Suite au renouvellement de 170 sièges de sénateurs pour 44 circonscriptions, la gauche française a remporté dimanche 25 septembre 2011 une victoire historique en obtenant pour la première fois en plus de cinquante ans la majorité absolue au Sénat. A sept mois des élections présidentielles, méfions-nous des rapprochements hâtifs : la réalité politique des sénatoriales est très éloignée de celle des présidentielles en raison notamment de son calendrier.

Parmi les particularités de l'élection sénatoriale figure celle de son caractère obligatoire, cas unique pour une élection en France. Les grands électeurs sont en effet pénalisés d'une amende de 100€ s'ils ne participent pas au scrutin. Cela explique que l'on ne parle pas de taux d'abstention, et que l'élection soit vraiment représentative du collège électoral, puisque pratiquement tous ont voté.

Le temps électoral

Que la majorité ait changé de camp ce dimanche n'a rien de surprenant. Le propre d'une élection sénatoriale est en effet d'être le reflet du passé et non pas une photographie de la situation présente. La très grande majorité des grands électeurs est composée des délégués des conseils municipaux, c'est-à-dire de personnes élues en 2008 (année des dernières élections municipales). Ce que nous avons vécu dimanche est donc la conséquence, avec trois ans de retard, de la défaite de la droite à ces élections. Si la droite gagne les municipales de 2014 elle devra attendre 2017 pour que cette victoire se traduise au Sénat. Le temps électoral de la Chambre Haute est un temps long et décalé. L'erreur serait donc d'en tirer des conclusions pour les élections du printemps prochains.

Une victoire historique ?

Les commentateurs font remarquer que c'est la première fois, sous la Ve République, que le Sénat passe à gauche. C'est une analyse un peu légère de la situation réelle. D'abord la notion de parti à nettement moins de poids au Sénat qu'à l'Assemblée. La liste conduite par Gérard Larcher dans les Yvelines n'avait nulle part la mention UMP. Aucun logo, aucune référence à une quelconque majorité présidentielle. Et ce n'est pas qu'un effet de style. L'élection sénatoriale est d'abord le choix des territoires plus que des partis, la plupart des conseillers municipaux n'étant membre d'aucun parti politique.

Nous pouvons aussi rappeler que depuis 1958, si le Sénat n'a pas été présidé par un socialiste, il n'était pas à droite pour autant. Au-delà des clivages de circonstance et des étiquettes politiques, cette chambre reste la chasse gardée de l'esprit radical-socialiste, de  la France du seigle et du châtaignier  —expression du Général de Gaulle—, de la politique des loges. Il n'est pas certain que le Sénat connaisse un grand bouleversement, et peut-être même que Gérard Larcher sera réélu président, ce qui ne serait pas surprenant.

Le Général de Gaulle a dû composer, durant toute sa présidence, avec un Sénat qui lui était hostile. Le Guyanais Gaston Monnerville, membre de la Gauche Démocratique —actuel RDSE— en fut président de 1959 à 1968. S'il a contribué au retour du Général au pouvoir en 1958 il s'est pourtant régulièrement opposé à sa politique, et a milité contre l'élection du Président de la République au suffrage universel. Alain Poher, son successeur, était quant à lui un centriste, opposé également au pouvoir gaulliste. Cette opposition du Sénat contre l'Elysée a amené le Général de Gaulle à demander à ses ministres de ne plus s'y rendre pour défendre leurs textes mais de se faire représenter par un Secrétaire d'Etat.

L'opposition fut bien sur très forte lors du projet de réforme de 1969, vivement combattu par la Chambre Haute, et qui a abouti à la démission du Général de Gaulle.

L'opportunité d'une réforme

Revenons sur les principaux points de la réforme voulue par le Général de Gaulle. Nous verrons qu'elle recèle beaucoup d'actualité pour la situation actuelle.

Le projet essentiel de de Gaulle était de fusionner le Sénat et le Conseil Économique et Social. 173 sénateurs auraient représenté les collectivités territoriales, 4 les Français de l'étranger, et 146 les activités économiques sociales et culturelles. Ceux-ci auraient été nommés par des organismes représentatifs : salariés, agriculteurs, familles, professions libérales. On peut rêver, ou craindre, de ce que serait le Sénat actuel si cette réforme avait abouti. C'était d'ailleurs, dans l'esprit du Général de Gaulle, la mise en pratique de son discours de Bayeux, constante de tous ses changements constitutionnels.

Avec ces changements de nomination le Sénat aurait alors eu une fonction consultative et n'aurait plus disposé d'une capacité de blocage. L'intérim, en cas de vacance du Président, aurait été exercé par le Premier ministre, et non plus par le Président du Sénat —cas d'Alain Poher à deux reprises—, les sénateurs n'auraient plus eu l'initiative des lois.

Le référendum proposait également que les sénateurs soient élus pour six ans —au lieu de neuf— et renouvelés par moitié tous les trois ans, ce qui est le cas depuis 2003. De même, il était prévu d'abaisser l'âge pour se présenter de 35 à 23 ans. En 2011, cet âge a été abaissé à 24 ans.

Une partie seulement de la réforme voulue en 1969 a été mise en place, partie dérisoire par rapport au cœur du projet. A côté de l'Assemblée, représentante de la Nation, le Sénat, représentant des territoires, serait devenu le représentant des forces vives du pays. A n'en pas douter l'orientation des textes de lois eût été différente.

Cette nouvelle chambre sénatoriale  à gauche  sera-t-elle différente de celle  de droite  ? L'aventure de l'adoption du texte sur les lois de bioéthiques, beaucoup plus libéral qu'à l'Assemblée, laisse penser que sur le fond ce  basculement historique  ne sera qu'une continuité.

 

Photo : © Wikimedia Commons, Travail personnel via OTRS, licence Creative Commons Paternité – Partage des conditions initiales à l'identique 3.0 Unported

 

***