Ces gentils europhiles qui me rendent méchamment europhobe

Source [Causeur] Dans le monde des idées et des médias, certaines personnalités semblent aujourd’hui être investies d’une mission : mettre leur pouvoir de conviction au service d’une résistance à l’irrésistible ascension des populismes européens. Il est amusant d’observer qu’ils sont parfois et malgré eux, les promoteurs les plus efficaces de l’europhobie.

Un beau matin de juin et de matinale sur France Culture, l’animateur Guillaume Erner recevait l’économiste Daniel Cohen. L’émission remplissait sa mission, la culture de l’intelligence était pratiquée avec un savoir certain, l’équilibre bien trouvé entre les chiffres et les lettres, la science servie sans jargon, la conversation agréable était instructive entre ces hommes honnêtes et sympathiques qui inspiraient confiance. De l’autre coté du poste, j’écoutais, je ne demandais qu’à comprendre et à être convaincu, j’étais au bord de l’adhésion, à deux doigts de monter dans le train de ces eurostars du monde intellectuel et médiatique en laissant sur le quai mes valises lourdes de conséquences de l’euroscepticisme, ce même train que je préférais louper chaque matin depuis des années sur une chaine concurrente, conduit par Bernard Guetta. Tout se passait bien sur la meilleure des ondes jusqu’au moment où pour éviter un dérapage que l’on aurait été bien inspiré de contrôler, l’émission ne dérailla pas, évita la sortie de route et continua sa course mais perdit un wagon d’auditeurs, enfin je le suppose, et moi j’en suis sûr.

Au cours d’un développement sur les origines de l’eurodéfiance et de la montée des populismes, l’invité rapporta les résultats d’une enquête dans laquelle les personnes interrogées, appartenant aux classes populaires, avaient déclaré dans leur majorité ne pas souhaiter que les politiques d’aides sociales soient renforcées ni même poursuivies en ajoutant quand on leur demandait pourquoi que « cela ne profitait qu’aux noirs ! ». Ce n’est pas à ce moment que j’ai décroché, quand l’économiste a rapporté ces propos avec du mépris dans la voix. Là au contraire, j’ai tendu l’oreille, et attendu que l’on explique, que l’on explore, que l’on exploite le filon d’où était sorti une telle pépite. C’est juste après, quand un petit vent de panique a soufflé dans le studio que j’ai lâché prise, quand le scoop a fait un flop et que l’idée est restée sans suite.

Des pauvres qui préfèrent renoncer aux subventions, aux logements, aux aides et aux allocations, même pour de « mauvaises » raisons, même parce que victimes de rumeurs, même en proie à l’irrationnel des légendes urbaines, cela méritait que l’on s’attarde. J’aurais bien aimé, que l’on tente au moins de corriger les illusions d’optique ou d’éclaircir les idées de ceux qui ont fait un jour la queue à la CAF, ou traversés en RER ces banlieues sous tutelles que les blancs fuient et où les maires démissionnent, ou inscrits leurs enfants dans des colonies de vacances municipales. Mais on est passé à autre chose. On n’a pas cherché à comprendre ni à faire comprendre, par exemple qu’aucune loi raciale motivée par un racisme anti-blancs ne favorisait les noirs mais qu’à accueillir des Africains démunis par familles nombreuses, on se retrouvait forcément en charge de Français noirs nécessiteux. Mais non, on a balayé d’un revers de main comme des miettes sur une table ces propos jugés délirants et inqualifiables. On les a laissés inqualifiés pour les faire disparaitre au plus vite dans la poubelle des fantasmes racistes.

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