la France paranoïaque ?

[Source : Breizh Info]

Islamisme, fiches S et fausses rumeurs : la France paranoïaque ?

Depuis quelques mois déjà, la fausse rumeur à l’attentat islamiste, où à l’arrestation d’islamistes présumés, va bon train. Certes, l’expression « mieux vaut prévenir que guérir » n’a sans doute jamais eu autant d’importance en ces périodes où les attentats islamistes se multiplient en France et en Europe.

Mais au même titre que la moindre annonce de « pénurie d’essence » entraîne une ruée vers les stations services – et donc le début de pénurie qui aurait été contenue si les citoyens s’étaient comportés normalement, il en va de même avec le signalement pour « radicalisation présumée » ou pire encore, avec la fausse rumeur.

Parallèlement à la presse subventionnée – qui ne diffuse au final que les informations qu’on lui autorise de diffuser – la presse de réinformation entend informer et tout dire au grand public, mais doit assumer son rôle pleinement ; cela implique une exemplarité, cela implique de faire le tri dans la désinformation qui est pléthore sur la toile aujourd’hui, et dans la fausse rumeur lancée par quelques individus en manque de reconnaissance ou de soutien.

Dernier exemple en date, à La Baule fin juillet, où la rumeur a circulé parmi les commerçants, les habitants et les touristes, comme quoi des individus auraient été arrêtés avec des armes, et même des explosifs. Des individus qui, selon la rumeur toujours, auraient été suivis par les services de police. L’annulation du feu d »artifice du 15 août par le maire de La Baule – qui a simplement préféré ne pas prendre de risque pour 15 minutes d’animation en cette période troublée – n’aura fait que nourrir cette rumeur… qui s’est révélée totalement infondée.
Non, il n y a eu aucune arrestation à La Baule ou à Pornichet ces derniers jours pour des raisons supposées d’islamisme.

Il est toutefois vrai, concernant la situation locale, que des femmes – manifestement en vacances dans le secteur – ont été repérées car portant un voile intégral . Que des hommes ont été vus faisant la prière musulmane sur la plage. Il est également vrai que des violences « classiques » et des bagarres ou des agressions entre bandes rivales ont eu lieu.

Mais au delà de La Baule, la classe politique a largement instrumentalisé l’affaire dite « des fiches S » – rendant la population inquiète ; et les esprits créatifs un peu paranoïaques. Ainsi, les forces de l’ordre ne comptent plus, rien que pour la Bretagne, les signalements d’un jeune en raison d’une barbe qui aurait eu tendance à trop pousser ces derniers mois, ou d’un autre qui aurait cessé de manger du porc.

Des signalements qui obligent – y compris lorsque dans la grande majorité des cas, ils sont totalement infondés – les services de renseignement à mener une enquête ; pas question de laisser passer quelque chose qui aurait été signalée. Dans le même temps, gageons que des individus eux aussi signalés arrivent à passer entre les mailles du filet, eu égard des lourdeurs administratives (et du manque de moyen) intrinsèques aux enquêtes de la police et des renseignements.

C’est donc là que l’acharnement politique, et par conséquence populaire, sur la « fiche S », certains allant même jusqu’à réclamer l’internement de tous ceux qui en font l’objet  atteint ses limites. En effet, au delà de l’aspect constitutionnel ou légal d’un tel internement – après tout, en période de guerre, n’est il pas normal que des mesures d’exception soient prises – c’est bien l’efficacité de ces internements dans la lutte contre l’islamisme qui laisse perplexe.

Qu’est-ce qu’une fiche S ?

Cette fiche S ne constitue en fait que l’une des nombreuses catégories de fiches d’un seul et même fichier, vieux de quarante ans, celui des personnes recherchées. Créé en 1969, il rassemblerait les noms de plus de 400 000 personnes, aussi bien des militants altermondialistes que des membres du grand banditisme ou encore des mineurs signalés pour fugue.

Chacune des 21 catégories est identifiée par une ou plusieurs lettres, dont voici des exemples :

  • « AL » pour les aliénés,
  • « E » pour la police générale des étrangers,
  • « IT » pour les interdits de territoire,
  • « M » pour les mineurs en fugue,
  • « PJ » pour ceux recherchés par la police judiciaire,
  • « R » pour l’opposition à la résidence en France,
  • « S » pour sûreté de l’Etat,
  • « T » pour les débiteurs du Trésor,
  • « TE » pour l’opposition à l’entrée en France,
  • « V » pour les évadés.

