Transmettre sur le corps sexué : urgence et défi

Retrouvez l'intégralité de l'article de Gabrielle Vialla e dans le dossier du dernier numéro de la revue Liberté Politique Transmettre entre culture et morale que vous pourrez vous procurer en cliquant ici

Jusqu’à une époque récente, ces quelques mots, « transmettre sur le corps sexué », pouvaient signifier éduquer à une saine morale sur la sexualité, dans un contexte culturel largement judéo-chrétien. Les familles, les institutions catholiques essayaient de transmettre – non sans maladresses ni quelquefois sans contre-témoignages – un certain socle reçu de la génération précédente. Au cours du XXe siècle, la mise en exergue de la psychologie, l’importance croissante accordée à l’affectivité, le souci d’une certaine transparence ont fait comprendre la nécessité d’une éducation sexuelle et affective. Celle-ci est dorénavant communément acceptée, et plus ou moins heureusement mise en place. Est-ce suffisant ? Ou devons-nous renchérir sur la nécessité d’une réforme de la culture ambiante et d’une transmission plus large sur le sens de la sexualité humaine ?

Lorsque les grands quotidiens titrent sur la possibilité ou non pour une femme transgenre de devenir mère de son fils, que des marques pour adolescents proposent des chaussures à talons, des minijupes portées par des jeunes hommes épilés, qu’une radio catholique raconte la belle histoire d’un changement de sexe chez un enfant de 8 ans, tout éducateur lucide ne peut que ressentir un profond désarroi : comment, dans ces conditions, transmettre le sens de la sexualité humaine ? De la vocation au don de soi jusque dans son corps, au milieu d’une anti-culture qui nie toute finalité à la sexualité ?

Le déferlement de la culture de mort, la vitesse accélérée de ses « progrès », placent les parents, éducateurs et pasteurs devant une tâche inédite. Par où commencer ?

Du constat idéologique au traitement préventif

L'entreprise de négation de la complémentarité des sexes n'est pas restée sur le seul terrain intellectuel, réservé à des universitaires. Les exemples donnés en introduction nous font mesurer à quel point la réalité biologique n’est pas seulement niée par la culture de mort mais comment elle est utilisée ou manipulée à des fins idéologiques.

Tout cela ne fut rendu possible que par la démocratisation de la pilule contraceptive, à l’échelle de deux ou trois générations. La possibilité d’un corps féminin disponible pour une sexualité libérée de la « contrainte » de la maternité était une première étape, à partir de laquelle toutes les revendications, au nom du « désir individuel », devenaient réalisables. Il fallait que ce point fondamental soit très largement admis, au nom d’une certaine idée de la liberté. La contraception hormonale, qui gomme concrètement une partie des différences de vécu entre l’homme et la femme, fut le cheval de Troie de l’indifférenciation sexuelle, comme de toutes les idéologies LGBT. Le vécu féminin modifié par des hormones artificielles, dont nous ne connaissons qu’en partie les effets sur le cerveau ou sur l’humeur, atténue de façon insidieuse la perception de la différence entre l’homme et la femme. Les études relatives à la nocivité des hormones artificielles sont peu nombreuses et souvent inaccessibles pour le grand public. Et quand l’une d’elles sort dans la « grande presse », elle est aussi vite oubliée, tant la contraception hormonale est devenue pour nos contemporains un paradigme sociétal. Ainsi, on sait aujourd’hui que la pilule augmente de 80 % les dépressions et tentatives de suicides chez les adolescentes[1]. Pour autant, quand le gouvernement français, il y a quelques semaines, a rendu la contraception gratuite pour les moins de 15 ans, il n’y a eu aucune réaction. La contraception hormonale n’est plus remise en cause que par quelques écologistes[2] et quelques catholiques. Ceux-ci, écolo ou catholiques, les « anti-contraception », sont minoritaires jusque dans leur milieu. Il n’est que de constater comment le mot même « contraception » disparaît des sites de catéchèses, des prédications de retraites, des propositions d’aides aux familles et aux couples, alors qu’il est sur-employé dans les domaines de l’Éducation nationale, des médias et de la santé.

Voilà mon premier constat : seule la conscience claire de cette base biologique de la contraception hormonale comme support d’une idéologie qui nie le corps sexué, peut donner au discours cohérence et légitimité. En effet, à partir de l’acceptation de la contraception hormonale, il suffit de tirer sur le fil, pour en arriver à justifier l’injustifiable sur le corps sexué. Acceptons de comprendre que nos jeunes vivent dans une anti-culture qui a ce paradigme fondateur : le désir soumet le corps sexué à sa volonté[3].

C’est face à cela que l’éducateur lucide doit se situer. Penser que, dans ce contexte, une belle présentation du corps et de l’amour humain est suffisante pour résister et répondre aux confusions est illusoire.

