Noël ? Peut-on évoquer Noël sans regarder la crèche ? Peut-on regarder la crèche sans y chercher l’Enfant Jésus ?
Noël est là, dans les rues, dans les vitrines, sur les ondes et les écrans, dans les écoles et sur les façades, villes et campagnes s’illuminent et s’enluminent, les médias rappellent le devoir de solidarité quand les boîtes aux lettres vomissent catalogues et publicités riches de luxe et d’indécence, on se fête de « joyeuses fêtes », étoiles et guirlandes égayent les sapins, tout est fait, organisé, pour surtout ne rien rappeler de la naissance de celui qui vient sauver l’humanité. « Déjà la nuit avance ; les étoiles brillent dans le froid du ciel. De la ville, des voix bruyantes, des cris parviennent à mes oreilles. Ce sont les jouisseurs de ce monde qui vont fêter Noël, la pauvreté du Seigneur, dans les excès de toutes sortes. Le monde dort et moi je veille en pensant au mystère de Bethléem ». Saint Jean XXIII ( Extrait de « Journal de l’âme » cerf, 1964).
Il y a quelque part dans l’être humain, du désir en excès. Il faut le libérer et lui permettre de s’identifier comme spirituel. Sinon, cet excès de désir peut se retourner sur lui-même et donner lieu à des régressions. Et l’on cherchera alors à donner une saveur à l’existence dans la violence, l’éclatement, l’usage de stupéfiants, le vagabondage sexuel, la promotion de l’inversion et de la pornographie, le bruit. Et comme au lieu de vivre une énergie qui se déploie, au sens propre, en charité, c’est-à-dire tournée vers l’autre, elle devient une angoisse indéfinie, indéfinissable, qui ne sait pas se nommer, qui a peur d’elle-même et s’exprime souvent par des comportements déroutants voire des fuites sans retour. Il devient donc urgent d’aider notre jeunesse à faire œuvre de discernement entre toutes les sollicitations qui lui sont adressées. Comme nous le constatons dans les centres commerciaux, où nous avons de plus en plus de difficultés à maîtriser les effets pervers des sollicitations multiples, il n’est pas facile de construire sa personnalité dans le contexte du pluralisme moral et religieux d’aujourd’hui. La difficulté est majorée lorsque la dérision semble érigée en norme par tous ceux, journalistes et présentateurs, amuseurs publics, politiques, artistes de variété et du cinéma, sportifs, tout un monde qui roule sur l’or et se meut dans toutes les auges, que les « syndicastratristes » du pouvoir modélisent et subventionnent, ceux-là même qui s’autoproclament la voix du peuple. Pour cette raison et parce que le chrétien doit chaque jour faire des choix moraux et spirituels, il est appelé à s’engager dans la dissidence et la résistance. C’est
Contre les mornes réductions de l’intellectualisme, comme un éclair dans l’obscurité européenne de 1770, le cri de révolte d’une jeunesse exaspérée sous la plume du futur écrivain romantique Jean –Paul Friedrich Richter traverse les siècles : ich bin ein ich : je suis un « je ». Je ne suis pas un réflexe conditionné, un effet de langage, un résidu des âges superstitieux ou une hypothèse hasardeuse, je suis le commencement et la fin, je suis le surgissement irrépressible de cette existence qui se donne à elle-même comme une évidence originaire précédant toute réflexion, je suis « je » dans son absolue singularité, qu’aucune pensée jamais ne pourra réduire au strict ordonnancement des choses, je suis le principe et la mesure d’un monde. Ich bin ein ich : contre la lente dissolution de l’identité de la personne dans les acides de l’empirisme, le clonage, la manipulation génétique, la théorie du genre devenue idéologie, la PMA , la modélisation de l’homosexualisme, le transexualisme,le wokisme, le totalitarisme vert, la constitutionnalisation de l’avortement , la légalisation de l’euthanasie ; ich bin ein ich contre les pédagogies abolitionnistes de l’homme, contre la désespérance et l’ennui, dans sa fièvre, sa colère, ses égarements et son tumulte.
Il nous faut alors relire ce poème de Armand Robin, poète breton anarchiste mort en 1961 :
Le programme en quelques siècles
Insurrection, insurrection spirituelle contre les matérialismes !!! Et que toute notre révolte contre l’avilissement ambiant qu’on appelle tendance s’exprime avec joie et paix !!! Il n’est hélas pas révolu ce temps où, des rhétoriques du libertinage aux pédagogies d’Helvétius et d’Holbach, du théâtre exemplaire de Diderot aux arithmétiques du marquis de Sade aux danses du Faust de Goethe, on inventait l’Homme mais comme un champ de bataille. Nous avons connu les « pédagogies » dans la grande vague de ceux qui suscitaient « l’air du temps » ; elle s’escrimaient à faire que la foi cède la place à l’opinion publique et comme Boucher qui ne sait plus dire que le mensonge des maisons closes, elles présentaient leurs peintures de la misère humaine au nom d’une quête ardente de vérité ; ainsi les Ruquier, Ardisson, Elkrief, Barthès, Moix, Salamé, Plenel, Apathie aujourd’hui, qui réinventent l’art subtil de se mentir à soi-même : regardez donc ces émissions où le voyeurisme et l’exhibitionnisme de ces imposteurs et illusionnistes sont de mise, le lynchage des véritables sages et penseurs organisé , et vous comprendrez comment on y parle toujours d’autre chose, et que toute chose y est façade.
