Petite réticence avant de prendre le billet : l'interview de Robert Hossein entendue sur les ondes me chiffonne. Quelle est la vedette du spectacle ? Mais laissons cette hésitation malvenue, ne soyons pas négative , comme l'on dit aujourd'hui, ne soyons pas non plus élitiste.

Il faut essayer de comprendre. Et puis, n'y a-t-il pas que de la bonne volonté, que de bonnes intentions dans ce projet de mise en spectacle de la vie de Jean-Paul II ? N'y a-t-il pas un vrai professionnalisme ? Les partenaires du projet ne sont-ils au-dessus de tout soupçon ?

Alors, allons-y ! Et essayons de comprendre ! Qui pourrait, en outre, supporter qu'on ne soit absolument fidèle à la mémoire de celui qu'on a connu et aimé, de celui qu'on a suivi de près ? C'est sûr, pas un iota de sa vie ne saurait être modifié ; non ce n'est simplement pas possible, pas la vie de Jean-Paul II.

C'est donc dans cet état esprit que je me rends, assez confiante, au Palais des Sports pour voir le N'ayez pas peur de Robert Hossein !

Nous tombons de haut.

Tant de platitudes

Et aujourd'hui, je ne sais pas comment tourner ce papier pour dire ma profonde déception, ma grande tristesse de voir qu'il ne reste que cela, que soit trafiqué à ce point son souvenir, deux ans à peine après sa mort. Tant de platitudes. Tant de tristesse et de pesanteur, lui l'homme de prière et de joie : serait-ce dû à l'esthétique des soutanes ? Pourquoi n'avoir pas retenu Karol Wojtyła dans ses tenues parfois originales, loin des images d'enfant de chœur, même si elles existent également ?

Bien sûr, on peut rétorquer que la vulgarisation, la simplification pour les masses a toujours ses travers. Un spectacle son et lumière annonce toujours un genre à traits gras, des tableaux visuels schématiques, plus que des dialogues fins. Tout cela, qui l'ignore ? Mais enfin, l'homme de la rue, ce vulgaire au sens étymologique qu'on prétend toucher, n'aurait-il donc pas le droit à la vérité ? à la vérité historique ? à la vérité spirituelle ? à la vérité qui n'a nul besoin de rectifications ? Bref, à la vérité tout court, au respect d'une pensée qui a toujours été pleine, lumineuse et forte, et d'une certaine façon, accessible également ? Le vulgum pecus qui aime, me dit-on, les grandes manifestations de ce genre, n'a-t-il pas le droit de voir l'épopée bonne, juste et vraie de la vie de Karol Wojtyła ?

Certes, la caution d'Alain Decaux avait de quoi rassurer mais l'on ne peut s'empêcher de s'étonner d'erreurs sur la période polonaise, notamment autour du cardinal Wyszynski [1] étrangement confondu au début avec Mgr Sapieha [2], autour également de la vocation de Karol Wojtyła, née lors de l'occupation nazie, non au moment de la prise de pouvoir par les communistes ainsi que Jean-Paul II le dit lui-même dans ses propres souvenirs dans Don et Mystère.

Que dire de telles réductions d'une vie géante, des manipulations qui rabaissent la hauteur prophétique ?

Un pape principalement joué par un acteur petit, sans stature, vieux. Sans voix rauque. Sans chaleur. Terne.

Un bonimenteur indécent, faisant office de narrateur, pensant sans doute qu'il suffisait d'adopter un ton de marchand de tapis pour faire croire à une jovialité ordinaire, là où tragique et sacrifice d'exception se sont donnés la main chaque jour d'une vie souffrante, ainsi que l'a écrit Mgr Dziwisz ; si la première scène du spectacle a tenté vaguement de le montrer — grâce au flashback du 13 mai 1981, truc narratologique emprunté d'ailleurs à l'un des meilleurs films sur la vie de Karol Wojtyła [3] — c'est manqué, et l'humour de la religieuse au chevet du pape casse tout. Ainsi est gommé volontairement le sacré, pour que ne reste que l'humain. Il se trouve, seulement, que les deux étaient inséparables chez Jean-Paul II ; le résultat ne pouvait être que désastreux.

Indélicatesses

Le nom du pape Wojtyła, toujours mal prononcé, comme une indélicatesse supplémentaire.

Des dialogues simplificateurs, revêtant un relief mensonger quand vient la question de la sexualité et du sida. Il fallait montrer à quel point Jean-Paul II n'avait pas été clairvoyant. Brutales à ce propos et peu amènes, les questions des jeunes en balade dans les montagnes polonaises ; d'un orgueil sans nom, la réplique de l'abbé Pierre qui interroge et demande au pape de s'expliquer. Pourquoi n'avait-il donc pas écouté les spécialistes du terrain et les missionnaires ? Et le public d'applaudir l'abbé intelligent, non pas le pape aveugle, joué de manière crispée sur ses positions.

