Source [France Catholique] Entretien à deux voix, homme/femme, avec l’abbé Philippe de Maistre, curé de Saint-André-de-l’Europe (Paris) et Gabrielle Vialla, auteur d'un livre sur la chasteté.
Qu’est-ce que la chasteté ?
Philippe de Maistre: C’est la vertu des gens en bonne santé. Elle n'a rien à voir avec un refoulement ou une abstinence. C’est l’orientation et l'unification des forces de l’homme et de la femme – énergie vitale, affective – en vue du don de soi.
Gabrielle Vialla : La définition la plus complète est celle du Catéchisme de l’Église catholique : « La chasteté signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. » De la même manière que la chasteté exclut le fait de chosifier autrui, de mettre la main sur lui, il me semble que le concept de chasteté se dérobe toujours un peu à l’intelligence. Car la chasteté, avant de se comprendre intégralement, se contemple dans la personne du Christ. On ne la possède pas car elle touche au corps, à la sexualité, aux désirs, aux méandres de l’inconscient, à notre finitude…
Comment parler de la chasteté aux hommes ?
P. M. : Les hommes souffrent qu’on leur parle très mal de la chasteté, présentée souvent comme une privation de désir et comme la vertu des « gentils garçons un peu refoulés ». Au contraire, il faut relier la vertu de chasteté avec la force. Le trésor de l’homme, le talent que Dieu lui a donné en propre, c’est la force. Et c’est cela qu’il est tenté d’enterrer plus que jamais à notre époque, car quand on dit force, on pense violence, abus, domination… Au contraire, il faut arrêter de faire de la « moraline », comme disait Nietzsche: la « morale guimauve » et dire à l’homme qu’il est fait pour se battre. Chez les chevaliers au Moyen Âge, l’Église a orienté la violence qui est dans l’homme – sa force vitale – vers le don, la vertu de chasteté.
G. V.: J'aime dire que le respect de la femme fait grandir et structure la masculinité. En donnant le premier la Vierge Marie le titre de « Notre-Dame », saint Bernard oriente l'esprit chevaleresque en montrant vers qui l'homme doit se tourner pour bien livrer son combat sur la chasteté.
Comment la femme doit-elle vivre la chasteté ?
P. M: La femme ne se donne pas, elle reçoit. Il y a plus de générosité pour une femme de s'unir à son mari qu’à se dévouer à la paroisse et pour la terre entière. La vraie chasteté de la femme, c’est d’accepter de recevoir.
G. V.: La femme vit aussi un combat spécifique pour la chasteté. Comprendre son cycle comme un moyen d'intériorité représente à la fois un défi et un trésor. La grossesse avec l'accouchement doit aussi être contemplée comme le don que la femme fait d'elle-même.
En quoi la chasteté est-elle liée au péché originel ?
G. V.: Avant le péché, toutes les dimensions de la personne étaient harmonieusement vécues. Saint Augustin peut dire ainsi que la chasteté est ce qui nous recompose : « Elle nous ramène à cette unité que nous avions perdue en nous éparpillant. » Après le péché originel, Dieu va protéger l’homme et la femme d’eux-mêmes, dès la Genèse par le don du vêtement, de la pudeur, en attendant le plein accomplissement de la Rédemption, dans la gloire du Ciel.
P.M : La domination de l’homme sur la femme arrive dans la Bible juste après le péché originel. L’homme devait dominer les animaux – c’est-à-dire ses passions, comme l’ont écrit de nombreux Pères de l’Église – en vue du don et de la communion avec la femme. Mais il a fui le combat: au lieu d’être fort contre le serpent pour être doux avec la femme, il est doux avec le serpent, il le laisse le dominer par la ruse. Et il sera dur et dominateur avec la femme. Le péché originel, c’est l’abstention de l’homme, le manque d’engagement de sa force. Il était le premier dans le jardin, il devait le cultiver, mais il a laissé la femme seule avec le serpent. La malédiction est que l’homme ne sait plus quoi faire de sa force. Elle tourne à vide et peut aller jusqu'à s’exercer contre la femme ou l’enfant, qu’il devait protéger au lieu de les dominer, comme on le voit aujourd’hui avec toutes les histoires d’abus.
Pourquoi dites-vous dans votre livre que « le critère suprême de la chasteté ne peut être que la charité » ?
G. V.: La finalité de la chasteté est le don total de soi par amour. Pour saint JeanPaul II, c’est vivre selon l’ordre du cœur. Une terrible erreur est de rechercher la chasteté pour elle-même, comme une maîtrise orgueilleuse de soi, un exercice psycho-corporel, afin de ne dépendre de personne en quelque sorte. Ce serait un simulacre, une inversion, car la chasteté n’est pas l’autonomie vis-à-vis de Dieu et de sa volonté sur nous.
La pornographie est-elle aujourd'hui la première menace qui pèse sur la chasteté ?
P. M. : La pornographie, c’est la maladie des gentils garçons et des pères de famille dociles. Elle est le refoulé de la violence non exprimée de l’homme. C'est une blessure de la force qui tourne à vide. Elle défigure l’homme, humilié devant un ordinateur avec un harem virtuel et plus aucun combat pour aller conquérir sa belle, se dépasser. La pornographie a émasculé l’homme et l’a rendu esclave de ses pulsions. Lors du discours de Harvard en 1978, Alexandre Soljenitsyne parle du déclin du courage et dit qu’il y a plus efficace que les goulags pour asservir un peuple: il suffit de libéraliser la pornographie, qui dévitalisera tous les hommes de l’intérieur. On peut se poser la question aujourd’hui: si on devait se battre, les hommes en seraient-ils capables, compte tenu de cette attaque contre la vertu de force ?
Quelle place la chasteté a-t-elle dans la vie de couple ?
G. V.: Dans le couple, on peut dire qu’à deux personnes sont confiées trois chastetés : la sienne, celle du conjoint, et celle du corps commun, la chasteté conjugale.
P. M. : Dans le jardin d’Éden, Ève veut tout gérer, se battre seule contre le serpent. Elle manque de chasteté parce qu’elle prend toute la place. Elle n’est pas à sa juste place. Elle prend la place d’Adam, de Dieu. Et Adam n’est pas à sa juste place car il a peur de mal faire et donc il s’abstient sans engager sa force. La vertu de chasteté, c’est que chaque chose soit à sa juste place.
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