Car « la personne s’inscrit dans une lignée, hérite du travail de ses pères, poursuit l’aventure humaine dans un temps et un lieu donnés. L’Incarnation est au centre de la conception de la personne dans l’anthropologie chrétienne… »
Notre responsabilité de catholiques est de témoigner et de soutenir la véritable Espérance des hommes à vivre ensemble et à rebâtir ce qui est détruit.
En d’autres temps plus ténébreux que ceux d’aujourd’hui, le poète breton catholique Yann-Ber Kalloc’h, surnommé Bleimor (le loup de mer), mort au champ d’honneur le 10 du mois d’avril de l’an 1917 à l’âge de 29 ans, auteur de Me zo ganet e kreiz ar mor (litt. « Je suis né au-milieu de la mer ») chanté par Gilles Servat et Yann-Fañch Kemener , écrivait dans «Ar en Deulin (à genoux) » cette magnifique prière :
La « Prière du Veilleur »
« Les ténèbres pesantes s'épaissirent autour de moi ;
Sur l'étendue de la plaine la couleur de la nuit s'épandait,
Et j'entendis une voix qui priait sur la tranchée :
Ô la prière du soldat quand tombe la lumière du jour !
Le soleil malade des cieux d'hiver, voici qu'il s'est couché ;
Les cloches de l'Angélus ont sonné dans la Bretagne,
Les foyers sont éteints et les étoiles luisent :
Mettez un cœur fort, ô mon Dieu, dans ma poitrine.
Je me recommande à Vous et à votre Mère Marie ;
Préservez-moi, mon Dieu, des épouvantes de la nuit aveugle,
Car mon travail est grand et lourde ma chaîne :
Mon tour est venu de veiller au front de la France,
Oui, la chaîne est lourde. Derrière moi demeure
L'armée. Elle dort. Je suis l'œil de l'armée.
C'est une charge rude, Vous le savez. Eh bien,
Soyez avec moi, mon souci sera léger comme la plume.
Je suis le matelot au bossoir, le guetteur
Qui va, qui vient, qui voit tout, qui entend tout. La France
M'a appelé ce soir pour garder son honneur,
Elle m'a ordonné de continuer sa vengeance.
Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée.
Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais :
L'âme de l'Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C'est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit.
J'en paierai cher la gloire, peut-être ? Et qu'importe !
Les noms des tombés, la terre d'Armor les gardera :
Je suis une étoile claire qui brille au front de la France,
Je suis le grand guetteur debout pour son pays.
Dors, ô patrie, dors en paix. Je veillerai pour toi,
Et si vient à s'enfler, ce soir, la mer germaine,
Nous sommes frères des rochers qui défendent le rivage de la Bretagne douce.
Dors, ô France ! Tu ne seras pas submergée encore cette fois-ci.
Pour être ici, j'ai abandonné ma maison, mes parents;
Plus haut est le devoir auquel je me suis attaché :
Ni fils, ni frère! Je suis le guetteur sombre et muet,
Aux frontières de l'est, je suis le rocher breton.
Cependant, plus d'une fois il m'advient de soupirer.
« Comment sont-ils ? Hélas, ils sont pauvres, malades peut-être… ».
Mon Dieu, ayez pitié de la maison qui est la mienne
Parce que je n'ai rien au monde que ceux qui pleurent là...
Maintenant dors, ô mon pays ! Ma main est sur mon glaive ;
Je sais le métier ; je suis homme, je suis fort :
Le morceau de France sous ma garde, jamais ils ne l'auront...
- Que suis-je devant Vous, ô mon Dieu, sinon un ver ?
Quand je saute le parapet, une hache à la main,
Mes gars disent peut-être : « En avant ! Celui-là est un homme ! »
Et ils viennent avec moi dans la boue, dans le feu, dans la fournaise...
Mais Vous, Vous savez bien que je ne suis qu'un pécheur.
Vous, Vous savez assez combien mon âme est faible,
Combien aride mon cœur et misérables mes désirs ;
Trop souvent Vous me voyez, ô Père qui êtes aux Cieux,
Suivre des chemins qui ne sont point Vos chemins.
C'est pourquoi, quand la nuit répand ses terreurs par le monde,
Dans les cavernes des tranchées, lorsque dorment mes frères
Ayez pitié de moi, écoutez ma demande,
Venez, et la nuit pour moi sera pleine de clarté.
De mes péchés anciens, Mon Dieu, délivrez-moi,
Brûlez-moi, consumez-moi dans le feu de Votre amour,
Et mon âme resplendira dans la nuit comme un cierge,
Et je serai pareil aux archanges de Votre armée.
Mon Dieu, mon Dieu ! Je suis le veilleur tout seul,
Ma patrie compte sur moi et je ne suis qu'argile :
Accordez-moi ce soir la force que je demande,
Je me recommande à Vous et à Votre Mère Marie ».
Ainsi soit-il.
Yann-Ber Kalloc’h: (1888-1917) - « Ar en deulin » (« À genoux »), Plon-Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs (1921)
Saint et joyeux Noël !
Thierry Aillet
Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique de Vaucluse
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