À égalité avec Ségolène Royal dans les sondages, François Bayrou a encore aujourd'hui des chances de figurer au second tour des élections présidentielles et donc de l'emporter.

L'émergence d'un candidat venu du centre ressemble au premier abord à celle de Giscard en 1974 : le droite est sortante ; l'opinion veut le changement mais refuse le candidat de la gauche : parce qu'il faisait trop peur alors, parce qu'elle ne le trouve pas crédible aujourd'hui.

 

La troisième voie que beaucoup jugeaient impossible il y a quelques semaines s'est également réouverte du fait que les deux premières paraissent insatisfaisantes à beaucoup. Tout le monde, même au Parti socialiste, connaît les faiblesses de Mme Royal. Plus que la bourgeoisie parisienne dont il est devenu l'idole, la province s'inquiète du tempérament de Nicolas Sarkozy avec qui, juge-t-on, pour le meilleur et pour le pire, tout devient possible .

Mais la montée de François Bayrou intervient dans un climat de crise autrement plus dramatique qu'en 1974. Depuis le 29 mai 2005, le divorce est consommé entre une élite politique, économique, médiatique acquise à la mondialisation et une population qui, obstinément la refuse.

Le populisme du centre

Dans un tel contexte le candidat de l'UDF a mis en œuvre une stratégie particulièrement audacieuse, peut-être sans précédent dans la politique française, celle de ce qu'on appellera le populisme du centre . Seul Jean-François Kahn de Marianne qui partage depuis longtemps cette position l'y a encouragé. L'appareil de l'UDF, lui, n'a pas vu sans inquiétude son président prendre le ton d'une contestation radicale du système.

C'est dire que la victoire éventuelle de François Bayrou apparaîtrait comme celle de tous les paradoxes.

Elle serait d'abord la meilleure confirmation qui se puisse imaginer de la validité des institutions fondées par le général de Gaulle. Un homme seul, en marge du jeu des grands partis accède à la fonction suprême. Il réussit parce que mieux que les autres il apparaît capable de rassembler. Il remodèle à partir de là le jeu politique. C'est très précisément ce qu'envisageait le général en instaurant en 1963 l'élection du chef de l'État au suffrage universel. Terrible verdict pour le Béarnais qui avait fait du passage fort aventuré à la VIe République, son cheval de bataille. On peut espérer qu'il aura, s'il est élu, la sagesse qu'eut l'auteur du Coup d'État permanent, celle de ne pas toucher à des institutions qu'il avait autrefois contestées et qui lui ont si bien réussi.

Le retour à la proportionnelle, cher aux centristes (et aussi au Front national), ne remet nullement en cause, faut-il le rappeler, la Constitution de la Ve République : le régime électoral est du domaine de la loi organique ; en 1958, le Général voulait aussi la proportionnelle, il concéda aux radicaux le scrutin d'arrondissement à deux tours (tandis que Michel Debré le voulait, lui, à un tour !).

Face à une assemblée disparate, François Bayrou serait fondé à appliquer les termes du discours de Bayeux selon lesquels revient au au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement .

Autre violent paradoxe : François Bayrou a fait sa carrière au centre, à mi chemin entre le PS et l'UMP, en un lieu où l'on se targue d'être encore plus politiquement correct que ceux-ci, où on n'a pas l'habitude de remettre en cause les logiques technocratiques de toutes sortes contre lesquelles nos concitoyens se rebiffent. On y cultive un discours très européen, atlantiste, bon chic bon genre. On y est proche de l'establishment euratlantique. Bien qu'issu de la démocratie chrétienne, Bayrou n'a refusé dans sa campagne aucune concession aux idées à la mode comme le mariage homosexuel — ni plus ni moins au demeurant que ses rivaux des grands partis, le démarquage de Nicolas Sarkozy sur ce sujet n'étant que verbal. À la différence de Gilles de Robien, il n'ose pas remettre en cause ouvertement le pédagogisme dont il connaît pourtant mieux que quiconque les effets destructeurs.

Qui trahir ?

Et pourtant, si Bayrou est élu, ce sera pour des raisons à l'opposé de toutes ces allégeances, ce sera en raison du refus global d'une certaine France, à majorité populaire, de tout ce que représente la pensée unique, non seulement en matière européenne mais aussi en matière de mœurs, d'éducation ou de pratiques technocratiques. Cet européen sera l'élu d'une partie de la France du non !

Le paradoxe s'étend à l'image qu'il offre à son électorat et qui, elle aussi, contribue à son succès : celle d'un candidat enraciné dans un terroir, enfant du peuple, calme et de bon sens. Cela aussi va à l'encontre de l'internationalisme, de l'ouverture au grand large que suppose son positionnement politique de départ.

Il faudra alors à François Bayrou, s'il est élu, un singulier génie pour gérer ces contradictions. Ou bien il suivra son électorat et trahira sa famille politique d'origine ou bien il voudra rester fidèle à celle-ci et ne pourra éviter au peuple français qui en est déjà saturé, de nouvelles et amères déceptions.

Populiste du centre , François Bayrou président risque de devoir choisir entre le peuple et le centre. S'il y a une voie entre les deux, elle est étroite.

* Roland Hureaux vient de faire paraître L'Antipolitique, Éd. Privat, coll. "Arguments", 229 pages, février 2007, 229 p., 16,15 €. A commander avec notre partenaire Amazon.fr en cliquant ici

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