paris).

Pour en savoir plus :

> L'article de Robert Redeker qui a mis le feu aux poudres, Que doit faire le monde libre face à la menace islamiste ? sur Nicomaque, le blog philo de Damien Theillier, un professeur de philo, ami de l'auteur, collaborateur de Liberté politique.

> Aux enseignants, un texte de soutien à R. Redeker (pour le soutenir il suffira de s'inscrire à petitionRR@yahoogroupes.fret cela vaudra soutien)

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>