Beaucoup de gens dépriment pendant la période de Noël ; et ça ne devrait pas nous surprendre, puisque Noël est une fête de l’Espérance, et notre époque est une époque désespérée.
Noël déprime l’homme contemporain parce qu’après l’avoir obligé à renier la source d’où jaillit l’unique félicité éternelle, on lui impose durant cette période une imposture de bonheur. Les salles d’attentes des psychologues s’emplissent d’une armée de patients moralement éreintés et flanqués toute la journée du planton covid qui implorent une solution efficace à ce syndrome de Noël qui les tenaille; naturellement, leurs requêtes ne sont jamais exaucées, car on n’a pas encore inventé le traitement qui guérit les dérèglements de l’âme que provoque la suppression de Dieu de notre horizon vital. Et rien n’est plus normal, lorsque Dieu a été éradiqué de nos âmes, que l’âme ne se retrouve « dans les talons », en ces jours où Dieu renaît.
La raison de cet effondrement de l’âme a l’habitude d’être associée au souvenir de l’enfance. Nous étions tellement heureux quand l’innocence nous venait en aide durant ces mêmes dates ! La nostalgie de cette innocence perdue (qui est en réalité la nostalgie d’un état dans lequel l’âme était encore débordante de divinité), projette sur nous une insupportable angoisse existentielle, une terrible conviction que nous ne serons plus jamais cet enfant qui assistait ravi à un déploiement incessant de lumières. En nous comparant à cet enfant émerveillé et joyeux, nous avons l’habitude de réagir de deux manières :
- Un sentiment de dégoût à notre égard, à l’égard de cette mocheté retorse que nous sommes devenus aujourd’hui (ainsi s’entend l’envahissant spleen ou l’indifférence euthanasique que nous ressentons pour notre propre vie…et envers celle de nos congénères) ;
- Ou bien une forme de dégoût à l’égard de la tradition des crèches vivantes des chants traditionnels de Noël, ou des « pastorales » de Provence qui nous émerveillaient jadis (ainsi s’explique la haine antireligieuse chaque fois plus étendue de notre société qui en même temps est une haine de notre propre être).
Ces deux réactions débouchent sur cette béance contemporaine de désillusion du monde, qui s’exacerbe encore plus quand on la confronte avec la déception que nous provoquent ceux qui nous entourent.
A cette agrégation de dégoûts, participe fortement et activement le climat familial plutôt crasseux, consumériste et de grande bouffe dans lequel se développent ces fêtes de Noël ; le psalmiste nous disait déjà que « si le Seigneur ne bâtit la maison, les maçons travaillent pour rien « Ps.127
Se retrouver en famille ou avec les oripeaux de ce qu’est une famille qui survit aux éclatements, aux discordes, aux rancœurs intestines, à son abolition ou à ses multiples chirurgies c’est comme exposer les résidus de notre innocence passée aux morsures d’un broyeur.
Leonardo Castellani écrivait dans l’un de ses jubilatoires et lumineux articles : « A mesure que se perd le sentiment du sacré, les fêtes pseudos sacrées sans aucun contenu sacré se sont multipliées ; à cause de la loi biologique qui décrète : à mesure que diminue ce qui est vivant, ce qui devient automatique augmente […] On ne peut pas faire rire les gens par décret ; on ne peut pas non plus les faire sentir. Un homme peut mener un cheval à la rivière ; mais même dix hommes ne pourront l’obliger à boire s’il ne veut pas. Créer une véritable fête est plus difficile que cela. La plus ancienne fête chrétienne est la « dernière cène du Christ ». La communauté chrétienne se réunissait pour manger, recevoir le Sacrement et communier entre eux, c’est-à-dire, mettre en commun leurs idées, leurs sentiments et leurs intérêts à la source d’une même foi. Ils se retrouvaient ensemble pour se retrouver eux-mêmes à la lumière d’une croyance commune et transcendante. C’est le modèle de toute vraie fête, qui se base sur une nécessité et s’accomplit dans la réception d’un don spirituel, lequel par le fait de se recevoir rejoint et unifie toutes les volontés ».
Notre époque prétend convertir Noël en une fête laïque, dépouillée de son contenu réel. Les municipalités, frileuses mais avides de bulletins de vote, vous inondent de « bonnes fêtes de fin d’année », les francs-maçons et anticléricaux de tout poil s’opposent à la présence de crèches dans les lieux publics, au nom d’une nouvelle « déclaration des droits de l’arbre » le sapin devient de verre et de métal, certains édiles vous souhaitent un « joyeux solstice d’hiver » ou un « joyeux mois de décembre » ; on doit bien trouver un nostalgique de la « terreur » nous souhaiter un « bon nivose » quand le président de la république française y va de son détachement feint en omettant sciemment de souhaiter « joyeux Noël » aux français… ô pardon, « aux chrétiens de France » ; donc sous ces dictats de la pensée, les centres commerciaux invitent à festoyer en refusant de dire que c’est pour fêter l’anniversaire de la naissance du Christ ; que dans la nuit du 24 décembre, c’est Dieu qui s’est fait chair et que nous est né un Sauveur. Mais une fête qui ne serait pas une communion entre ceux qui la célèbrent et la réception d’un don spirituel ne pourra jamais être une véritable fête. Et certains de ceux qui ont usurpé aux citoyens que nous sommes « le droit d’exiger qu’on nous montre la crèche » (Jean-Paul Sartre Noël 1940) ont le toupet d’afficher leur ignorance en annonçant froidement qu’ils font tout pour « sauver noël ». A ceux-là qui s’y croient, nous leur rappelons que Noël, c’est la naissance de Jésus-Christ et que c’est lui qui vient nous sauver, pas l’inverse. Mais le diable est dans tous les détails.
Car une fête qui ne naît pas d’un fond de communion n’est rien d’autre que la simagrée désespérée de ceux qui ont cessé de boire à la source d’où surgit l’unique félicité éternelle. Il convient de se rappeler la célèbre phrase de Chesterton « Otez le surnaturel, et vous ne trouverez pas le naturel mais l’antinaturel ». Notre époque a expulsé Dieu de son sein ; et ce qui se passe maintenant est plus simple : elle n’a plus Dieu. Et sans Dieu l’homme ne peut rien faire de divin ; ni même se divertir, car sans Dieu il n’y a pas de communion véritable entre les hommes, et sans communion véritable, il ne peut y avoir de fête mais dépression et angoisse. Bien que l’homme se déguise pour ce bal des chimères, qu’il se vautre dans la fange et la luxure avec l’illusion de briller, il finit par se réveiller dans ses vomissures et la terrible révélation de sa vanité. C’est ce qu’il se passe lorsque le vivant diminue et qu’augmente l’automatique ; voilà ce qui arrive, quand on nous arrache l’âme pour nous réduire à la simple physiologie.
Mais parce que « puer natus est », tout est possible.
Saint et beau temps de Noël !
Thierry AILLET