Ségolène Royal : seulement une étourdie ?

[Source : Roland Hureaux] 

Ce qu'il y a de consternant dans la déclaration faite par Ségolène Royal à La Havane à l'occasion des obsèques de Fidel Castro, ce n'est pas qu'elle ait dit du bien du défunt. Tout le monde sait qu'un  jour d'obsèques, il est mal venu de dénigrer le disparu. 

Ce qui a choqué l'opinion, c'est le caractère à la fois exagéré et quant au fond, erroné de cet éloge.

Il n'était pas nécessaire de dire que le Lider maximo a été "un monument de l'histoire", c'est exagéré.

Il ne fallait surtout pas dire qu'il n'y a pas de prisonniers politiques à Cuba: il y en a on en connaît certains et il y en avait bien davantage encore dans les trente premières années du régime. 

Évoquer l'existence sur l'île d’"une liberté religieuse" et d’"une liberté de conscience" est aussi choquant : un peu aujourd'hui certes et encore, mais on sait que, dans ce pays,  pendant quarante ans, la religion a été persécutée et toute opinion dissidente interdite.

Il y avait pourtant  des choses positives  et justes à  dire sur Fidel Castro : par exemple qu'il a incarné un moment la fierté du peuple cubain, une forme de résistance nationale contre le grand voisin américain quelque peu encombrant. Personnellement,   je ne lui aurais pas reproché de dire cela.  Mais  l'idée d'une  résistance  nationale est  étrangère aux valeurs de Mme Royal qui était  une enthousiaste d’Hillary Clinton et des néoconservateurs américains, une mondialiste libérale et post-nationale convaincue.   

Ce qui frappe dans les propos de Mme Royal  (dont on ne saurait évidemment oublier la proximité avec le président Hollande),c'est d’abord l'ignorance. Je ne doute pas en effet  que  Mme Royal croyait sincèrement  qu'il  n'y avait pas  de prisonniers politiques à Cuba. Cette partisane du mariage isosexe ignore sûrement que, dans les années soixante, Fidel Castro avait ouvert des camps de concentration pour les homosexuels. L'ignorance n'est  pas blâmable à condition qu'elle rende modeste. Mais celle de Royal est sans gêne et sans fard à l'image d'un parti socialiste de basse époque où les carrières se font au culot. 

Autant que l'ignorance, ce qui frappe, c’est la lourdeur des propos. Il faut certes  faire preuve de bonne éducation un jour de deuil, et de diplomatie quand on représente la France, mais avec mesure et tact, sans se ridiculiser. En mission diplomatique, on pèse ses mots.

Cette dégénérescence de  bonnes mœurs  à l'international  s'observe hélas, presque tous les jours. Le tweet grossier de l'ambassadeur de France à Washington, un personnage dont il n'est pas nécessaire de retenir le nom, envoyé  au moment où  il apprenait l'élection de Trump, fut  la fois discourtois pour celui-ci et nuisible aux intérêts de notre  pays. D'autant plus nuisible que ce diplomate  est toujours en place.

Ne parlons pas des torrents  d'injures  et de mensonges déversés depuis cinq ans  par le Quai d'Orsay sur le gouvernement  de Bachar-el-Assad au mépris de tous les usages. Pour la première fois,  un service diplomatique occidental se comporte comme les agences soviétiques de propagande de la grande époque.  

Derrière ces comportements, il y a l’ignorance, tant des faits que des usages. Il   y a aussi  l'idéologie : l'ignorance est  le  terreau de l'idéologie, l'idéologie  fait perdre toute mesure. A l'analyse objective du réel, elle substitue la projection de quelques valences schématiques : pour une partie de la gauche française, Castro porte encore le  signe plus, comme Poutine porte le  signe moins. A partir de là, on peut dire n'importe quoi. L'idéologie permet aux ignorants de pérorer sur des sujets qu'ils ne connaissent pas et dont la connaissance, au fond, leur  importe peu,  encore heureux  qu'à ce stade, il ne s'agisse que de mots. Mais les mots ne sont pas innocents. Depuis les commencements  de l'histoire, au IIIe millénaire avant  JC, la culture et la diplomatie ont eu pour but de pacifier autant que faire se peut les relations entre les  hommes et  les peuples : la culture pour comprendre l'autre, la diplomatie pour ne pas blesser inutilement.  Que ne peut-on craindre à voir disparaître ces antiques vertus ?