Accord nucléaire avec l’Iran : un basculement géopolitique ?

L’Iran et les grandes puissances sont parvenus, dimanche 23 novembre, à un accord historique sur le nucléaire iranien. Un allègement des sanctions contre l’Iran a été accepté en échange, notamment, d'un arrêt de l’enrichissement de l’uranium. Comment expliquer cet accord ?

Le couronnement d’Esther par Assuérus, préfiguration géopolitique ?

Le couronnement d’Esther par Assuérus, préfiguration géopolitique ?

FACE AUX SANCTIONS économiques, l’Iran s’est progressivement retourné vers l’Est, mettant en concurrence l’Inde et la Chine. Aujourd’hui, le temps joue en sa faveur. À l’inverse, les États-Unis n’ont pas réussi à stabiliser le Moyen-Orient, comme en témoigne l’instabilité de l’Irak et de la Syrie. Les Américains cherchent par conséquent à rééquilibrer leurs relations avec les États de la région. Leur pari consiste à désarmer l’Iran afin de pouvoir s’appuyer sur ce pôle de stabilité potentiel.

Quels sont les gagnants ?

Les deux grands gagnants sont naturellement l’Iran et les États-Unis. Le premier se replace en position de négocier avec des partenaires aussi variés que la Chine, les États-Unis, l’Inde ou l’Union européenne. Le second obtient un succès diplomatique majeur. Israël est à première vue fragilisé par cet accord, car il ne croit pas l’Iran capable de renoncer définitivement à l’arme nucléaire militaire. Les Israéliens savent pertinemment que l’Iran renégocie systématiquement les accords diplomatiques après signature, comme en témoigne l’histoire des contrats pétroliers avec les États étrangers depuis le début du XXe siècle. D’autre part, la Turquie, comme l’Arabie Saoudite, craignent l’affirmation de l’Iran en tant que puissance régionale.

Sommes-nous au seuil d’un basculement géopolitique au Moyen-Orient ?

Aucune hypothèse n’est à exclure. La situation actuelle peut perdurer. On peut, à l’inverse, imaginer un retournement d’alliance, au travers duquel les États-Unis seraient alliés demain avec Israël, l’Iran et la Turquie.

À l’horizon 2030, il est en effet probable que ces trois États constituent de véritables pôles de stabilité dans un environnement instable. Naturellement, l’attitude d’Israël sera déterminante. En effet, l’Iran et Israël sont marqués par une relation complexe caractérisée simultanément par le rejet et le mimétisme. Il s’agit d’une relation presque gémellaire, entre deux pôles majeurs de l’innovation qui se perçoivent comme des îles assiégées.

Pour les États-Unis, il faudra éviter qu’Israël ne prenne la posture d’un nouvel Iran. Les Etats-Unis doivent donc rassurer Israël en lui fournissant des garanties sécuritaires indiscutables.

Quelles seront les conséquences économiques de cet accord ?

Les entreprises américaines préparent depuis plusieurs mois leur retour en Iran. Ce retour a d’ailleurs été facilité par des sanctions forçant les entreprises européennes, et notamment françaises, à se retirer d’Iran.

Aujourd’hui, l’allègement des sanctions se présente comme le prélude à une normalisation économique de l’Iran. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette normalisation n’est pas souhaitée de façon unanime par les Iraniens. Les plus conservateurs craignent de perdre soudainement une part de leur singularité, et peut être même un peu de leur fierté.

À l’évidence, l’ouverture économique de l’Iran va se traduire par une redistribution des cartes en interne [1].

 

Thomas Flichy est professeur à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr.

 

 

[1] Pour aller plus loin :
Lire de Thomas Flichy, L’Iran au delà de l’islamisme, Editions de l’Aube, 2013.