Les personnes, dont je fais partie, qui adhèrent à la loi naturelle, peuvent commettre cette erreur de fonder leur éducation sur la nature, capable d’exprimer le masculin et le féminin par le corps, plutôt que de la fonder d’abord sur la formation de la conscience. Car la loi naturelle est un appel à la présence du Créateur dans chaque conscience humaine. Le mot loi, en français, précède heureusement le mot nature. La conscience bien formée peut, par la raison, trouver ce qui est bon pour elle, surtout face à une nature qu’elle découvre aussi limitée, blessée. Il ne s’agit plus de défendre coûte que coûte la beauté de la réalité corporelle. Il s’agit de la contempler comme un cadeau, oui, mais relatif à plus grand que la matière. Il s’agit de reconnaître très vite que cette nature s’avère en partie abîmée chez nos enfants, nos fidèles, en nous-mêmes. Il convient d’admettre rapidement la part d’épreuve, corrélative à ce corps, même si, heureusement, il demeure d’abord en premier lieu source d’émerveillement et de contemplation. Le risque est grand, aujourd’hui, d’engendrer chez de nombreux jeunes, ce qu’on pourrait appeler le « syndrome du Père Noël ». Je m’explique. En voulant trop bien faire, en réaction aussi vis-à-vis des horreurs qui les entourent, de nombreux parents et éducateurs veulent présenter de façon belle, positive, magnifique, le corps humain féminin et masculin, ainsi que la sexualité elle-même.

L’intention est bonne, certes, mais cette présentation n’est aujourd’hui plus suffisante. En effet, de nombreux jeunes découvrent de plus en plus rapidement des dissonances en eux-mêmes et autour d’eux entre cette version idéalisée, facile, harmonieuse et la version réelle plus difficile à recevoir. En d’autres termes, ils découvrent que le Père Noël n’existe pas et qu’on les a trompés.

J’en appelle à découvrir et à accueillir le vécu du féminin et du masculin à partir de la conscience. Ce fut l’objet de mon ouvrage Bien vivre le cycle féminin[4]. Si je développe une description poétique du cycle, c'est pour mieux faire passer une approche pragmatique, réaliste. Pour la femme d’aujourd’hui, vivre son cycle relève d’un véritable défi, en particulier si sa mère et les jeunes filles qui l’entourent ont leur cycle gommé par des hormones. Par ailleurs, certaines femmes sont privées de leur cycle par diverses pathologies féminines quelquefois invalidantes, causées par les perturbateurs endocriniens, la pollution... Ce sujet de santé publique est aussi un lieu de vécu féminin douloureux, longtemps passé sous silence. Je ne cherche donc pas à cacher les difficultés du vécu du cycle, ayant trop fait l’expérience dans l’accompagnement des jeunes femmes, de ce fameux syndrome du Père Noël. Encore une fois, pour bien faire, dans de nombreuses familles, on présente le cycle comme quelque chose de merveilleusement automatique qui permet d’avoir des bébés, et puis les jeunes filles se réveillent un jour en se disant qu’on leur a menti parce qu’en réalité elles ont du mal à se connaître, à s’apprécier avec ce cycle qui leur a été pourtant présenté comme un trésor… et qui s’avère être aussi une épreuve.

Je me refuse de verser dans l'adulation du féminin et de son cycle. On peut perdre son cycle par la maladie, et on le perd naturellement à la ménopause. La femme est plus grande que son cycle. Si la finalité procréative du cycle doit être présentée dans l’éducation sexuelle et affective, le cycle, lui, se vit quelquefois dès l’âge de 12 ou 13 ans, il est quotidien. Aussi est-ce utile et même important de l’aborder en lien avec les capacités, les talents de chaque jeune fille prise individuellement. Quant aux jeunes hommes, eux aussi vivent de plus en plus souvent un syndrome du Père Noël, en découvrant leur rôle dans la régulation des naissances et le vrai défi conjugal à vivre. Certains peuvent ainsi ressentir durablement de la colère face à un combat déroutant auquel on ne les a pas préparés. Le jeune homme, quand sa maturité est suffisante, doit percevoir que le temps féminin cyclique n’est pas le même que le sien. Il doit, à mon sens, percevoir de façon encore lointaine, une nécessaire responsabilité du masculin face au cycle, et la non moins nécessaire compréhension de l’homme vis-à-vis du vécu féminin. Ce sujet est encore plus tabou aujourd’hui. Pourtant, nous entrons tous dans la vie au moyen du cycle, et le respect de la vie naissante dans le corps de la femme exige que le jeune homme, sans entrer dans les détails, comprenne cette complémentarité fondamentale. Il en va tout simplement de sa persévérance dans l’amour. En outre, décrire le cycle par le biais des les quatre éléments fournit aux gars des outils pour lutter contre la pornographie et pour gagner en aplomb, de ce point de vue, vis-à-vis de leurs congénères. Il s’agit d’une approche hildegardienne : nommer un mal, comprendre son étendue, ses conséquences, et prévenir non par la seule autorité mais par un traitement préventif !

Retrouvez l'intégralité de l'article de Gabrielle Vialla e dans le dossier du dernier numéro de la revue Liberté Politique Transmettre entre culture et morale que vous pourrez vous procurer en cliquant ici

[1] Étude publiée en sept. 2016 dans la revue JAMA Psychiatry, par le gynécologue Oejvind Lidegaard, de l'Université de Copenhague. https://ajp.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.ajp.2017.17060616

[2] On peut lire J'arrête la pilule, de Sabrina Debusquat.

[3] Le désir fait partie de l’acte volontaire, il en est la source, il peut effectivement en être l’expression la plus vive, mais il ne s’identifie pas avec lui. Le sens de ce paradigme est donc d’attribuer au désir une volonté qui n’est pas une, mais qui devient un dictat. Ce postulat mortifère comprend d’emblée le morcellement de la personne et par là s’oppose à la chasteté, qui unifie tout en nous. J’en parlerai dans la suite de l’article.

[4] Éd. Artège, 2020.