Le prochain pape

Les dernières paroles publiques du bien aimé pape Benoît XVI, prononcées du balcon de la loggia de la résidence pontificale de Castel Gandolfo, étaient aussi pour nous : « Nous allons de l'avant, avec le Seigneur, pour le bien de l'Église et du monde ». « Aller de l'avant », selon ses vœux, c'est maintenant tourner notre regard vers le collège des cardinaux, dont les rencontres prépareront l'ouverture du conclave auxquels seuls les cardinaux électeurs prendront part.

 « ALLER DE L'AVANT », c'est donc attendre la désignation de celui que le Seigneur a choisi pour guider l'Église dans la tumultueuse traversée de ce monde. « Que le Seigneur vous montre celui qui est voulu par lui » disait Benoît XVI aux cardinaux au moment de prendre congé d'eux.

Qui sera-t-il ? Nous n'en savons rien, mais nous l'attendons dans la foi. Et dans la prière, pour que « pleinement dociles à l'action de l'Esprit Saint », selon les mots du Pape, les cardinaux renoncent à toute vue humaine, trop humaine, de la charge. Pour qu'ils soient libres vis-à-vis du monde de la liberté même du martyr dont le rouge de leur habit est un symbole.

Benoît XVI les y invitait lors de ses adieux, leur demandant – je le cite – « à grandir encore dans cette unité profonde, en sorte que le collège des cardinaux soit comme un orchestre où les diversités, expression de l'Église universelle, concourent toujours à une concorde et à une harmonie supérieures ». Car il sait que « tout royaume divisé en lui-même sera dévasté ».

C'est à cette prière pour l'unité que nous sommes invités pendant cette période de vacance du Siège apostolique. C'est dans cet esprit que l’Eglise y ajoute les oraisons Pro eligendo Summo Pontifice à chaque messe jusqu'à l'élection du Souverain Pontife. Car le Seigneur ne nous laissera pas orphelins. Lui-même ne cesse de se rendre visible dans son Église, et en particulier à travers ceux qui représentent la tête de son Corps mystique, les prêtres, le sacerdoce. Et pour que l'unité du Corps soit visiblement manifestée, il a choisi Pierre pour la signifier, Pierre à qui il remet les clefs du Royaume des cieux. Le successeur de Pierre est le signe visible de cette unité nécessaire. Le pape qui sera élu représentera visiblement le chef invisible de l'Église.

L’Église n’est pas aux ordres du monde

Qui sera-t-il ? Encore une fois nous n'en savons rien, mais nous nous gardons en tout cas des spéculations de certains médias qui veulent réorganiser l'Église à la manière dont ils poussent les parlements occidentaux à bouleverser la société des hommes.

Nous nous méfions de ceux qui ne mettent jamais les pieds dans une église mais qui prétendent nous dicter ce que l'Église a à penser, à dire et à faire. Nous nous gardons de ceux qui nous déclarent nous imposer un prélat venu du tiers-monde, mais à condition bien sûr qu'il partage les préjugés libéraux de ceux qui font l'opinion occidentale. Nous nous méfions des donneurs de leçon en modernité chrétienne, car nous ne voulons pas nous dissoudre dans une comprehensiveness à l'anglicane, aussi large d'esprit qu'elle est vide de contenu.

Benoît XVI, après Jean-Paul II, nous l'a assez rappelé : dans ce monde postmoderne, qui peine à trouver et à accepter les repères que pourtant lui offre la loi naturelle, nous sommes, par pure grâce de Dieu et malgré notre péché qui nous colle si bien à la peau, « la lumière du monde et le sel de la terre ».

