Centenaire de 1918 : un enseignement spirituel

Nous publions ici une réflexion du P. Noël Tanazacq, prêtre orthodoxe du Patriarcat de Roumanie, sur la portée spirituelle de la Grande Guerre.

La première Guerre Mondiale (1914-1918) qui dura 5 ans, fut, à cette époque, la première à pouvoir être qualifiée de mondiale - bien qu’elle fût en réalité plutôt européenne - et une hécatombe1, que les écrivains appellent une « boucherie », qui provoquera une telle horreur dans la mémoire des hommes, qu’ils l’appelèrent la « Grande Guerre ». 

Elle concerna, jusqu’en 19172, essentiellement les nations européennes, qui, en ce début du 20ème siècle, constituaient encore le centre du monde, cette Europe dont les racines sont l’Empire romain et l’Eglise. Le pays le plus touché, le plus meurtri, fut la France, dont environ un quart du territoire fut concerné par les combats et qui perdit dans cet holocauste deux générations d’hommes3. Dans chaque village français, même petit, il y a un « monument aux morts » avec une liste impressionnante de « morts pour la Patrie ». Mais nos frères roumains ont payé aussi un lourd tribut, dont on voit les traces dans les cimetières militaires d’Alsace4. C’est d’autant plus honorable que les rois de Roumanie étaient d’origine allemande.

Cette terrible guerre a sonné la fin d’un monde et l’avènement d’un monde nouveau (qui sera pire !). Car cette guerre provoquera la disparition de l’Empire russe (empire chrétien orthodoxe) et la naissance de la terreur communiste universelle, confortera la Turquie nouvelle, qui, pourtant, était l’alliée de l’Allemagne, et qui avait accompli le génocide des Chrétiens arméniens et assyro-babyloniens (et qui chassera les Grecs d’Asie mineure5),  entérinera le déclin politique de l’Europe et verra l’avènement des Etats-Unis d’Amérique comme puissance mondiale, visant à l’hégémonie. Mais il n’y aura pas que des conséquences négatives. Notons, au plan politique, outre la réintégration de l’Alsace-Lorraine dans la nation  française, la résurrection de la Roumanie en tant qu’Etat unifié (la Transylvanie étant intégrée au Royaume de Roumanie) et, au plan social et civilisationnel, la promotion de la femme (parce que les hommes étaient au front). Le monde entier a changé en moins d’une décennie, d’autant plus que les nations européennes avaient des colonies sur tous les continents : cela concernait donc le monde entier.

Cette guerre et les illusions idéologiques pacifistes qui suivront engendrera une guerre bien plus terrible, la 2ème Guerre Mondiale, qui, elle, sera réellement universelle et changera le monde pour plusieurs siècles, sinon  un millénaire : nous pouvons dire qu’elle fut pré-apocalyptique. Le pacifisme politique, idéologique et sentimental de l’entre-deux guerres a produit le pire6, parce que, si le Christ nous a appris à aimer nos ennemis, Il ne nous a pas demandé d’être aveugles sur l’iniquité,  ni de dire que les méchants étaient bons. « Aimer ses ennemis », peut aussi signifier les reprendre et les combattre. Le Christ Lui-même, le Bon Pasteur universel, combat le loup qui vient détruire la bergerie : Il ne dit pas que le loup est bon et bien gentil.

Maintenant que nous avons dressé ce tableau synthétique, et un peu prophétique, essayons de scruter les aspects spirituels de la Grande Guerre et les « merveilles de Dieu ».

La guerre est une chose terrible, un affrontement violent entre les hommes, qui entraîne la mort, les destructions et la désolation : c’est un comportement totalement étranger à Dieu. Dieu nous laisse une  grande liberté, parce qu’Il nous aime, a confiance en nous, et souhaite ardemment que nous Lui ressemblions, que nous devenions comme Lui, parfaits. Mais, lorsque les hommes vont trop loin dans la méchanceté, la perversité et l’iniquité, Il les livre à eux-mêmes, c’est-à-dire en fait, à Satan et aux puissances sous-Ciel, qui nous inspirent ces péchés. Ainsi viennent les guerres, toutes les guerres, mais surtout les plus grandes, qui jouent un rôle dans le destin de l’humanité. Comme un Père bienveillant et compatissant, Dieu tire toujours du bien de nos iniquités et de leurs fruits (de même qu’Il tirera  la Résurrection de la Mort de Son Fils). Et la Grande Guerre a été le théâtre de nombreux miracles, ou changements.

Au plan européen, l’affrontement violent entre la France et l’Allemagne, le sacrifice de millions d’hommes finira par produire -mais seulement après la 2ème Guerre Mondiale- la réconciliation entre « les deux peuples » (entérinée par de Gaulle et Adenauer, en 1962). Parfois la haine est telle, entre deux peuples (comme entre deux personnes) que seule une conflagration peut les amener à la raison et à la paix. La mort apporte souvent la paix. Dieu nous livre à nous-mêmes dans un but pédagogique (et non strictement punitif) : « Mes enfants, constatez que vous ne pouvez rien faire sans Moi, votre Père qui vous aime ».