Selon Le Monde, « le contenu précis de ces fiches est réglementé par la loi. Y figurent l’état civil (nom, prénom, nationalité, date de naissance), l’alias s’il existe, le sexe, le signalement, une photographie, les « motifs de la recherche » ainsi que la « conduite à tenir en cas de découverte ». Une « fiche S » est ensuite graduée par des chiffres, de « S1 » à « S16 », selon la réponse à apporter en cas de découverte de la personne fichée. Par exemple, « S14 » correspond aux djihadistes de retour de Syrie ou d’Irak, donc potentiellement les plus dangereux.».

Concrètement, cela signifie :

  • que de nombreuses personnes sont – en raison d’une dénonciation, d’un signalement, ou d’une attitude qui interroge – classées fiche S un jour ou l’autre. Et cela aussi bien pour islamisme, que pour participation à une manifestation politique, à un mouvement régionaliste ou encore à un attroupement de supporteurs de football. Derrière le mot « sûreté de l’Etat » s’entremêlent en effet de nombreux profils très divers et loin d’être dans le concret « dangereux » pour la sûreté de l’Etat.
  • que ces personnes peuvent – aussitôt une enquête terminée – ne plus être classées fiche S – qui a d’ailleurs une durée de vie maximale légale d’un an . Ces fiches servent en réalité avant tout pour les besoins d’une enquête sur un thème ou une affaire précise, et donc pas prioritairement à évaluer la dangerosité d’un tel ou d’un tel.
  • que lancer le débat sur l’internement des fiches S reviendrait au final à supprimer la fiche S, à terme, puisque la mesure serait par définition arbitraire – la grande majorité des fichés S ne présentant aucun danger au regard du terrorisme islamiste – et inefficace : les potentiels terroristes islamistes tout en étant pour une partie fichés S,  sont suivis via d’autres fichiers, d’autres recoupements. Une autre partie, ce fût notamment le cas de l’islamiste auteur de l’attentat de Nice, n’est pas fichée pour des liens quelconques avec l’islamisme. Et comme le craignent de nombreuses sources policières, plus l’Europe laissera rentrer des « migrants » sur son territoire d’ailleurs, plus elle s’exposera à des actes terroristes commis par des individus non identifiés par nos services de renseignement.

« Le gouvernement et même ses principaux opposants refusent de désigner l’ennemi » nous indique un retraité de la police nationale. « Jamais un mot sur l’immigration, sur les causes véritables de l’expansion de l’islam et de l’islamisme en Europe ; jamais un mot sur les guerres que nous avons fabriqué de toutes pièces en Syrie, en Irak, en Libye, et qui nous explosent aujourd’hui à la figure » poursuit-t-il. « Par ailleurs, nos forces de l’ordre n’ont plus les moyens de mener à bien leur travail ; les budgets sont en baisse depuis plusieurs gouvernements – de droite comme de gauche. Et pourtant, les directions ne se privent pas pour débloquer des fonds afin de surveiller l’ultra-droite ou l’ultra-gauche, comme si ils représentaient une menace réelle pour un pays en guerre ; il faut savoir sur qui nous voulons faire feu : les anarchistes ? Les identitaires ? Ou bien les islamistes à qui nous avons soi-disant déclaré la guerre ? ».

Ce policier à la retraite nous indique par ailleurs « qu’il n’est pas étonnant qu’une population qu’on ne défend plus et à qui on a désappris à se défendre elle-même sombre dans la peur, et même dans une certaine paranoïa. Une paranoïa qui est nourrit par l’impression d’exister en déclenchant des rumeurs, des fausses histoires. Cette peur est en train de faire le lit d’une société ultra-sécuritaire qui – en refusant de s’attaquer aux vrais maux et donc de discriminer c’est à dire de distinguer – englobera tous les citoyens dans le même panier de la surveillance généralisée et de la restriction de libertés individuelles ».

Une analyse peu réjouissante pour la France de 2016  . Pour les services de l’État, déjà en partie dépassés par les événements faute d’avoir un coup d’avance – notamment au niveau des plus hautes autorités, la « guerre » contre l’islamisme semble mal engagée .