" Les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes ", ce propos, rapporté deux fois par Le Figaro (29 octobre, 7 novembre), sans démenti, a été tenu, à l'Élysée par le président Jacques Chirac à Philippe de Villiers.

L'analyse du chef de l'État, relativisant l'héritage de Clovis par l'invasion musulmane en Espagne et les expéditions arabe à Poitiers (France) ou turque à Vienne (Autriche), a ému de nombreux Français. Une déclaration cohérente avec le refus du gouvernement de la République de reconnaître l'héritage chrétien dans le futur traité européen. Pour mémoire, Décryptage publie le discours prononcé par le président de la République à Rome, le 20 janvier 1996, devant le pape Jean Paul II, " témoin de la fidélité de la France à son héritage chrétien ".

ALLOCUTION PRONONCEE PAR M. JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE, LORS DE L'AUDIENCE ACCORDEE PAR SA SAINTETE JEAN-PAUL II

Rome, 20 janvier 1996

Très Saint-Père,

C'est avec émotion que je vous ai écouté, et en mesurant l'honneur que Vous faites à la France, et c'est dans cet esprit que je tiens à Vous exprimer ma profonde gratitude pour l'accueil solennel et chaleureux que Vous avez bien voulu me réserver, ainsi qu'à mon épouse, et à ma délégation.

Cette visite revêt d'autant plus d'importance à mes yeux qu'elle constitue la première visite d'État au Saint-Siège d'un président de la République française depuis la visite rendue, en 1959, par le général de Gaulle, à Sa Sainteté Jean XXIII.

Certes, les années écoulées ont vu se nouer d'autres contacts, se tenir d'autres rencontres au sommet entre le Saint-Siège et la France. Vous-même, Très Saint-Père, êtes venu à quatre reprises dans notre pays, en visite pastorale. Mais j'ai souhaité resserrer nos liens millénaires, témoigner de la fidélité de la France à son héritage chrétien, et manifester mon respectueux attachement à Votre personne.

Très Saint Père,

En septembre prochain, nous célébrerons, en Votre présence, le 1500e anniversaire du Baptême de Clovis qui a été, c'est vrai, vous l'avez mentionné, l'un des actes fondateurs de la France. Cet événement marquera la force et la richesse du lien tissé au long des siècles entre la France et le Trône de Pierre.

"Fille aînée de l'Église", la France l'a été par sa fidélité catholique, par son dynamisme missionnaire et aussi, pour reprendre l'expression de Sa Sainteté Jean XXIII, par "l'admirable lignée de saints" issus de notre sol. Une grande part de notre patrimoine est d'abord l'illustration d'une ferveur religieuse.

La récente canonisation de Monseigneur Eugène de Mazenod, les hautes fonctions assumées auprès de Vous par les prélats et les religieux français, l'accueil réservé par mes compatriotes aux messages de Votre Sainteté, sont autant de témoignages de ce lien qui unit la France et le Saint-Siège. Ils attestent la pérennité d'un appel, la réponse à une promesse, une convergence de pensées.

Rencontrant les Français dès le début de Son Pontificat, et tout récemment encore, dans Son adresse aux catholiques de France, Votre Sainteté les exhortait à la fidélité. Fidélité aux engagements personnels. Mais aussi fidélité à l'Église et fidélité à la France, à sa mission, aux principes de dignité, de solidarité humaines hérités de l'Evangile. Ces principes mêmes que la France républicaine s'est efforcée de défendre, chez elle et partout.

Il n'est pas, Très Saint-Père, de sujet touchant la vie de l'homme en société que Vous n'ayez abordé à l'occasion des grands textes qui ont jalonné Votre Pontificat. Qu'il s'agisse de la paix, des droits de la personne humaine, de sa liberté, de la famille et de l'éducation, toujours s'expriment Votre vigilance et Votre exigence. Toujours, Vous invitez à discerner, dans l'écume et le vacarme des temps, l'homme, sa dignité, son épanouissement, sa vérité.