Posons-nous plutôt la question : Que sera-t-il ? Comme dans la messe pro eligendo, l'épître nous éclaire et peut nous guider vers une réponse. « Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de la charité, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour vous. »

Que sera le nouveau pape ? Un prélat qui cherche à imiter le Christ de toutes ses forces dans l'offrande de sa vie pour le peuple qui lui est confié. Un homme animé par la charité. Le rouge de la livrée cardinalice n'est-il pas justement aussi un symbole de cette charité qui brûle comme une flamme ardente ? Saint Paul ajoute, en effet, « s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur. »

Le pape, comme tout prêtre, mais encore plus que tout prêtre, est à l'image du grand prêtre de la Nouvelle Alliance qui s'est offert d'une manière radicale sur l'autel de la croix. C'est ce que Benoît XVI rappelait mercredi lors de sa dernière audience publique. Revenant sur son élection, il disait avoir eu conscience, en acceptant la mission que les cardinaux lui avaient confiée, « d'être engagé sans cesse et pour toujours envers le Seigneur », « d'appartenir désormais toujours et totalement à tous, à toute l'Église ». Et il ajoutait : « La dimension privée est, pour ainsi dire, enlevée à ma vie ».

Être pape, c'est au niveau suprême, renoncer à être mercenaire pour devenir totalement serviteur. Le mercenaire fait ce qu'il a à faire, il remplit son devoir, puis il vaque à ses affaires, il retourne à sa « vie privée ». Le serviteur, lui, est tout entier aux affaires de son maître, à toute heure du jour et de la nuit ; il veille. Benoît XVI, nous le savons, ne déserte pas son ministère. Il continuera de veiller, en s'enfouissant dans ce cœur à cœur silencieux avec son Seigneur dans le secret de sa cellule.

Celui qui lui succèdera aura à gouverner, mais dans le même esprit de charité, comme un serviteur, comme le grand prêtre de la Nouvelle Alliance qui s'offre tout entier à la mission rédemptrice. Nous aurons à nous associer de cœur à son service, quelle que soit la personnalité de celui qui sera élu. Dans le même esprit que Benoît XVI s'adressant jeudi matin aux cardinaux : « Parmi vous, dans le collège cardinalice, il y a aussi le futur pape à qui, déjà aujourd'hui, je promets ma révérence et mon obéissance inconditionnelle. » Quel que soit celui qui sortira vêtu de blanc de la Chapelle Sixtine, nous aurons à lui obéir et à servir, comme son prédécesseur a promis de le faire.         

Un nouveau pape, c'est toujours une nouvelle page de l'histoire de l'Église qui se tourne. Mais l'Église, elle, ne change pas. Aux cardinaux, Benoît XVI disait encore :

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« L'Église vit, elle grandit et se réveille dans les âmes qui, comme la Vierge Marie, accueillent la Parole de Dieu et la conçoivent par l’opération du Saint Esprit ; elles offrent à Dieu leur propre chair et c’est justement dans leur pauvreté et leur humilité qu’elles deviennent capables d’engendrer le Christ aujourd’hui dans le monde. »

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N'est-ce pas encore la leçon de notre évangile ? Quand Jésus répond à la femme qui déclare heureuse Marie, que bien plus heureux est celui qui écoute la parole de Dieu et qui la met en pratique, ne rend-il pas un hommage plus grand à sa mère ? Comme l'écrivait précisément Benoît XVI dans son encyclique Deus caritas est : « Dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu ; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. » Ce portrait de Marie n'est-il pas un magnifique portrait de ce que doit être un pape ? Donner le Christ au monde ! N'est-ce pas aussi un modèle vers lequel, nous aussi, nous devrions tendre ?

C'est en tout cas le portrait de celui qui nous a quittés. De celui qui a touché une nouvelle fois notre âme au plus profond lorsqu'il a dit de sa voix douce et fatiguée, au balcon de Castel Gandolfo, au moment où les premières ombres s'étiraient sur le lac d'Albano : « Je suis simplement un pèlerin qui commence la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre ».

Adieu donc, Très Saint-Père. Nous attendons votre successeur dans ce même esprit de foi, d'espérance et de charité que vous nous laissez en héritage...

 

L'abbé Eric Iborra enseigne à l'Ecole Cathédrale, Collège des Bernardins.

 

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