Sophie Daoût : « Les salles de shoot ne règlent rien ! »

Sophie Daoût est membre de l’association Jeunesse sans drogue. Son fils, Lionel, a connu une longue descente aux enfers avant d’être tué par l’héroïne il y a cinq ans. Depuis, elle s’est engagée dans le combat contre la drogue et intervient régulièrement auprès des élèves, à partir du CM2, et de leurs parents. Sophie Daoût estime que la création de salles de shoot n’est pas une solution aux problèmes des héroïnomanes.  Elle aimerait que l’on se concentre davantage sur la prévention et l’accompagnement des jeunes toxicomanes.

Liberté politique. — Le conseil de Paris a adopté le « principe d'installation » d'une salle de consommation de drogue derrière la gare du Nord à Paris, et de son permis de construire. Une association a attaqué Jean-Marc Ayrault pour « abus d'autorité » et « incitation à la consommation de stupéfiants ». Êtes-vous favorable à l’ouverture de ces salles de shoot ?

Je suis nuancée et pragmatique, donc je soutiendrai ce qui marche. Néanmoins, je constate que dans les pays où ces salles de shoot existent, il n’y a pas de diminution du nombre d’héroïnomanes. J’ajoute qu’elles coûtent très cher. L’argent nécessaire à leur création permettrait à sept ou huit jeunes de sortir de la drogue.

Cette demande vise à gagner la paix sociale. Dans les salles de shoot, les drogués seront moins voyants. Mais le trafic ne s’arrête pas : il se fait aux alentours de la salle de shoot, avec ses conséquences en termes d’insécurité. Les toxicomanes apportant leur produit, le trafic ne peut pas être cassé.

On se donne bonne conscience en créant des salles de shoot, mais on ne règle rien !  C’est une fausse façon de régler le problème.

L’ouverture de telles salles serait-elle un pas vers la légalisation ?

On ouvrirait bien sûr la porte à la légalisation. Elle est souhaitée par deux catégories de personnes : les drogués, car ils en ont assez d’être placés en garde à vue, et les mafias, qui deviendraient ainsi des commerçants sur la place publique. Je pense également à des groupuscules, comme le CIRC. Les salles de shoot font partie de leurs chevaux de bataille : ils jouent sur la compassion à l’égard des héroïnomanes, compassion qui est logique et consensuelle, mais cela masque en fait autre chose, c’est-à-dire la légalisation des drogues. Pour brouiller les pistes, ils font entrer dans le débat des dossiers comme le cannabis thérapeutique. Or il s’agit d’un débat médical, qui devrait le rester ! 

Vous qui encouragez les jeunes à ne jamais commencer la drogue, pensez-vous que l’ouverture de salle des shoots rendrait plus difficile cette prévention ?

Le message envoyé aux jeunes est terrible. On banalise la drogue. Ces salles seraient des zones de non-droit où l’on se shoote devant des médecins, alors que la drogue est interdite dans notre pays ! Comment dire ensuite aux enfants qu’ils ne doivent pas prendre de drogues ? L’objectif est quand même de ne pas se droguer ou d’aider ceux qui le souhaitent à s’en sortir! Concentrons-nous sur nos priorités et sur les moyens qui marchent.

Quels sont-ils ?

La prévention ! Un pays a réussi : la Suède. Elle a essayé la légalisation du cannabis, mais les overdoses et la petite délinquance liée à la drogue ont augmenté. Elle a changé son fusil d’épaule en réprimant le deal et le gros trafic, mais aussi en développant la prévention, qui commence dès l’école primaire et parfois maternelle. L’accompagnement médical et psychologique des jeunes dans la dépendance est un autre volet de leur politique de lutte contre la drogue. Moyennant cela, la Suède est le pays qui a le plus bas pourcentage de toxicomanes en Europe. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce modèle puisqu’il a fait ses preuves ?

Par ailleurs, il faut aussi associer à la prévention les parents, qui sont souvent dans une attitude de déni par rapport à ces problèmes. Ils répondent rarement à mes sollicitations. Or, ils sont en première ligne pour l’éducation de leurs enfants !  Les professeurs également ! Ils devraient être formés à ça. Ils constatent les dégâts causés par la drogue, ils repèrent les jeunes en danger, mais ils n’ont pas le temps ni les compétences pour trouver des solutions. Et parfois même ils se heurtent à l’incompréhension, voire l’hostilité des familles.

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

 

Association jeunesse sans drogue :

Le site : http://www.jeunessesansdrogue.net/
 Le blog : http://jeunessesansdrogue.blogspot.fr/
 Le forum : http://jeunessesansdrogue.xooit.fr/index.php
 Contacts : jeunessesansdrogue@gmail.com / 06 64 38 94 27

Sophie Daoût a écrit plusieurs ouvrages sur la drogue :

Lâche ta drogue et tiens bon ! Editions Fayard, 1992.
 Demain, j’arrête la came ! Editions Fayard, 1997.
 Jamais douces les drogues, Sarment Editions du Jubilé, 2006.
 Lettres closes, Sudaresne, 2009.
 Chemins d’errance, Editions Vivre tout simplement, 2011.

 

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