Sans relâche, Vous dénoncez les forces de mort, si présentes dans ce siècle. La guerre, la violence, l'oppression, bien sûr. Mais aussi un certain désespoir, une absence de confiance dans la vie et sa splendeur. Une quête jamais satisfaite des possessions matérielles, un goût pour les succès provisoires, l'éclat trompeur des choses, qui marquent notre temps.

Notre monde change. Il s'est affranchi d'entraves totalitaires que Votre Sainteté, dans Sa Pologne meurtrie, avait personnellement éprouvées et combattues. Mais en même temps se réveillaient les vieux démons, les haines ethniques et religieuses, l'intolérance, le racisme, qui sont aussi des forces de mort.

Notre monde a certes gagné en confort, en facilité, mais à quel prix ?

Combien de laissés pour compte au bord du chemin ? Combien d'hommes et de femmes plongés dans la solitude, l'égoïsme, le désarroi des grandes villes ? Combien d'hommes et de femmes dépossédés de leur travail, de leur entourage, de leur identité, de leur dignité ? Combien de destins laminés ? Combien de peuples au ban de la prospérité ?

Dans les moments de doute, quand la respiration de nos existences se fait plus oppressante, chacun se pose les seules questions qui vaillent : celles des origines et de la fin, de la place de l'homme dans nos sociétés modernes.

C'est notamment auprès de l'Église, de Son message et de Son guide, dans le secours de la foi, que beaucoup d'hommes cherchent une raison d'espérer, la force de surmonter leurs souffrances. Et c'est auprès de la France, que beaucoup de peuples cherchent conseil et assistance.

À l'occasion, Très Saint-Père, de Votre première visite pastorale dans notre pays, Vous lanciez à ceux des miens nourris de la foi catholique : "France, éducatrice des peuples, es-tu fidèle à ton alliance avec la Sagesse éternelle ?"

Oui, Très Saint-Père, la France, sur laquelle comptent tant d'hommes et de femmes de par le monde, veut être fidèle à son héritage, à sa vocation spirituelle et humaine.

Elle l'est en Bosnie. Elle l'est au Cambodge. Elle l'est au Moyen-Orient et sur les rives de la Méditerranée, chère aux peuples du Livre. Elle l'est en Afrique, déterminée à aider ce continent à prendre en main sa paix et son destin. Elle l'est en Europe, où elle agit sans relâche pour l'Union de notre vieux continent enfin réconcilié. Elle l'est en mobilisant ses partenaires et en plaidant les causes du désarmement et du développement.

Elle l'est enfin chaque fois qu'elle combat pour la justice, la solidarité et l'équité.

Ce combat est aussi celui du Saint-Siège. Par le dialogue que l'Église de Rome a su nouer avec les autres familles spirituelles ; par les appels pressants à la réconciliation et à la solidarité que lance Votre Sainteté partout où Elle se rend ; à travers les efforts déployés par Votre diplomatie, le Saint-Siège apporte une contribution irremplaçable à la construction d'un monde de paix.

Voilà pourquoi, Très Saint-Père, nos efforts se rejoignent. Voilà pourquoi la France et le Siège Apostolique ont vocation à travailler ensemble, toujours plus étroitement, pour ancrer la justice, la sérénité et la paix dans le cœur des hommes.

Très Saint-Père,

Dans quelques mois, Vous foulerez une nouvelle fois le sol de France. Votre visite pastorale Vous conduira à Auray, à Tours et à Reims. Vous y retrouverez la patrie de Saint Jean-Marie Vianney, le curé d'Ars, dont Vous confiiez récemment combien son exemple Vous avait ému. Vous y mesurerez la vitalité, l'ardeur de l'Église de France, mais aussi l'attachement de l'ensemble des Français à Votre personne. Beaucoup de jeunes Vous accueilleront en "Champion de Dieu" comme disait le cardinal Marty, avec chaleur et avec enthousiasme.

Profondément encouragé, dans la tâche difficile que m'ont confiée les Français, par l'accueil toujours bienveillant de Votre Sainteté, je forme les vœux les plus fervents pour Sa personne, pour le succès de Sa prochaine visite en France et pour l'accomplissement des desseins de Son pontificat.

 

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