DOCUMENT | Homélie de l’archevêque de Paris lors de la messe de la solennité du Christ Roi, le 22 novembre, et à l’occasion de la Conférence mondiale sur le climat. Le cardinal met en garde contre deux tentations : « Une écologie sans l’humanité, et une écologie partielle qui n’aurait pas pour ambition d’aider le plus grande nombre à vivre, mais de conserver le mode de vie des plus privilégiés. »

« Frères et sœurs, la discussion qui s’établit entre Pilate et Jésus au sujet de la royauté nous éclaire sur les difficultés, les hésitations ou les réticences que nous pouvons éprouver à célébrer Jésus comme Roi de l’univers. Si nous entendons le titre « royal » dans son acception de pouvoir politique, de domination du monde, nous passons à côté de la véritable signification, car Jésus nous dit : « ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18,36). Ce serait donc nous laisser emporter par une tentation qui a parcouru la vie de l’Église depuis les disciples d’Emmaüs qui attendaient le rétablissement du royaume d’Israël, jusqu’aux formes modernes de volonté de maîtriser les sociétés par la force publique de la foi.

Le Christ n’est pas un roi à la manière des rois de ce monde. Son Église n’est pas une armée pour rétablir sa royauté sur la terre. Ses disciples — que nous essayons d’être en le suivant — n’ont pas pour ambition de prendre le pouvoir. La manifestation la plus évidente de la royauté du Christ, c’est Jésus sur la croix, dépouillé de toute-puissance quand il a renoncé à tout pouvoir et s’est remis entièrement à la miséricorde de son Père.

Le Christ, pôle de convergence de la réalité

Cependant, l’Église nous invite à célébrer Jésus Roi de l’univers. Essayons de comprendre à quoi nous sommes appelés en célébrant cette fête du Christ Roi au terme de l’année liturgique. Nous sommes invités à reprendre conscience de la place centrale et plénière du Christ par rapport à la totalité de l’univers. Il est l’alpha et l’oméga. Celui qui était au commencement et celui qui sera à la fin. Du commencement de la création à la fin de l’histoire humaine, c’est lui le pôle de convergence de la réalité. C’est lui qui récapitule toutes choses en lui-même pour les offrir au Père. Cette place centrale du Christ, nous invite à regarder le monde dans lequel nous vivons d’une façon originale. Le Christ n’est pas la caution morale de quelque projet que ce soit. Il est le cœur de toute l’histoire des hommes et il rassemble l’humanité entière.

Une écologie sans hommes

La tenue de la COP21 peut nous paraître bien loin de cette vision christocentrique sur le monde. Pourtant, cette vision du Christ qui recueille l’univers en lui-même doit affiner notre regard sur cet événement, ou du moins nous alerter pour ne pas nous laisser emporter par deux tentations fort répandues sans pour autant être justes. La première tentation, c’est de rêver un univers idyllique parce qu’on en aurait extrait l’humanité. C’est le paradis terrestre sans les hommes. C’est l’écologie contre l’humanité, autrement dit une vision de l’être humain comme un intrus et un destructeur. C’est penser que le monde irait mieux si les hommes n’y vivaient pas.

Certes, je caricature… Mais réfléchissez combien on nous montre souvent et on nous explique les méfaits de l’activité humaine sur le monde ! Peut-être que c’est utile de nous montrer ces agressions à l’égard du monde pour éveiller notre responsabilité et nous aider à prendre conscience que nous avons une responsabilité réelle sur le fonctionnement du monde, mais on ne pourra sauver le monde sans l’humanité !

L’écologie partielle

La deuxième tentation qui nous guette tout autant, c’est celle d’une écologie partielle. On s’est déjà beaucoup mobilisé au cours des années passées, on va encore se mobiliser beaucoup pour tenter d’obtenir une amélioration de la manière d’utiliser les ressources de notre terre, mais, sans jamais dire et pourtant avec l’idée sous-jacente que surtout, s’il faut aboutir à des résultats positifs, c’est pour sauvegarder notre mode de vie, c’est pour garantir que notre prospérité pourra continuer.

A l’égard de ces deux tentations, le Pape François, dans son encyclique Laudato Si’, nous invite à porter un regard critique. Il n’y a pas d’écologie partielle. L’écologie est un projet de vie global qui doit toucher tous les secteurs de l’existence humaine en vue d’atteindre une meilleure vie pour le plus grand nombre. L’écologie n’est pas un luxe décoratif réservé aux sociétés développées, c’est une question de vie et de mort. C’est une question de vie et de mort pour laquelle nous sommes appelés à réviser nos manières de vivre. On ne peut pas vouloir une écologie globale, universelle et juste en continuant d’exploiter les ressources naturelles du monde pour le profit d’une proportion très faible de l’humanité.

Notre foi au Christ nous mobilise dans notre responsabilité à l’égard de la « maison commune » nous dit le pape François, parce qu’elle nous oblige à prendre en compte non seulement nos affaires, nos intérêts, nos espérances, nos idéologies, mais aussi à prendre en compte la totalité de l’univers dont le Christ est le centre et qu’il conduit vers la plénitude en Dieu.

Frères et sœurs, nous prierons avec ferveur pour que cet événement qui aura certainement une grande portée médiatique, touche les cœurs. Qu’il aide chacun et chacune des habitants de ce monde à revoir comment il use ou abuse du monde, comment il entre dans une véritable conception du partage des richesses ou comment il se barricade pour protéger ses privilèges, comment il entre dans la véritable action de grâce pour tout ce que Dieu a donné pour la vie de l’homme. Amen. »

 

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

 

Source : Archidiocèse de Paris

 

***