Dans une tribune parue dans La Croix (14 mars), Mgr Hippolyte Simon soutient l'idée que l'islam puisse trouver par lui-même une place analogue à l'Église catholique "en" France dans le cadre de la laïcité républicaine. Pour l'historien Jean-François Chemain, l'archevêque de Clermont se trompe lourdement : la loi de 1905 est inapplicable à l'islam. LP

Mgr Simon regarde l'islam à travers les lunettes de l'histoire catholique, qui ne sont pas appropriées, tant les histoires des deux religions ne sont pas comparables, ni les fruits qu'elles en ont tiré.

L'histoire du catholicisme est une lutte millénaire pour l'autonomie de l'ordre religieux par rapport à l'ordre temporel. Cette exigence d'autonomie est tirée du message évangélique lui-même ( Rendez à césar... ,  Mon Royaume n'est pas de ce monde ...). Elle  s'est illustrée par le combat pontifical mené contre les prétentions de nombreux chefs d'État "chrétiens" à être chefs de l'Église chez eux. Dans certains cas, cela a été jusqu'au schisme (Angleterre), dans d'autres jusqu'à la violence (expédition de Charles Quint en 1527, nomination d'anti-papes...).

En France on a eu le gallicanisme, variante très atténuée de l'anglicanisme (qui n'est jamais allé jusqu'au schisme !). L'organisation révolutionnaire de la religion, puis le Concordat de 1801, sont dans la lignée du gallicanisme. Cette histoire conflictuelle est celle d'une institution, l'Eglise, qui a imposé la laïcité (et non pas le contraire, comme on le prétend toujours) à des Etats qui ont fini par l'accepter, parce qu'ils sont de culture chrétienne.

 La raison a été déclarée impie 

L'histoire de l'islam n'est pas transposable. Il s'est dès l'origine voulu politique, loi de Dieu à imposer sur terre pour y instaurer un monde idéal, parce qu'islamique. Le Calife était à la fois chef politique et religieux, la laïcité n'a jamais été envisagée dans l'islam. Quand le califat s'est affaibli (dès le Xe siècle), les ulémas (docteurs de la loi) ont imposé leur autorité au pouvoir politique, qui n'a jamais pu prétendre à la moindre autonomie par rapport à la loi religieuse. Les ulémas interprètent la Loi, la masse des fidèles suit leur interprétation (rôle de la pression sociale), le pouvoir politique n'a dès lors qu'une marge de manoeuvre très réduite.

Il se trouve que les interprétations qui ont prévalu de la part des docteurs de la Loi — car il y a eu des débats, des crises — ont toujours été les plus restrictives. Ainsi le débat sur la capacité d'interprétation du Coran a été conclu par la négative.

De même la question suivante :  Une action est-elle prescrite par Dieu parce qu'elle est bonne, ou est-elle bonne parce qu'elle a été prescrite par Dieu ?  a été tranchée dans le sens de la seconde acception, avec cette version aggravée, que seraient encore meilleures les prescriptions divines qui choquent la conscience humaine, parce qu'elles pousseraient l'homme à la soumission. La raison a été déclarée impie, parce que faisant de l'homme un dieu à la place de Dieu [1]...

On voit bien combien ces choix, historiques et dès lors peut-être accidentels (mais encore une fois je ne le crois pas), rendent l'islam dans sa version majoritaire, incompatible avec notre système démocratique et laïque. Ses fidèles n'ont que faire d'un ordre judéo-chrétien, étranger à leur tradition ; ils n'ont pas l'habitude d'obéir à leurs dirigeants politiques, mais aux "savants" religieux ; ils n'ont que faire de la cohabitation pacifique avec ceux qui pensent autrement, mais sont là pour imposer au monde, par la pression sociale, des comportements dont tout le monde se moque de savoir s'ils sont bons pour l'homme, dès lors qu'ils seraient prescrits par Dieu.

La réforme indispensable

Si Mgr Simon pense que l'État ne doit pas créer un islam  de France , et que dans deux générations les musulmans  en France  seront parfaitement intégrés, il se trompe lourdement. C'est exactement le contraire qui va se passer, et je constate, en tant que professeur de banlieue, que ce ne sont pas les musulmans qui s'intègrent, mais tous les autres qui deviennent musulmans, tant la pression sociale est forte. Les élèves musulmans exercent un flicage de chaque instant sur les autres, qui pousse ces derniers à considérer comme allant de soi l'application de la règle islamique. Si l'État ne fait rien, dans deux générations, la France sera musulmane. Et l'anthropologie qui en découle n'a rien à voir avec celle de notre tradition judéo-chrétienne.

Il faut toutefois bien prendre conscience que cette évolution de l'islam est historique, et que d'autres choix ont régulièrement été proposés. De nombreux intellectuels musulmans, notamment en France, proposent une autre conception de l'islam, qui autoriserait par exemple l'interprétation, la contextualisation, des versets du Coran, voire l'abrogation pure et simple des plus choquants. Mais à ce jour ils ne représentent qu'eux-mêmes, et ce sont les docteurs de la loi — comme Al-Azhar, que le président Sarkozy était allé consulter sur le voile ! — qui font toujours l'opinion.

Il est du devoir de l'État de soutenir, par tous moyens, l'émergence d'un islam de France, c'est-à-dire d'une conception de l'islam qui soit compatible avec les valeurs qui ont cours encore dans notre pays.

Pour ce qui est de la loi de 1905, je soutiens qu'elle constitue la victoire finale du catholicisme sur les prétentions millénaires de l'État de le régir. Elle ne saurait dès lors s'appliquer utilement à l'islam, en tout cas dans l'état où il se trouve aujourd'hui. L'ordre public, la paix civile, sont mises en cause par nombre des comportements qui découlent de ses préceptes, et l'État ne saurait, sans gravement faillir à sa mission, abandonner la question à la sphère privée.

Une réforme de grande ampleur, politiquement voulue, de l'islam devrait être l'un des grands chantiers d'un gouvernement français responsable. Le sujet est au moins aussi important que le réchauffement climatique, l'avenir du nucléaire ou les enjeux de la dépendance des personnes âgées. La France serait en outre pleinement dans son rôle d'éducatrice des peuples, de four où se cuit le pain de l'intelligence chrétienne. Ce n'est pas parce que la tâche semble irréaliste à vues humaines que nous ne devons pas nous y atteler, car nous n'avons plus le choix !

 

En savoir plus :
 Église de France ou Église en France , par Mgr Hippolyte Simon, sur le site www.Cef.fr

 

 

[1] Aujourd'hui, par un double et étrange "hasard", les lieux saints de l'islam, et les plus formidables richesses (pétrolières) se trouvent entre les mains d'une secte, les wahabites, qui promeut la conception la plus rétrograde de l'islam qui ait existé.