L’Union européenne se décidera-t-elle un jour à incarner avec puissance une authentique civilisation européenne ? Peut-être ce vœu pieu se réalisera-t-il le jour où elle disparaîtra… Le dernier épisode de son jeu diplomatique consternant vient prouver une fois de plus, s’il en était besoin, qu’elle se situe décidément du côté du renoncement et l’humiliation, chez elle si intériorisés qu’ils en sont devenus une seconde nature.

Voilà que Charles Michel, président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont eu l’idée saugrenue d’aller rendre hommage à Recep Tayyip Erdogan, sultan de Turquie, afin d’établir avec lui un dialogue constructif et de mettre sur pied, selon les termes choisis du Monde, un « agenda positif ». Accorder autant d’intérêt à un aussi sinistre personnage est déjà, en soi, une faute de goût diplomatique, et une preuve du degré maladif de soumission au Grand Turc de nos élites européennes dénaturées. On ne traite pas avec un chef d’Etat qui vomit à longueur de temps sa détestation de tout ce que représente le meilleur de la civilisation européenne. Comment s’en étonner, puisque le meilleur de la civilisation européenne, à savoir son enracinement chrétien, est jeté aux orties depuis des décennies ?

Passé ce constat, un regard sur les modalités de la rencontre ne peut que nous plonger dans la consternation. Arrivés dans le salon apprêté par Erdogan pour le dialogue constructif sur l’agenda positif, Michel et Erdogan se dirigent chacun vers un siège, tandis qu’Ursula von der Leyen, soigneusement ignorée, se retrouve debout sans savoir où diriger ses pas : et pour cause, de sièges avancés, il n’y en avait que deux. La diplomate allemande tenta bien un petit raclement de gorge pour rappeler ces messieurs à leur devoir, mais en vain : elle en fut réduite à s’installer à quelques mètres de là, seule, sur un canapé totalement inadapté aux circonstances. Il s’agit bel et bien d’un authentique scandale, qui circule depuis sur la toile sous le nom de #SofaGate.

Il y a de quoi s’offusquer, et cela à plusieurs niveaux. Scandale de la part d’Erdogan : faut-il être en être surpris ? Non, bien sûr : il n’y a rien à attendre de cet individu, qui rêve de soumettre l’Europe par la voie de l’islam conquérant, et qui, en bon fidèle d’Allah, méprise par-dessus tout la femme, et surtout la femme occidentale.

Mais le scandale est aussi du côté de Mme von der Leyen. N’a-t-elle donc aucun reste de fierté ? A quoi sert de vivre à l’heure du féminisme prétendument triomphant, si une dirigeante de ce niveau n’est pas en mesure d’en imposer à deux hommes ? Il ne fallait pas se contenter de râcler la gorge, il fallait hausser le ton, et si besoin, quitter la pièce en claquant la porte. Au lieu de cela, elle a préféré se soumettre, en allant se mettre au coin, comme un enfant pris le doigt dans le pot à confiture. Son porte-parole a expliqué en termes choisis qu’elle avait « décidé de passer outre et de donner la priorité à la substance sur le protocole. » La formule est élégante, mais laisse pantois, devant une telle démission consentie.

Le comble du scandale revient enfin à Charles Michel, qui a pour l’occasion fait preuve d’une rare goujaterie. Qu’Erdogan provoque, il n’y a malheureusement aucune surprise à cela. Il est dans son rôle, le crachat à la figure de l’Occident fait même partie de son programme politique. Mais on aurait attendu de Charles Michel qu’il soit ici le garant de l’élégance occidentale. La seule réponse adaptée à la muflerie turque aurait dû être, pour lui, de céder galamment sa place à Ursula von der Leyen. Voilà qui aurait eu de l’allure ! Mais il a préféré ne pas broncher, dans un geste d’une nullité achevée. Peut-être a-t-il hésité parce qu’on lui a appris, à Bruxelles, qu’être galant, c’est être sexiste et condescendant vis-à-vis des femmes. La belle affaire. A sexisme, sexisme et demi : désormais, aux yeux du monde, le diplomate européiste ne vaut pas plus cher que le tyran oriental.

Cette triste histoire de chaises musicales ne relève malheureusement pas de l’anecdote. Elle nous renseigne au plus haut degré sur l’échec profond de l’entreprise de l’Union européenne, qui, n’étant structurée par aucune valeur profonde et essentielle, est incapable d’incarner une voix diplomatique crédible. Victime tremblante et consentante, elle offre son cou au sabre de l’islam, sans la moindre envie de lutter, de promouvoir et de défendre son modèle de civilisation. La démocratie des Lumières sans le terreau du christianisme est bien incapable d’offrir un bouclier sérieux aux entreprises conquérantes des adorateurs de Mahomet. Nous n’avons pas fini de rester sur le canapé.

Constance Prazel