Dieu a accompli plusieurs miracles, importants, durant cette guerre, et même visibles par des foules. 

Ainsi, lorsque la France, mal préparée à la guerre, eût risqué de perdre la première bataille de la Marne, en septembre 1914, ce qui aurait été un second désastre de « Sedan »7 et permis aux Allemands d’entrer à Paris, entraînant  probablement la disparition de la France en tant que grande puissance européenne et chrétienne, la Mère de Dieu est apparue sur le front des troupes allemandes et a étendu son manteau immaculé sur la France : Vous ne passerez pas, car mon Fils ne le veut pas8. Et la France fut sauvée, le 8 septembre8, comme elle l’avait été par Sainte Jeanne d’Arc, au début du 15ème siècle. Ce miracle fut vu par environ 100 000  soldats et officiers allemands, mais leur état-major leur interdit  d’en parler, sous peine de mort8.

 La résistance des soldats français à Verdun est un exemple spirituel. Si le verrou stratégique de Verdun avait sauté, la France aurait été envahie et vaincue. Les responsables politiques et militaires français avaient eu l’intelligence de faire « tourner » tous les régiments à Verdun : ainsi toute l’armée française -et à travers elle tout le peuple- a combattu, souffert et vaincu à Verdun. C’est une image spirituelle : chaque chrétien est un « poilu de Verdun ». Dans le combat spirituel -qui est contre les esprits sous-Ciel (et non contre la chair-matière) comme nous l’enseigne St Paul-, nous devons tenir bon, dans « la tranchée » de nos épreuves et de nos souffrances, supportant la boue, les rats, les puces, les obus, les gaz, imitant le Christ qui a tenu bon jusqu’au bout dans Sa terrible Passion. Mais Il a vaincu la mort, le péché et Satan. Et nous, avec Lui et en Lui.

La France de la fin du 19éme siècle et du début du 20ème siècle, après l’accalmie de la Restauration et du Second Empire, et l’échec de la restauration monarchique du Comte de Chambord, avait retrouvé, avec la victoire des « Républicains », en 1879, les vieux démons de l’idéologie républicaine, c’est-à-dire la haine du Roi et de l’Eglise, qui est en fait la haine du Christ-Dieu. En 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat était une humiliation pour les Chrétiens français (majoritaires à 80% !) et, peu de temps avant, l’affaire des fiches (le fichage des officiers chrétiens pour bloquer leur carrière) avait troublé l’armée et le peuple français. La France abordait donc cette guerre dans la division et le trouble9. La souffrance va balayer tout. Dieu brise la dureté de nos cœurs par la souffrance. Les Français divisés vont retrouver l’unité dans la souffrance et par la souffrance. Il est amusant de voir que le Président du Conseil Georges Clémenceau, le « Père de la Victoire », qui était un homme de grande envergure politique et intellectuelle, mais aussi un anti-chrétien viscéral et haineux10 est devenu une sorte de « copié-collé » de Jeanne d’Arc ! Dieu a beaucoup d’humour. Beaucoup de prêtres et de moines, qui avaient été persécutés par l’Etat républicain, seront enrôlés et donneront leur vie pour la patrie française. La France, blessée et divisée par l’idéologie révolutionnaire, en sortira apaisée et l’Eglise en récoltera les fruits.

Chacun de nous est appelé à « mourir pour la patrie », c’est-à-dire -en fait- pour les autres, mais cette patrie est pour nous Chrétiens, in fine, le Royaume de Dieu.

La « Sainte Russie » va connaître le martyre avec la tyrannie communiste et des dizaines de millions de Chrétiens (évêques, prêtres, laïcs) seront torturés et tués pour le Nom du Christ, ce qui préparera le renouveau de l’Eglise orthodoxe russe, dont nous sommes témoins. Et l’expulsion de l’intelligentsia chrétienne russe en Occident engendrera un grand miracle historique : il permettra la renaissance de l’Orthodoxie en Occident, après 1000 ans de schisme, et la résurrection d’une Eglise orthodoxe occidentale en 1936, abolissant de facto le schisme de 1054.

 Enfin, nous ne pouvons pas passer sous silence le rôle des saints, et en premier lieu celui de Saint Martin, qui est le plus grand saint de l’Eglise de France, qu’il porte  devant Dieu comme une offrande, et le vrai patron de l’Europe, qu’il a parcourue sans cesse pour l’évangéliser. Le 11 Novembre 1918, jour de sa fête liturgique (qui est le jour de la translation de ses reliques, de Candes à Tours11), les clairons  ont sonné l’armistice sur les champs de bataille. Enfin, les fusils et les canons de taisaient. Enfin la paix de Dieu triomphait de la haine des hommes. Cette paix provient, de toute évidence, de la prière de Saint Martin devant le trône de Dieu.  Il est à noter que les Allemands l’aimaient beaucoup et le priaient. C’est sa prière qui a obtenu du Christ la paix, et la réconciliation des frères ennemis12.

