S’engager en politique (III/IV) : S’appliquer sérieusement à la conquête du pouvoir

Suite de la communication du philosophe à l’université d’été de la Sainte-Baume 2014. Après avoir évoqué la nécessité d’élargir nos thématiques et notre vision du théâtre d’opération, caractérisé par la fin du monde libéral, une réflexion sur la juste conquête du pouvoir.

POURQUOI la promotion de la justice requiert que les catholiques s’en mêlent, c’est-à-dire participent à la conquête du pouvoir en vue du rétablissement du bien commun ? Mais aussi quels défauts nous faut-il surmonter pour servir vraiment notre peuple et son bien commun, et rendre ainsi un témoignage crédible, courageux, émouvant ? 

III- Troisième point de méditation : « La conquête du pouvoir »

 Le pouvoir n’est pas une chose impure. Il faut se décomplexer dans ce domaine.

Le pouvoir n’est pas une chose impure

Il ne peut y avoir de société civilisée et de justice sans loi et sans pouvoir. Sans pouvoir et sans loi, il n’y a que l’état de guerre, le droit du plus fort, ce que Hobbes appelait (d’un terme équivoque) l’« état de nature ».

On peut abuser du pouvoir, bien entendu, et c’est une injustice. Mais, le contraire du pouvoir, ce n’est ni la bonté, ni la liberté. C’est la pusillanimité, le chaos, l’impuissance. C’est surtout l’injustice libertaire, qui fait du libéralisme un rétablissement de l’« état de nature » [1].

Le pouvoir n’est pas la dictature. Au contraire, s’il est de plus en plus fermement lié à la loi de paix (que la tradition appelle la loi naturelle), le pouvoir passe par un processus, qui voit s’enrichir le pacte social, à mesure que le pouvoir s’enveloppe dans l’État, et que l’État s’épanouit en république, puis en démocratie. C’est ainsi que se déploie l’existence historique d’un peuple libre, qui a forcément forme de nation. Faute de temps, permettez-moi ici de vous renvoyer, pour des explications détaillée, à mon livre La Force de la liberté.

Un citoyen responsable qui veut agir pour la justice au niveau de la cité doit donc influer sur le pouvoir ou participer à son exercice. Qui veut l’exercer doit d’abord y parvenir. Nul n’y parvient sans l’emporter dans une concurrence très vive. De là l’expression de conquête du pouvoir. Qui ne veut pas conquérir le pouvoir ne veut pas réellement l’exercer et ne sera pas crédible, même quand il s’agira simplement de l’influencer.

Pour être juste, il ne suffit pas de respecter les libertés individuelles

Les gens s’imaginent qu’ils sont moraux à partir du moment où ils respectent presque inconditionnellement la liberté individuelle. Cette bonne conscience est une fausse conscience, parfois une hypocrisie. Il n’y a pas de justice sans une action forte de limitation ou de suppression des abus. C’est donc une injustice que de ne pas oser exercer l’autorité, de laisser faire et de tout lâcher, dans un oubli presque complet du bien commun, comme si l’utilité commune était seulement une somme de droits individuels autoproclamés par des égoïstes, des irresponsables et des transgressifs.

La justice consiste d’abord dans le respect du bien commun et du droit au bien commun, qui conditionne tous les autres droits, et les limite. Celui qui ne respecte que les libertés individuelles n’est pas juste. Il laisse leur abus démanteler le bien commun. Il ne cultive qu’une des trois dimensions principales de la justice [2], et dans la pratique il est toujours du côté du plus fort, du plus égoïste et du plus transgressif. Que se dit le peuple ? « On me fait la morale dans le domaine des mœurs privées, tout en me laissant exploiter par des immoraux sur l’immoralité économique desquels on ferme les yeux. »

L’engagement d’un chrétien en politique ne peut pas être authentique, s’il est unilatéral et partial. Le peuple a besoin de défenseurs de la justice en toutes ses dimensions.

Aimer le peuple et être authentique

Quand on aime le peuple, et qu’on s’engage en politique, on veut résolument conquérir le pouvoir, pour rétablir le bien commun. Mais on n’est écouté, et on ne peut s’allier sur ce bien commun avec tous les autres, dont l'union est indispensable à la victoire, que si on est authentique.

Si nous ne parlons ni de chômage, ni des devoirs du capital financier envers la nation, ni des droits financiers de la nation comme condition fondamentale de la démocratie et du travail pour tous, alors nous sommes répulsifs pour les classes populaires, chaque fois que nous parlons de famille. Nous ne semblons pas authentiques. Peut-être ne le sommes-nous pas ?

