Sarkozy, Royal, Le Pen, Villiers, Voynet... Ils sont venus, ils sont tous là. Mais la mama , ou plutôt la Gente Dame , qui suscite un tel défilé ne va pas mourir.

Oh que non ! La chasse – tel est son nom – est même plutôt en bonne santé : 1,5 millions de pratiquants. Autant d'électeurs...Mardi 20 février, sur l'agenda de chaque candidat, c'était jour d' interro orale ! Une pratique politique très emblématique de notre époque friande, paraît-il, en démocratie participative . Une pratique appelée à se développer ?

Moins habitués aux salons feutrés de la Maison de la Chimie qu'aux forêts de Sologne ou aux bocages normands, les chasseurs – peu de chasseresses —, d'ailleurs – n'en sont pas moins à l'aise. Comme les bourgeois de Jacques Brel, ils savent ce qu'ils pèsent. L'électeur chasseur est une proie difficile à capter ; en cas de réussite, elle est difficile à garder. C'est un électeur dont les choix sont plus dictés par une qualité de vie dans le monde rural que par une idéologie. Difficile de faire plus clair et plus à propos.

Introduisant cette réunion d'un genre particulier – une sorte de Grand Oral de la chasse – le président de la puissante Fédération Nationale des Chasseurs (FNC), Chares-Henri de Ponchalon, a d'emblée écarté l'idée que les voix des chasseurs se porteraient naturellement sur le candidat du mouvement Chasse, Pêche, Nature et Tradition, Frédéric Nihous. Mais ce dernier se sentait comme à la maison . Son message, son ton, voire sa diction, avaient tout pour plaire à ses coreligionnaires : brut de décoffrage ! Sa priorité est claire, elle ne concerne pas les débats de fond mais évoque plutôt les vieilles querelles ancestrales qu'on trouve à la campagne : battre les Verts !

C'est d'ailleurs le courage et l'humour de leur représentante, Dominique Voynet, qu'il convient de saluer en premier, même si l'on ne partage pas ses idées : Je ne suis pas venue faire la danse du ventre devant vous ! De fait, ces messieurs ne paraissaient pas prêts à en faire leur mata-hari... Quant aux autres candidats, ils ont tout entrepris pour se concilier l'électorat dont ils avaient devant eux un bel échantillon, tout en ménageant les susceptibilités des bobos écolos de leurs partis respectifs. D'où des objectifs qui, pour le coup, auraient ravi par leur platitude les examinateurs du vrai Grand Oral de Sciences Po : Réconcilier la chasse avec l'écologie (pour Nicolas Dupont-Aignan), utiliser l'Europe à bon escient (pour François Bayrou), faire le bilan de ce qui existe, évaluer les politiques mises en place avant toute nouvelle décision (pour...Ségolène Royal, bien sûr !), rendre vie à la ruralité, une chance pour la France (pour Philippe de Villiers), assurer une chance populaire et démocratique (pour Marie-George Buffet), faire revivre le monde rural en s'affranchissant de Bruxelles (pour Jean-Marie Le Pen), assurer une chasse durable en y associant largement les chasseurs (pour Nicolas Sarkozy, qui remporte assurément la palme de la tautologie...)

Mais au-delà des prestations des uns et des autres, c'est l'exercice lui-même qui invite à la réflexion. Ne tombons pas dans la caricature, en procédant à une comparaison – peut-être édifiante... — entre ce forum électoral et les épreuves de sélection de la Nouvelle Star ou de Star Academy. On ne sait si les candidats se sont retrouvés à la tombée de la nuit dans quelque bar du VIIe arrondissement pour commenter leurs éval' respectives !

Charles-Henri de Ponchalon pose lui-même la question décisive : Qui peut se permettre de réunir, à deux mois de cette échéance capitale pour notre pays qu'est l'élection présidentielle, le même jour à la même tribune, les principaux candidats parmi lesquels, à coup sûr, le ou la futur(e) Président(e) de la République ?

S'il est un type de catégorie capable, en théorie au moins, d'en faire autant, et pour des sujets certainement plus importants que le sort des palombes, des sujets majeurs touchant au destin de la société elle-même, ce sont bien les religions. Qu'en est-il réellement ? Distinguons d'abord le lobbying, qui consiste en une promotion discrète et continue d'intérêts catégoriels, de ce qu'on peut appeler le mandating, c'est-à-dire le contrôle par des mandants potentiels du programme qu'un candidat entend appliquer pendant son mandat.

Le lobbying des religions

Le lobbying des religions (ou plus exactement des communautés de religieux , cf. mon livre Dieu est dans l'isoloir) existe depuis longtemps, et s'il varie en modalités et en intensité d'une communauté à l'autre, il se pratique comme M. Jourdain faisait des vers : sans que nul ne s'en aperçoive.

En revanche, le mandating n'est pas fréquent. On connaît certes le dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui se tient traditionnellement début janvier, et où se rend une grande partie de la classe politique – mais c'est une manifestation qui n'équivaut pas à ce qui s'est fait mardi dernier à la maison de la Chimie. De même, le Conseil français du culte musulman, qui a déjà du mal à réunir ses propres membres, est loin d'avoir le potentiel mobilisateur des chasseurs.

Quant aux catholiques, ils sont aux prises avec un débat qui va en s'accentuant et que l'on croyait pourtant réglé depuis le Concile Vatican II : qui se charge de défendre et promouvoir dans le champ politique la vision des catholiques sur tel ou tel point ? Était-il, par exemple, judicieux que le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, signât seul pour l'Église catholique la déclaration inter-religieuse sur le mariage homosexuel, quand ses partenaires comptaient chacun un religieux et un laïc ? Est-il juste, efficace, habile, évangélique que la voix des catholiques dans le domaine public soit portée par leurs seuls évêques ? Ne pourrait-on envisager, aux côtés de la Conférence des évêques de France, un ou plusieurs CRIF catholiques , dirigés par des laïcs ? Les hommes et femmes de talent ne manquent pas au sein de la communauté catholique.

Il serait intéressant d'explorer les voies étrangères où la parole catholique se fait entendre ainsi, librement, dans le cadre propre de la responsabilité politique des laïcs, de telle sorte que les autorités de l'Église soient préservées des détails d'intendance, et se concentrent sur l'essentiel...

Entre instances dirigées par des laïcs, les démarches du type de celle entreprise par les responsables religieux de la région lyonnaise contre le mariage homosexuel pourraient devenir courantes – et dessiner ainsi le visage d'une société civile organisée dans toutes ses dimensions, signe d'une bonne santé démocratique. Le forum de la FNC s'intitulait La chasse en campagne . À quand La foi en campagne ?

*Matthieu Grimpret est essayiste. Vient de faire paraître Dieu est dans l'isoloir, – Politique et religions, des retrouvailles que Marianne n'avait pas prévues, Presses de la renaissance, janvier 2007, 268 p., 18 €

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage