Comment les socialistes creusent les inégalités entre les femmes

La méthode suivie par le pouvoir socialiste pour émanciper les femmes a plus d’inconvénients que d’avantages. Sans les hommes, les femmes deviennent moins égales entre elles…

CERTAINS SUJETS intimident. C’est le cas de la condition féminine. Il est convenu que seules les femmes sont qualifiées pour en parler. Les hommes se tiennent en dehors des débats qui agitent les différentes écoles de pensée féministe. Ils s’abstiennent de toute observation critique. Leur passivité est particulièrement frappante dans les milieux politiques.

Depuis quarante ans que nos gouvernements incluent systématiquement un portefeuille du « droit des femmes », jamais son titulaire n’a été de sexe masculin. Le pouvoir socialiste qui nous dirige aujourd’hui va plus loin encore. Il en est arrivé à considérer que l’égalité entre hommes est femmes était une affaire exclusivement féminine. Les ministres qui ont été désignés à cette mission n’ont jamais été des hommes. Le président de la République les a, il est vrai, flanquées d’un « Haut Conseil à l’égalité » qu’il a proclamé « strictement paritaire ». Dans la réalité, les représentants du sexe masculin y sont des figurants. Cinq de ses six commissions sont présidées par des femmes. La seule qui leur échappe est la moins importante : elle s’occupe de vagues « enjeux internationaux et européens ». Les 19 « membres de droit » de ce même Conseil — c’est-à-dire les hauts fonctionnaires qui en sont l’armature — sont tous des femmes, sauf un.

Quoique je sois un homme, quoique je sois conscient des périls qui m’entourent, je me risque à livrer mon sentiment. J’estime que la méthode suivie par le pouvoir socialiste pour émanciper les femmes a plus d’inconvénients que d’avantages. Elle accentue une détestable déresponsabilisation des hommes. Elle se retourne contre une part croissante de nos concitoyennes et, par conséquent, manque son but. La désaffection qui s’ensuit apparaît dans les scrutins au suffrage universel. Trois ans après que Najat Vallaud-Belkacem puis Marisol Touraine aient mis en œuvre la politique de « vraie égalité » promise par François Hollande, l’adhésion des électrices à la gauche est en recul visible. Il est grand temps que nos responsables appliquent un autre principe, même s’il leur paraît étrange : que la condition des femmes est indissociable de la condition des hommes. L’équilibre et le progrès de notre société ne peuvent être assurés sans un dialogue permanent entre les deux moitiés qui la composent.

Je me bornerai à examiner ici un seul aspect de ce vaste problème.

Les féministes qui inspirent la politique du pouvoir socialiste imaginent une « vraie égalité » en deux étapes.

Libération sexuelle : l’opinion manipulée

D’abord elles mettent tous leurs efforts dans une libéralisation accrue de la contraception et de l’avortement. L’accès à la « pilule du lendemain » a été facilité, y compris dans les écoles ; l’interruption volontaire de grossesse est désormais gratuite ; l’État la rend disponible « à proximité » de toutes les demanderesses ; la « semaine de réflexion préalable » a été supprimée, etc. Selon les ministres et les députés qui ont voulu ces mesures, les Françaises bénéficient ainsi d’une liberté plus grande. Des sondages semblent montrer que l’opinion publique approuve massivement ces « avancées ».

Ne nous laissons pas prendre à des apparences. La réalité est plus complexe et moins flatteuse.

Commençons par l’opinion publique. Si les questions relatives au droit à l’avortement sont posées en termes binaires (pour ou contre), il est exact que la majorité des femmes, et plus encore des hommes, sont « pour ». Mais si l’on se donne la peine d’enquêter de façon moins sommaire, l’idée d’un droit inconditionnel et immédiat se fracture. Quand on évoque des différences d’âge, de statut matrimonial, de circonstances, les réponses deviennent circonspectes ou hostiles.

Dans notre pays, de telles études heurtent la pensée dominante ; elles sont négligées ou dissimulées. Il faut examiner celles qui sont publiées aux États-Unis. Elles montrent notamment une divergence frappante entre femmes des classes supérieures, très favorables à une libéralisation systématique de la contraception et de l’avortement, et celles des catégories défavorisées, qui expriment leurs réticences ou leur désapprobation.

L’émancipation des riches

La raison est facile à expliquer. D’un côté, se trouvent des privilégiées dont les diplômes universitaires, les revenus, les relations de travail leur assurent une grande indépendance de vie. La rivalité avec les hommes ne leur est pas défavorable. Elle les stimule plutôt. La solitude matrimoniale ne les effraie pas. Quand elle n’est pas voulue, elle cesse rapidement. Leur ambition, c’est, selon le mot de Simone de Beauvoir, de « s’approprier en propre ». Pour elles, la contraception et l’avortement sont « l’exigence la plus élémentaire », sans laquelle leur égalité avec les hommes serait impossible. Elles soutiennent chaleureusement les féministes du Parti socialiste qui, d’ailleurs, sont des leurs.

À l’inverse, les femmes sans diplômes, sans ressources propres, sans possibilité d’ascension sociale, se sentent plus victimes que bénéficiaires de l’émancipation que le gouvernement leur offre. La contraception et l’avortement leur donnent, certes, un pouvoir discrétionnaire sur la vie de leurs enfants à naître mais, en contrepartie, la création d’une famille, le mariage, la contribution du père à l’éducation des mineurs, sont des choix qui relèvent exclusivement du bon vouloir masculin. Or ces femmes ont un besoin impérieux de partager avec un conjoint des charges trop lourdes pour elles seules.

L’instabilité des couples, le foyer monoparental, la dérobade des hommes, sont des défis faciles à relever dans les catégories aisées ; mais ils renvoient les femmes défavorisées en bas de l’échelle sociale où elles forment la majorité des exclus et des marginalisés. Les bulletins de victoire de Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine ne trouvent aucun écho favorable chez elles.

Le pouvoir, pas la justice

Ensuite vient la deuxième étape imaginée par les féministes du Parti socialiste : elle consiste à imposer aux hommes supposés hostiles une égalité sociale et politique obligatoire. Il est frappant d’observer que les mesures les plus importantes prises sous leur impulsion concernent des enjeux de pouvoir : parité systématique dans les candidatures aux élections, quasi parité dans les conseils d’administration, objectif de parité dans les métiers valorisants de l’audiovisuel (journaux télévisés notamment). Là, les contraintes légales d’égalité entre hommes et femmes sont strictes et les sanctions lourdes en cas de défaut.

Mais, quand le ministre se penche sur le sort des mères de familles monoparentales ou des femmes abandonnées sans ressources par leurs conjoints, ses bonnes paroles couvrent des projets vagues et des mesures timides. Les inspiratrices de « l’égalité réelle » se soucient plus de pouvoir que de justice. Pour elles, les hommes sont des concurrents à contrôler et non pas des partenaires à solliciter.

 C’est ainsi que l’action des féministes socialistes s’enfonce dans une contradiction curieuse : ce qui fait leur orgueil, conduit à la déchéance des femmes les plus nécessiteuses sous le regard indifférent des hommes. Mais elles ne veulent pas le voir. Leur politique peut bien exhiber des symptômes de plus en plus étendus d’impasse intellectuelle et de refus populaire ; elle continuera jusqu’à ce que leur soit arrachée l’autorité sans partage qu’elles exercent sur tout ce qui touche la condition féminine.

 

 

Michel Pinton est ancien député au Parlement européen.
Dernier article paru dans Liberté politique (à propos de la loi Taubira sur le mariage) : « Abroger les racines de la loi » (n° 65, février 2015).

 

 

 

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