Être authentique, ce n’est pas pour autant se mettre à la remorque d'idéologies néo-communistes, refuser les modernisations, confondre la solidarité avec ses formes clientélistes ou parasitaires. L’authentique amour du peuple, ce n’est pas dresser les « riches » contre les « pauvres ». 

Opposer ceux qui proposent encore des emplois dans le pays et ceux qui offrent désespérément leur travail, c’est une façon de diviser la nation au seul profit d’une finance libertaire. Telle est l'hypocrisie socialiste-libérale-libertaire. Mais ne fait-elle pas pendant à une hypocrisie conservatrice-libérale-libertaire ?

Le libertarisme sexuel, c'est le pourboire de la soumission. C'est le lot de consolation octroyé à un peuple réduit en « population », peuple auquel on refuse aussi bien l’avenir économique que la participation démocratique effective. C’est surtout une ruse, pour faire adhérer implicitement le peuple à ce libéral-libertarisme qui lui donne pour avenir la prolétarisation. Toutes les lois que nous savons sont des ruses biocratiques (pour employer un terme du philosophe Michel Foucault) : incruster le pouvoir de dominants dans les habitudes de la chair des dominés.

Une gauche biocratique

La gauche biocratique n'a plus que la destruction de la famille au profit du sexe bobo pour tenter de se prétendre encore progressiste. Verbiage d'une « égalité » postiche. Il n'y aura jamais de solidarité sans famille qui tienne la route. Un véritable sens de l'égalité porterait le fer dans les privilèges de la haute fonction publique, de ses clientèles, et surtout dans la source financière de l'inégalité exponentiellement croissante. L'Éducation nationale libertaire ? Une fabrique d'inégalité. Le libertarisme sexuel d’État a pour fonction biocratique de river aux pieds du peuple la chaîne du libertarisme économique. C’est pour cela que la gauche a perdu le peuple et sa raison d'être.

Pour faire mieux comprendre et respecter l'idéal du couple, du mariage et de la famille authentiques, plus encore la foi qui les anime, il faut se montrer capable de les vivre dans l'amour effectif du peuple, et de la justice, sans avoir peur de sa démocratie. Car ce que demande d'abord le peuple, c'est un vrai pouvoir, juste et fort, pour le défendre.

Ce qui scandalise, et qui produit une pénible impression de contrainte et d'inauthenticité, c'est la fixation exclusive sur la famille, sans ouverture à l'affreux souci qu'ont le peuple et sa jeunesse au sujet de leur avenir économique.  

L’action politique juste est un magnifique témoignage chrétien

Si l’on veut que l’Église soit aimée en France, comme l’est déjà le pape François, il faut qu’il y ait des catholiques qui servent le bien commun et toute la justice, avec courage, sans haine, avec prudence, avec succès. Ces personnes auront pour premier souci le bien commun. Toutefois, elles contribueront aussi par leur action à ouvrir les cœurs au Christ.

L'action publique juste est un beau témoignage chrétien. Supprimer des abus, le faire sans entrer dans une logique de guerre. Le faire sans hésiter à dire publiquement qu'on est catholique, mais sans instrumentaliser l’Église, ni vouloir être une longue main des évêques.

Faire du bon travail pour le bien commun, unir le peuple, travailler avec compétence ; et, dans l’amour de ce peuple et de notre patrie, témoigner que le Christ est notre source vivante de l'amour authentique et éclairé de la justice. N'est-ce pas cela l'engagement chrétien en politique ?

 

HH-Liberté

Henri Hude est philosophe,
 directeur du pôle "Ethique" des Ecoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan,
 ancien élève de l'ENS.

Dernier ouvrage paru : La Force de la liberté (Economica, 2013)

 

Articles précédents : 
 S’engager en politique (I/IV) : Élargir nos thématiques
 S’engager en politique (II/IV) : Élargir notre vision : la fin du monde libéral

 Prochain article :
 S’engager en politique (IV/IV) : Les obstacles à la conquête du pouvoir - scrupules, culpabilités, laïcités…

 Illustration : La prudence, par Pierre Cartellier, Paris, Palais des Invalides, détail (1815).

 

Pour en savoir plus :
 http://www.henrihude.fr/mes-reflexions/50-democratiedurable/340-2014-09-29-21-19-37

 

 

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[1] Pour des explications détaillées, voir Préparer l’avenir. Nouvelle philosophie du décideur, Economica, 2012.
[2] Voir L’Ethique des décideurs, 2e édition, Economica, 2013, chap.3.

 

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