Que fera le nouveau président de son triomphe ? Derrière sa posture de rassembleur, ce sont ses choix concrets qui permettront de savoir s'il entend vraiment rompre avec l'idéologie soixante-huitarde.

"Je ne vous décevrai pas !" La formule est à double tranchant.

Nicolas Sarkozy a promis, son heure étant enfin venue, de rendre à son pays ce qu'il avait reçu de lui, c'est-à-dire "tout". La posture messianique caractérise de plus en plus la politique française. Elle n'est pas propre au nouveau président et surprend toujours les observateurs étrangers. Dans son élan, Nicolas Sarkozy n'a pas seulement tenu, une fois son élection confirmée, à se poser en président de tous les Français : dans la joie de la victoire, avant de s'envoler pour Malte, il leur a annoncé des lendemains enchanteurs.

Celui qui se dit adepte du pragmatisme et qui avait stigmatisé l'irresponsabilité économique de Ségolène Royal, au cours de leur ultime face-à-face, par la formule "Demain on rase gratis", ne s'est-il pas engagé à des résultats stupéfiants ? "Ce changement [...] je le ferai sans que personne n'ait le sentiment d'être exclu, d'être laissé pour compte. Je le ferai avec la volonté que chacun puisse trouver sa place dans notre République, que chacun s'y sente reconnu et respecté dans sa dignité de citoyen et dans sa dignité d'homme. Tous ceux que la vie a brisés, ceux que la vie a usés doivent savoir qu'ils ne seront pas abandonnés, qu'ils seront aidés, qu'ils seront secourus. Ceux qui ont le sentiment que quoi qu'ils fassent ils ne pourront pas s'en sortir doivent être sûrs qu'ils ne seront pas laissés de côté et qu'ils auront les mêmes chances que les autres."

Pareille envolée lyrique favorise autant la victoire de l'UMP aux prochaines législatives que la réponse des Français à l'appel de leur nouveau leader : qu'ils fassent preuve de générosité, de tolérance et de fraternité. Bonheur du vainqueur : selon une enquête Opinion way, réalisée le jour du vote, 66% des Français attendaient "du (de la) prochain(e) président(e) de la République qu'il (elle) applique son programme, même si tout le monde n'est pas d'accord".

 

On s'attend donc à un état de grâce durable, mais décliner de louables intentions en promesses aussi universelles que celles que fit Nicolas Sarkozy en ce dimanche de victoire ne réclame-t-il pas des pouvoirs qui excèdent ceux que confèrent au chef de l'État la Constitution... et l'humble condition humaine ? Nicolas Sarkozy imagine-t-il encore éradiquer la souffrance, comme le laissèrent penser certains cafouillages de campagne autour de l'euthanasie avant clarification ? La posture prométhéenne a quelque chose de naïf ou de risqué.

Tablant sur de futurs désenchantements, les responsables socialistes ont d'ailleurs, sur les plateaux de télévision, soigneusement pris acte des engagements du vainqueur avant de reprendre leurs règlements de compte internes en direct.

Certes, le président nouvellement élu avait aussi tenu à rappeler, en cinq mots, les lignes de rupture qui sont à mettre à son crédit : "Je veux réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect, le mérite." De ce point de vue, la promesse de tenir ses promesses sonne comme une inquiétante mise au pas pour une gauche en pleine confusion idéologique. C'est elle, d'abord, qui risque de "ne pas être déçue".

Le Parti socialiste doit faire profil bas en confessant "l'immaturité de la gauche" française... et ses leaders s'en renvoient la responsabilité. Seuls leurs cris d'orfraie s'étaient faits unanimes quand Mai 1968, à la genèse des dogmes libertaires, avait été analysé avec sévérité par le candidat UMP comme la cause de tous les maux, péché originel de la crise identitaire et morale subie par la société française.

Un quinquagénaire pugnace, bien décidé à ne plus gérer la France comme un bon papa gâteau cédant au moindre caprice catégoriel, a donc réussi à tordre le cou, dans un même mouvement, au socialisme et au chiraquisme. Mais Nicolas Sarkozy est-il en mesure d'encourager la stabilité familiale source de la véritable prospérité et le respect de la vie, condition du vrai bonheur ?

Où tout va se jouer

C'est bien maintenant que tout va se jouer pour ce qui est essentiel. Or, on l'a entendu proclamer dans l'un de ses derniers clips de campagne : "Le droit à l'avortement, cela fait partie aussi de notre identité..." Et que ce soit le sympathique Johnny Halliday, au sortir du Fouquet's, qui donne en exemple l'amour "de Nicolas" pour sa famille n'est pas pour rassurer sur les repères qu'on entend promouvoir.

Deux signes devront donc être analysés.

Premier signe : le futur gouvernement fera-t-il une place à Christine Boutin ? La présidente du Forum des républicains sociaux offre comme atout en vue des législatives les 8 000 adhérents de son parti, associé à l'UMP, et son expertise des questions sociales. Bien sûr, un "bon" ministre ne saurait suffire. Indéniable, son influence ne peut être déterminante surtout si ce ministre est isolé voire marginalisé sur ses convictions-clés dans sa propre majorité. Christine Boutin n'a jamais renié ses convictions au service de la vie et de la famille et leur a même donné de la cohérence en y associant la défense des plus vulnérables. Dans l'hypothèse de sa présence au gouvernement, on devra donc regarder quels sont ses autres membres et qui occupe des postes-clés pour la famille et la vie. Il faudra surtout suivre les réformes mises en œuvre.

Second signe justement : comment Nicolas Sarkozy va-t-il gérer la question homosexuelle après avoir proposé un Contrat d'union civile, en mairie, entraînant "une égalité fiscale, sociale, patrimoniale totale avec les couples mariés, qui ira, par exemple jusqu'au droit à la pension de réversion pour le conjoint homosexuel" ? L'union homosexuelle à la hauteur du mariage ? Même si elle évite – ou retarde – le mariage assorti d'un droit à l'adoption, une telle promesse menace la famille et les repères de la société.

Bref, rien n'est joué. Ou plutôt, il reste à jouer une seconde manche, décisive : celle des législatives. Sans cautionner par avance les candidats estampillés majorité présidentielle, au premier comme au second tour, il est impératif d'éviter l'élection de ceux – ils sont plusieurs – qui agissent depuis des années comme cheval de Troie des idées transgressives dans la majorité présidentielle. Le site internet du quotidien Le Monde évoquait, au soir du 6 mai, un Nicolas Sarkozy se sachant victorieux à 19 heures, attablé, dans son QG de campagne, entre Christine Boutin et Roselyne Bachelot. Tout un symbole.

 

Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.

Pour en savoir plus :

■ Les résultats de l'élection présidentielle comparés aux chiffres de 2002 (Décryptage, 9 mai 2007)

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