Deux des candidats les plus sérieux à l'élection présidentielle, François Bayrou et Ségolène Royal proposent, après Arnaud Montebourg et d'autres, d'instaurer une fois élus une VIe République. Nicolas Sarkozy envisage quant à lui une réforme de la constitution suffisamment profonde, dans le sens d'un régime présidentiel à l'américaine, dont on peut penser que l'aboutissement n'en serait pas très différent.

 

Devant de tels projets, il faut résolument dire : danger !

Une constitution vaut d'abord par sa patine. Chacun peut avoir son idée sur la constitution idéale. À supposer qu'il arrive à la réaliser, il y a des chances qu'un autre, qui aura une idée différente, lui substitue bien vite la sienne. Et ainsi de suite.

Il n'y a pas de constitution idéale. La seule bonne est celle que l'on respecte et, comme l'avait vu Montesquieu, il y a des chances qu'on la respecte davantage à la mesure de son ancienneté.

Qui ne se souvient que ce qui fut longtemps, bien avant toute autre considération, tenu pour le malheur de la France, était l'instabilité chronique de ses institutions : entre 1789 et 1914, nous avons expérimenté pas moins de douze constitutions et quinze régimes ! La IIIe République, qui dura soixante-dix ans, apporta un peu de stabilité. La défaite de 1940 fit rechuter la France dans son vice. Il semble que depuis 1958 nous ayons à nouveau trouvé quelque rémission. De grâce, ne tentons pas le diable !

Bougisme

Il était habituel, spécialement chez les tenants du libéralisme à l'anglo-saxonne, d'opposer à notre instabilité la pérennité de la Constitution américaine, la même depuis deux-cent-vingt-ans ans. Malgré de nombreux amendements, son principe général n'est jamais remis en cause. Ce que les Français stupides qui veulent l'imiter ne savent pas : elle connaît aujourd'hui de graves dysfonctionnements. Pourtant personne dans ce pays ne s'avise de la changer. La monarchie britannique est encore plus stable. L'Allemagne et l'Italie elles-mêmes, après de dramatiques convulsions, n'ont plus changé de régime depuis soixante-dix ans. Et on voudrait nous faire retomber dans l'instabilité : non !

Une autre raison à opposer à ce bougisme : dans une société où tous les repères fixes disparaissent : la morale, la famille, la nation, la culture commune, l'orthographe et la langue elles-mêmes, il serait criminel de bouleverser en plus le cadre institutionnel. Que dans notre société libérale libertaire, il passe pour normal de changer d'employeur (et d'employé !), de conjoint, de maison, voire de sexe plusieurs fois dans sa vie, peut-être. Raison de plus pour ne pas toucher au cadre institutionnel.

Il est vrai que depuis une quinzaine d'années a été prise la mauvaise habitude d'amender à la moindre occasion la loi fondamentale, la principale réforme à cet égard, lourde de conséquences, ayant été le passage au quinquennat : c'est dans cette innovation récente, beaucoup plus que dans le texte de 1958, que se trouve la raison de l'abaissement du rôle du Parlement que tout le monde déplore à juste titre.

Aucun avantage

Catastrophique dans son principe, le changement de république n'apporterait aucun avantage.

D'abord parce que la Constitution de la Ve République est suffisamment souple, comme l'avait été celle de la IIIe, pour être adaptée à des besoins nouveaux : elle fonctionne déjà à deux vitesses : le système majoritaire et la cohabitation. La loi électorale est du domaine de la loi organique : le système actuel n'est nullement intrinsèque au régime. Comme François Bayrou, le général de Gaulle penchait déjà pour la proportionnelle ; il concéda aux radicaux le suffrage uninominal à deux tours. Retour aux sources : si aucune majorité ne se dégage du scrutin, le nouveau président pourra expérimenter le rôle que lui assignait déjà le discours de Bayeux : La charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. Il faut peu de choses pour élargir le rôle de ce dernier, par exemple aux problèmes de société sur lesquels le gouvernement ne devrait plus intervenir. Une VIe République n'est nullement nécessaire pour accroître le temps consacré à la discussion des propositions de loi ou allonger l'article 34.

Mais surtout, on se tromperait gravement à imaginer que la crise politique actuelle tient aux institutions. Elle tient d'abord aux hommes. Une technocratie incontrôlée qui ne propose que des solutions stéréotypées, ayant largement fait la preuve de leur caractère inopérant voire malfaisant ; la dictature du politiquement correct qui, au nom des bons sentiments, inspire presque toujours les plus mauvaises politiques ; une classe politique médiocre, non point coupée du terrain comme on le dit, mais sans vision d'ensemble, sans repères éthiques, sans convictions assez fortes pour imposer à l'administration et aux médias des arbitrages courageux et pragmatiques. Imaginer, sans qu'aucune analyse sérieuse l'ait établi, simplement parce qu'on veut changer pour changer, que si on modifie le cadre institutionnel les choses iront mieux, est illusoire.

Et même, chose douteuse, si les institutions étaient effectivement améliorées, rappelons nous ce que dit une fois le général de Gaulle : En aucun temps et en aucun domaine, ce que l'infirmité du chef a, en soi, d'irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l'institution. Pire : prétendre résoudre les problèmes des Français par une réforme brouillonne de la Constitution procède de la même démarche que celle qui a conduit au cours des derrières années, au motif de résoudre ces mêmes problèmes, à les aggraver par l'accumulation de réformes mal conçues et contre-productives.

Le parti de la sagesse

On comprend certes ce que les promesses des principaux candidats veulent signifier : le changement de république est un symbole de bouleversement radical, supposé répondre au mécontentement profond des Français.

La surenchère à laquelle se livrent sur ce thème périlleux les principaux candidats n'en est pas moins irresponsable.

Aux maux bien réels dont pâtit la France d'aujourd'hui, une réforme institutionnelle de grande ampleur ne ferait qu'en ajouter un autre, peut-être plus grave, le retour à l'instabilité et à l'arbitraire institutionnels qui l'ont jadis tant desservie.

Comme aucun grand candidat ne défend en la matière le parti de la sagesse, il y a de quoi être inquiet. Contre la tentation de faire passer en force ces changements immédiatement après l'élection, contre les risques de l' état de grâce , on ne saurait plus compter que sur la grâce d'état qui a toujours poussé les nouveaux présidents à s'accommoder, une fois élus, du rôle que leur assigne la Constitution.

Au futur élu, on souhaite la sagesse de François Mitterrand qui, après avoir tant vilipendé le pouvoir personnel et le coup d'État permanent sut si bien, une fois élu, se glisser dans l'habit étrenné par le fondateur de la Ve République.

* Roland Hureaux vient de faire paraître L'Antipolitique, Éd. Privat, coll. "Arguments", 229 pages, février 2007, 229 p., 16,15 €. A commander avec notre partenaire Amazon.fr en cliquant ici

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