La Cour de cassation persiste et signe dans son arrêt du 25 juin 2002, alors qu'on pouvait s'attendre à un revirement à la suite des conclusions de l'avocat général invitant la haute juridiction à revenir sur sa décision du 29 juin 2001.

L'enfant " à naître " (nous préférons cette formule peu heureuse à celle de fœtus qui nous entraîne dans une impasse) n'est pas " autrui " au sens du droit pénal, et par conséquent, la faute ayant entraîné la mort – car c'est bien de cela dont il s'agit – de cet enfant " à naître " ne peut pas être un homicide volontaire ou involontaire.

L'enfant " à naître " ne mérite donc pas de protection, il semble appartenir au néant. Cela est inadmissible et inacceptable car il s'agit d'une dénaturation incontestable de la réalité. En faisant abstraction de considération morale, on peut déjà affirmer que l'enfant à naître est une réalité vivante. Nos magistrats de la Cour de cassation n'auraient-ils jamais été père ou mère, auraient-ils oublié quand se fait la conception ? N'auraient-ils jamais fréquenté un échographiste ? N'auraient-ils jamais vu des membres qui s'agitent sur l'écran vidéo, ou le cœur qui bat ? Bref, tous ces éléments que la technique permet d'attester suffisent déjà à montrer que la vie existe dès la conception.

Dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, il s'agissait d'un enfant ayant dépassé le terme prévu d'une semaine. Comme il a été écrit, il avait la capacité à survivre par lui-même. Il est mort parce que la mère n'a pas été surveillée comme elle devait l'être. Et voilà une vie qui s'en va, une mère sans doute plongée dans un désespoir, elle qui a porté plus de neuf mois, en son sein, cet enfant. Quel parent ne se souvient pas de cette attente de l'enfant ? De cette joie intérieure de savoir qu'il y a la vie que cette vie est unique...

Pourquoi une telle solution ? Deux raisons principales.

Primo, la Cour se retranche derrière l'interprétation stricte de loi pénale. Cela signifie que pour la Cour, le législateur n'a pas entendu protéger l'enfant à naître à travers l'incrimination d'homicide involontaire. D'éminents auteurs (les professeurs de droit Pradel et Mayaud, Dalloz, 2001, p. 2907, p. 2917) ont souligné les faiblesses de cette argumentation peu convaincante.

Secundo, et c'est sans doute la pierre de touche, les magistrats de la Cour de cassation sont trop conscients du risque que pouvait avoir une décision contraire, à savoir la protection de l'enfant à naître. En effet, cela revenait à condamner toute la législation sur l'avortement. Il est inutile de développer davantage : le problème est là. Une décision de la Cour de cassation aurait donc fait désordre dans le droit positif, les maîtres censeurs de la pensée n'auraient pas manqué de souligner que la Cour outrepassait son rôle, le spectre du gouvernement des juges aurait pu être brandi... L'air est connu.

En tout état de cause, cette décision regrettable met en exergue les incohérences de notre droit, qui ne repose sur aucune fondation, laissé à l'arbitraire des " sachants " constructivistes. Un jour où l'autre, et le plus tôt sera le mieux, ces incohérences deviendront tellement grossières et injustes qu'on peut espérer qu'une évolution se produira, dans le bon sens, celui du réel et non de l'utopie. Oui, la vie commence dès la conception : l'enfant à naître existe ; mêmes les scientistes ne peuvent pas dire le contraire car leurs instruments le prouvent.

Enfin, il n'est pas inutile d'essayer de tirer quelques enseignements de cette nouvelle décision de la plus haute juridiction civile française. En niant la qualité de personne juridique à l'enfant à naître, on fait prévaloir une conception du droit et de la personne contestable. La norme juridique a aujourd'hui une propension à devenir la vérité : incapable de distinguer des niveaux normatifs, elle fait du légal un minimum social – assurer le vivre ensemble –ayant vocation à rejoindre la norme morale, plus proche de l'idéal de la personne. Cette personne est tout entière fondée sur l'autonomie : autonomie de donner la vie et de la reprendre, autonomie de faire ce qu'elle veut, etc. L'anarchie n'est pas loin, et la violence est déjà présente. À défaut de reconnaître l'autre (ce petit autrui qu'on refuse de voir), et spécialement les plus faibles, on engendre une société de maîtres et d'esclaves, les personnes capables de faire entendre leurs " droits " et les autres.

Est-ce ainsi que la société peut durer ? Assurément non, car elle repose sur une logique de revendication, de conflits et d'affrontements dont les droits subjectifs (j'ai le droit...) sont l'expression. Plus que jamais, le respect de l'autre dans la recherche du bien commun est nécessaire. Il y a urgence à repenser " le droit ", qui détachée de la justice n'est plus fidèle à sa nature. " Le droit naît d'une profonde exigence humaine " (Jean-Paul II). " N'oublie pas que nous avons besoin l'un de l'autre " (Mère Térésa).

Bertrand de Belval est né en 1970, docteur en droit, avocat.