La réforme des collectivités territoriales va faire doubler le nombre de conseillers régionaux, de 1757 actuellement à 3471 [1]. À qui va-t-on faire croire qu'il soit nécessaire, ou même simplement utile, pour une bonne gouvernance de la région Midi-Pyrénées, que siégent 255 personnes au lieu de 91 ?

Qui donc démontrera que, nonobstant l'impératif de réduction des dépenses publiques, il faille dépenser l'argent du contribuable pour agrandir les hémicycles régionaux, tandis que l'on pourrait sans problème lésiner sur la modernisation du matériel dont disposent nos soldats qui risquent leur vie en Afghanistan ou en Afrique [2] ?

Trop de parlementaires
De même, avons-nous besoin de 577 députés et 343 sénateurs [3] ? Les États-Unis comptent 435 représentants — le même nombre qu'en 1911, malgré un triplement de la population [4] – et 100 sénateurs. Au lieu de gloser sur les revenus de nos parlementaires, ne vaudrait-il pas mieux s'inquiéter de ce que leur nombre entraîne comme dépenses, au détriment des services dont auraient besoin le législateur ?
On sait pourtant que celui-ci ne dispose pas des équipes nécessaires pour diligenter les études d'impact et de faisabilité qui nous éviteraient de produire en quantité invraisemblable des lois de qualité médiocre. L'inflation législative et règlementaire est dénoncée de toutes parts, et notamment par les plus hautes autorités de l'État, mais on gaspille l'argent du contribuable à entretenir des effectifs d'élus pléthoriques au lieu de le consacrer à améliorer la qualité de notre production législative.
Le salaire de Christine Boutin
On a beaucoup glosé aussi sur le cumul d'une retraite de parlementaire et d'un salaire de ministre, ainsi que sur le salaire attribué à Christine Boutin pour une mission sur la mondialisation. Mais ne pourrait-on se demander d'abord s'il n'y a pas trop de ministres, secrétaires d'État, haut-commissaires et délégués interministériels, et trop de missions qui ne servent pas à grand chose ?
Il n'y aurait rien de scandaleux à ce qu'une personne chargée de manager l'analyse des problèmes que la mondialisation pose à la France, et la recherche de solutions, soit payée 9500 € par mois, comme le directeur commercial ou financier d'une grosse PME. Rien non plus de scandaleux à ce qu'elle cumule ce salaire, rémunération de son travail actuel, avec une pension, fruit de ses investissements antérieurs dans la jeunesse. Pourquoi le bénéfice de la légalisation du cumul emploi-retraite devrait-il être accordé à tous, sauf aux anciens élus ?
En revanche, posons les bonnes questions : la dite mission (et beaucoup d'autres !), avec les locaux et le personnel y afférents, est-elle de quelque utilité ? ne fait-elle pas double emploi avec des services déjà en charge du problème ? l'étude de la mondialisation ne serait-elle pas, en France, organisée à la va-comme-je-te-pousse ?
Si le Centre d'analyse stratégique (l'ancien Commissariat au plan), Bercy, et le ministère des Affaires étrangères, ne phosphorent pas déjà à plein régime sur cette question névralgique, si pour pallier l'insuffisance des services il faut charger une personnalité politique de s'en occuper avec l'aide d'une équipe minuscule, alors, vraiment, pauvre France ! Arrêtons de gaspiller des moyens en réalisant de façon ponctuelle et artisanale des études qui relèvent à l'évidence d'équipes permanentes et à haute teneur en matière grise utilisant les méthodes de collecte et de traitement de l'information les plus perfectionnées.
Pléthore de ministres, insuffisamment stables
Arrêtons aussi de constituer des gouvernements de quarante membres. Nos ministres sont incroyablement mal payés : à eux tous, ils ne gagnent pas en une année ce que perçoit en un mois le président d'une très grande société privée ! Ayons-en un nombre raisonnable, choisis en fonction de leur compétence plutôt que pour leur docilité ou leur appartenance à telle ou telle faction, et rémunérons-les convenablement.
Surtout, laissons-les en place le temps nécessaire pour prendre en main les services dont la responsabilité leur est confiée, et arrêtons de modifier sans cesse la répartition des administrations entre les ministères. À quoi rime de changer quatre fois en trois ans de ministre du travail — celui qui est en charge, notamment, de la mère des réformes , celle des retraites [5] ? De balader la direction de la Sécurité sociale ou celle de la fonction publique d'un ministère à un autre ?
Les jeux de chaises musicales et de modification de la répartition des services entre les ministères occupent le microcosme politique français mais ne risquent guère de déboucher sur une véritable prise en main des services, qu'ils soient chargés de la conception et de la préparation des décisions, ou d'appliquer ces décisions.
La gabegie des permis de conduire
Un exemple parmi tant d'autres : l'administration ne parvient pas à faire passer les permis de conduire dans des conditions normales. À l'occasion des manifestations organisées le 10 juin par l'Union nationale des indépendants de la conduite — un syndicat d'auto-écoles — on a appris que 2,2 millions de candidats sont en attente d'une date pour les épreuves théoriques, et 1,7 millions pour les épreuves pratiques [6] ! Peut-être ces chiffres ont-ils été quelque peu dopés pour les besoins de la cause, mais les jeunes, et les adultes ayant des enfants ou petits enfants de 18 ans ou un peu plus le savent bien : obtenir une date pour le passage d'un des deux examens qu'il faut réussir pour avoir son permis est encore plus difficile que d'avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste.
Cela viendrait-il de l'absence de personnes compétentes pour exercer les fonctions d'examinateur ? Il y a probablement pléthore de moniteurs d'auto-écoles qui pourraient être embauchés pour ce faire, et ils ne manqueraient pas pour l'apprentissage de la conduite, car actuellement une fraction conséquente des leçons ne sert pas à apprendre à conduire, mais à s'entretenir en attendant qu'une place soit disponible pour passer l'épreuve pratique. La réforme du permis de conduire réalisée en janvier 2009 a probablement été conçue par des amateurs n'ayant pas grand sens de l'organisation, et cela sans que le ministre chargé des transports s'en rende compte.
Si 800 000 candidats dépensent en moyenne 200 € de trop en raison de la file d'attente qui empêche bon nombre d'entre eux de passer l'examen pratique dans des délais normaux après leur réussite à l'examen théorique, cela représente un gaspillage annuel de 160 millions d'euros : ne vaudrait-il pas mieux un ministre qui nous coûterait 160 000 € de plus mais dont la compétence nous éviterait 160 millions de dépenses inutiles ?
Ceci ne signifie pas qu'en doublant les salaires des ministres on les rendrait compétents ! Cet exemple montre simplement que le vrai scandale n'est pas la rémunération de nos dirigeants, mais leur inefficacité. À leur niveau de responsabilité, chaque erreur ou omission coûte effroyablement cher au pays. La mal-gouvernance est un drame national, responsable non pas unique, mais n° 1, de la faiblesse de nos créations d'emploi et de la lenteur de l'amélioration de nos conditions de vie, ainsi que du déficit des finances publiques.
Le coût de la mal-gouvernance : santé et justice
Des ministres de la Santé...

