À l'heure où s'ouvre le "Grenelle de l'environnement", la FNSEA, principal syndicat agricole français, semble décidée à défendre bec et ongles les OGM.

L'affaire a même pris un tour passionnel avec le suicide, cet été dans le Lot, d'un agriculteur cultivant des OGM menacé par des manifestants de la mouvance concurrente de José Bové.

Bien qu'on ne sache pas exactement les raisons de cet acte, probablement d'ordre privé, les syndicalistes ont transformé les obsèques en une manifestation en faveur des cultures transgéniques ! Une telle crispation est, selon nous, infondée.

C'est à tort que certains agriculteurs imaginent que les OGM feront leur fortune. Depuis 1945, l'agriculture européenne a réalisé des progrès de productivité sans doute uniques dans l'histoire. Il faut dix ou quinze fois moins d'agriculteurs pour nourrir les Français. Mais il s'en faut de beaucoup que les revenus agricoles aient augmenté dans les mêmes proportions. Qui ne voit que ces progrès de productivité ont été, au fil des ans, largement confisqués par le reste de la société ? Cela par la baisse des prix relatifs entraînée par la hausse de la productivité, baisse des prix qui profite à l'ensemble des consommateurs au détriment des producteurs et qui est inéluctable dès que la technique permet d'accroître l'offre. Comment imaginer qu'il en ira différemment avec les OGM ? Certes, quelques agriculteurs en difficulté croient trouver là l'expédient qui leur maintiendra la tête hors de l'eau. Expédient aussi illusoire que transitoire : ce qui vaut pour quelques cas individuels ne vaut nullement pour l'ensemble de la profession.

D'autant que l'introduction des OGM placera les agriculteurs dans la complète dépendance des grands groupes agro-alimentaires mondiaux producteurs des semences transgéniques, tel Monsanto, groupes qui sont, on n'en sera pas étonné, des lobbyists forcenés des cultures transgéniques.

Arguments contestables

Entretenant des espoirs fallacieux, la tendance pro-OGM met aussi en avant des arguments contestables.

L'un est économique : on dit que la population de la planète étant appelée à s'accroître considérablement, elle ne pourra être nourrie que par l'extension des souches artificielles à forte productivité.

Cet argument ne tient pas pour plusieurs raisons. D'abord le monde n'est plus en situation d'explosion démographique : nous avons certes dépassé les 6 milliards d'hommes. Mais si les projections de l'ONU prévoient que nous atteindrons les 8 milliards nous n'irons guère au-delà. Dans un second temps, du fait d'une dénatalité devenue générale, la population mondiale commencera à baisser.

Il est faux par ailleurs de penser que la Terre ne suffit pas à nourrir tous les hommes avec les techniques actuelles. Contrairement à ce qu'imaginent ceux qui n'ont jamais voyagé, les surfaces agricoles non exploitées ou encore sous-exploitées sont encore considérables dans le monde. Quoique partisan déterminé des OGM, Guy Sorman a pourtant montré autrefois combien la production agricole était, dans beaucoup de pays, bien plus sensible aux prix qu'aux techniques [1]. Dès que telle ou telle plantation devient rémunératrice, la production augmente, avec ou sans nouvelles techniques. Si les prix ont été longtemps rémunérateurs en Europe grâce au soutien des cours au-dessus du niveau d'équilibre entre l'offre et la demande, c'est le contraire qui se passe généralement dans le tiers-monde : pour nourrir des masses urbaines faméliques, les prix sont maintenus en dessous du cours d'équilibre, décourageant les paysans. C'est dire que la marge de manœuvre, ce que les économistes appellent l'élasticité de la production, est encore grande sans que l'on ait à bouleverser les moyens de production.

Les pénuries actuelles, de céréales notamment, sont passagères : elles résultent en partie d'accidents climatiques, en partie de la mobilisation de certaines surfaces pour la production de bio-carburants, dont le bilan en terme de pollution et d'économies d'énergie est pourtant incertain.

L'autre argument fallacieux prétend être scientifique. On dit personne n'a prouvé que les OGM soient vraiment dangereux pour la santé de l'homme . Peut-être. Mais un élémentaire principe de précaution conduit à dire que cela ne suffit pas : il faut aussi démontrer positivement qu'ils ne sont pas dangereux, ce qui reste aussi à faire. Les mêmes, il est vrai, brouillant le débat, combattent en vrac le nucléaire et les OGM. Ils ont tort. Le nucléaire est maîtrisable. Les OGM ne le sont pas. La chimie organique sur laquelle est fondée la vie, et donc la production agricole, est infiniment plus complexe que la chimie minérale et même que les processus subatomiques sur lesquels fonctionne l'énergie nucléaire. Contrairement à ce qu'on imagine, ces dernières reposent en effet sur des mécanismes relativement simples si on les compare aux mécanismes de la vie. On peut donc les circonscrire et les maîtriser. Il n'en va pas de même pour les processus biologiques.

Que la nocivité des OGM ne soit pas prouvée ne signifie pas qu'elle n'existe pas, d'autant qu'en la matière, les effets sont rarement à court terme. Le progrès des cancers, des maladies génétiques, même s'ils ne sont pas imputables aux OGM qui n'existent que depuis une date récente, ne laissent pas d'être inquiétants. On assiste par ailleurs à de curieuses évolutions de populations exposées à une alimentation de plus en plus artificielle : ainsi le développement des phénomènes d'obésité ou la croissance continue de la taille des jeunes Américains et des jeunes Européens nourris aux corn-flakes. Disons le tout net : en acceptant les manipulations génétiques de nos produits alimentaires nous ne savons pas quels équilibres subtils nous allons perturber, nous ne savons pas dans quel engrenage nous mettons le doigt.

Concurrence

Le dernier argument invoqué ne tient pas non plus : on dit le reste du monde se mettant aux OGM, il faut nous y mettre aussi, de crainte de ne pas supporter la concurrence . Cela ne vaut pas pour le marché intérieur : il est à l'honneur d'une société avancée comme la société européenne d'être plus exigeante que les autres en matière de respect de l'homme et des équilibres naturels. Et si elle se fait plus exigeante, il faut qu'elle se protège. Certes cela ne fait pas l'affaire des ultra-libéraux qui rêvent d'un libre-échange généralisé des denrées alimentaires. Mais, précisément, la politique agricole commune doit servir à protéger un certain modèle de société. L'argument a certes un certain poids s'agissant des marchés extra-européens mais si les produits européens sont réputés plus naturels que les autres, viendra sans doute un moment où les consommateurs d'outre-mer, devenus plus exigeants, en demanderont.

Il convient enfin de mettre en garde contre la tentation des demi-mesures comme le maintien de quotas d'OGM extrêmement stricts. Non seulement parce que la tendance naturelle va être de faire exploser ces quotas : autant tout autoriser tout de suite. Mais aussi parce que, les agriculteurs le savent mais le grand public l'ignore, le vent fait circuler le pollen. Toute culture d'OGM, même relativement isolée, est de nature à polluer un semis "naturel", parfois à des dizaines de kilomètres.

Il ne faut pas transiger : les OGM ne supportent pas les demi-mesures. La France et l'Europe doivent les bannir sans états d'âme. Contrairement à ce qu'ils s'imaginent, les agriculteurs français ont tout à y gagner.

[1] Guy Sorman, La Nouvelle Richesse des nations, Fayard 1987

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