La conclusion est simple : seul le Christ peut apporter la paix entre les hommes, Lui le « Prince de la paix » (Is 9/5). Mais cette paix ne peut pas venir de l’extérieur, des arrangement et tractations humains : elle ne peut provenir que de l’intérieur, des cœurs. Dieu n’impose ni la vérité ni l’amour, Il nous les propose. La paix du Christ ne pourra venir que de nos cœurs.

Que Lui, le Prince de la paix, nous donne Sa paix.

Père Noël TANAZACQ

 

NOTES

 1- On estime que cette guerre a  entraîné la mort de plus de 18 millions de personnes, dont environ 10 millions de soldats. La France a perdu 1, 4 millions de soldats et a eu plus de 4 millions de blessés. La Roumanie a perdu 250 000 soldats.

2- 1917 : entrée en guerre des Etats-Unis d’Amérique.

3- Il a fallu envoyer au front non seulement des hommes jeunes (de la tranche d’âge 20/25 ans), mais aussi des hommes plus âgés (de la tranche d’âge 25/50 ans). Ce qui fait des morts sur 2 tranches d’âge (une génération humaine comptant environ 25 ans).

4- Il s’agit de soldats roumains faits prisonniers par l’armée germano-bulgare et déportés en Alsace-Lorraine (alors allemande), soumis à de durs travaux et dont beaucoup sont morts de faim, de froid et de mauvais traitements (en   l917-1918). Le plus important de ces cimetières est celui de Soulzmatt, où notre Métropolite se rend régulièrement.

5- Après avoir pris le pouvoir et aboli le califat, Mustapha Kemal (« Ataturk ») se retourna contre les Grecs qui avaient pris Smyrne et qui furent vaincus, en 1923. Outre les nombreuses victimes, il y eut un terrible exil des populations grecques d’Asie Mineure : ce fut la fin de la « Grèce d’Asie ».

6- Ce pacifisme, incarné par la SDN [Société des Nations], n’a rien dit contre le Goulag (créé par Lénine en 1919), et n’a pas empêché la conquête de l’Ethiopie par Mussolini, ni l’annexion des Sudètes et de l’Autriche par Hitler…

7- Sedan : la défaite des Français face aux Prussiens en 1870, qui entraîna la perte de l’Alsace-Lorraine, véritable cause de la première Guerre Mondiale,  la fin du Second Empire et l’avènement de la 3ème République.

8- Nous connaissons ce miracle grâce à trois soldats allemands blessés à la bataille de la Marne, dont un prêtre, et soignés par les Français. Le Courrier de St Lô du 8 janvier 1917 a rapporté le récit du prêtre allemand. Les trois blessés n’avaient plus rien à craindre, car ils étaient mourants (ils sont morts de leurs blessures).Le miracle a eu lieu le 8 septembre, jour de la fête de la Nativité de Marie, fête chère à l’Eglise des Gaules, qui fut la première à la fêter, au 5e s., après Jérusalem. Deux des trois Allemands blessés ont précisé qu’il s’agissait de N. D. de Lourdes. Or, nous savons que le généralissime Foch, qui était très pieux et disait son chapelet tous les jours, avait une grande dévotion pour N. D. de Lourdes, car sa mère avait connu Ste Bernadette.

9- Sans compter l’affaire Dreyfus, qui avait dressé les gens les uns contre les autres et développé l’anti-sémitisme, alors que le vrai coupable était un officier  d’origine hongroise, Esterhazy.

10- Bien que non franc-maçon : il estimait que les rites et le secret des loges maçonniques étaient ridicules. Il est intéressant de noter que Clémenceau sera favorable à la nomination de Foch comme généralissime de toutes les armées alliées, en 1918,  alors qu’il savait bien que cet officier était un Chrétien convaincu et pieux. Il fit preuve d’honnêteté intellectuelle et d’un grand sens de l’intérêt commun.   

11-St Martin est né au Ciel le 8 novembre, mais son corps n’a été ramené à Tours que le 11 novembre.

12-Tandis que c’est St Michel qui a mis fin à la 2ème Guerre Mondiale, le 8 mai 1945, jour de sa fête principale [8 mai 492 : apparition glorieuse au mont Gargan, en Italie]  parce qu’il s’agissait d’un conflit vraiment universel et que St Michel, le premier des Séraphins et le chef des armées angéliques, a un rôle universel. C’est lui qui, sur un commandement de Dieu, a remis son épée au fourreau ce jour-là.