Je reste surtout atterrée de tant de mépris pour les Africains, objets de la discussion, incapables, et bavards . Ce mépris latent, on peut le retrouver lors de la présentation du dialogue interreligieux : avec la question de l'islam, voilà qu'est donnée une séance de danse du ventre de femmes musulmanes. Il y a là une absence de rigueur pour le moins incongrue.

Des longueurs : un comble pour une vie si trépidante d'actions multiples et grandes. La scène de la réunion d'Assise tire vraiment en longueur dans l'énumération répétitive des religions. Cela dit, beaucoup s'accordent, malgré tout, pour dire, qu'avec la séquence du Mur de Jérusalem, l'épisode d'Assise fait partie des bons moments du spectacle. Soit. On regrettera cependant qu'il n'y ait pas dans les deux cas référence au contexte : Guerre froide (et Tchernobyl) en 1986, et Jubilé de l'an 2000.

Femmes féministes hystériques aux États-Unis,

Lech Walesa bête et orgueilleux,

Mikhaïl Gorbatchev caricaturé.

Jean-Paul II buvant trivialement de la vodka polonaise ou prononçant des gros mots alors que jeune, il joue une pièce de théâtre : il fallait, à n'en pas douter, retenir ces scènes tout à fait essentielles.

Pas grand chose des JMJ.

Jean Paul II, c'est du passé

De rares images d'archives, voulant mimer les Actualités d'antan, la couleur volontairement convertie en noir et blanc pour ressembler aux antiques séances de cinéma de nos parents, achèvent le tout : Jean-Paul II c'est du passé, c'est du vieux, c'est fini. Jean-Paul II, c'était du temps de la télévision en noir et blanc, pourrait-on presque retenir.

L'apogée de l'omission qui vaut erreur fatale : l'absence de référence au Jubilé de l'an 2000, la grande affaire du pontificat.

Les marchands du temple, à l'entracte, font enfin leur office devant une scène du conclave de 1978, où étaient encore réunis cardinaux en soutane, devant autel et croix ; les ouvreuses surgissent alors et vendent, sans aucune gêne, glaces et chocolats, pendant que les écrans géants diffusent publicités déplacées.

Puis, tout reprend comme au premier acte.

Applaudissements et ovations fusent.

C'est Jean-Paul II qu'on ringardise.

C'est Robert Hossein qu'on impatronise...

"Jean-Paul II"

■ Spectacle de Robert Hossein, écrit par Alain Decaux

du 21/09/2007 au 11/11/2007.

PALAIS DES SPORTS Paris, Palais des Sports, porte de Versailles (XVe)

Prix des places : de 25,00 € à 65,00 €

■ Réservations : Palais des sports

N'aie pas peur. Les choses humaines ont de vastes rivages.

On ne peut les contenir bien longtemps dans un chenal trop étroit.

KAROL WOJTYLA – La carrière/ Le matériau.[1] Archevêque de Varsovie et primat de Pologne pendant plus de trente ans, mais seulement à partir de 1948 (relégué de 1953-1956 au couvent des sœurs de Nazareth à Komancza près de la frontière ukrainienne).

[2] Mgr Sapieha, archevêque de Cracovie, âme de la résistance : ordonne Karol Wojtyła dans sa chapelle le 1er novembre 1946 avant de l'envoyer à Rome.

[3] Le Pape Jean-Paul II, la vie épique d'un pèlerin nommé Karol Wojtyła, film américain de John Kent Harrison, avec Christopher Lee, Jon Voight, Cary Elwes, Ben Gazzara. DVD 2005, Koba film video, visionné par le Saint-Siège. Selon Benoît XVI lui-même, ce film constitue le dernier exemple de l'amour qui a uni le peuple et le pape Wojtyła .

À ne pas manquer sur Arte

Karol, fiction italienne de Giacomo Battiato, 2006, 4 x 90 minutes

Du mercredi 24 au samedi 27 octobre à 20h45.

Karol, un homme devenu pape

Épisode 1, le 24 octobre

Épisode 2, le 25 octobre

Karol, le combat d'un pape

Épisode 1, le 26 octobre

Épisode 2, le 27 octobre

Lu sur LeblogTVnews : Karol Wojtyla, devenu Jean-Paul II, est interprété par Piotr Adamczyk. Le réalisateur Giacomo Battiato, voulait un acteur qui ait des origines slaves : "Même si la plus grande partie du budget du film venait d'Italie, je n'aurais jamais accepté ni un acteur italien pour ce rôle, ni un acteur connu américain, français, britannique ou autre. A mes yeux, il était essentiel, pour que l'acteur joue juste, qu'il ait une connaissance approfondie des origines du personnage, et cela était aussi nécessaire pour que les spectateurs de par le monde puissent bien le comprendre."

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