  • font acheter des dizaines de millions de masques anti-virus que les services n'ont pas les moyens de distribuer à la population ;
  • organisent la pénurie de médecins en instaurant des quotas malthusiens pour le passage de première en seconde année de médecine. Après cela il faut faire venir des médecins étrangers : ceux-ci font défaut dans les pays moins développés dont ils sont souvent originaires, et sont souvent formés de façon inadéquate au regard des pratiques françaises ;
  • font, avec leurs collègues des finances, perdre des millions à la Sécurité sociale, et provoquent la mort de femmes en couche, en refusant aux obstétriciens libéraux la protection contre le risque de ruine personnelle auquel ceux-ci sont confrontés depuis les lois Kouchner et About de 2002 [7], etc.

Tel est le prix de l'incompétence, de l'instabilité et de l'addiction à la politique spectacle. Face à cela, le problème n'est certainement pas le salaire des ministres !
Il en va de même dans le domaine de la justice. Nos prisons sont notoirement insuffisantes, nos moyens de réinsertion tout autant, et les tribunaux sont débordés. Or la loi devient si compliquée qu'il faut des heures et des heures d'avocat, sans compter des mois ou des années d'attente, pour le litige le plus simple. Ce qui serait normalement réglé en quelques semaines au vu d'une investigation simple et bon marché effectuée par les services du Palais se transforme en parcours du combattant effroyablement complexe et onéreux.
Ce n'est pas pour rien que le nombre des avocats a augmenté de 44 % depuis l'an 2000, comme la profession l'a triomphalement indiqué à l'occasion de la célébration du bicentenaire du rétablissement du barreau de Paris par Napoléon. 50 000 avocats pour quelque 8 000 magistrats : on voit à quel point l'État français se moque du justiciable, préférant payer chaque année 300 millions en aide juridictionnelle pour plus de 900 000 bénéficiaires plutôt que de simplifier les codes et de développer un service public efficient.
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Moins d'élus, moins de lois et décrets, moins de travail inutile (par exemple 3 milliards d'euros et des dizaines de milliers d'emplois sont gaspillés parce que l'on maintient trois douzaines de régimes de retraite par répartition, là où un seul suffirait), voilà qui permettrait de payer correctement un nombre restreint d'élus et de ministres efficaces. Ils sont trop cher payés pour le mauvais travail que, globalement, ils accomplissent ; mais ils pourraient l'être, en bonne justice, beaucoup mieux s'ils s'acquittaient comme il le faudrait de leur mission, dont dépend pour une part importante le dynamisme et la productivité de l'entreprise France.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'Université Lyon III, vice-président de de l'Association des économistes catholiques.
[1] La Croix du 9 juin 2010.
[2] Les crédits militaires, et particulièrement les programmes de renouvellement du matériel, vont être parmi les plus touchés par les mesures de redressement budgétaire.
[3] Nombre en augmentation : 331 en 2004, 343 actuellement, 348 en 2001.
[4] 92 millions d'habitants en 1911 ; 300 millions en 2006.
[5] Le manque d'intelligence de la réforme (cf. Retraites : un projet de réforme gouvernemental décevant (Décryptage, 18 juin), s'explique en partie par cette instabilité : il faut en effet un certain temps pour passer d'une vision primaire du problème des retraites à une conception élaborée.
[6] Le Figaro du 11 juin 2010.
[7] Voir dans la Revue de droit sanitaire et social, 2010 n° 1 : R. Pellet, L'assurance des obstétriciens et l'impéritie des pouvoirs publics ; et J. Bichot, La coûteuse euthanasie de l'obstétrique libérale . La dégradation de la sécurité de l'accouchement a été dénoncée par le Dr Serge Favrin lors d'une conférence de presse de Gynerisq, l'organisme qui étudie les pratiques gynécologiques et particulièrement obstétricales dans le but de sélectionner et promouvoir les méthodes les meilleures.
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