Brexit : "Ce n'est pas un coup d'État, le geste de Boris Johnson n'est pas un coup grossier"

Source [franceinter.fr] Les recours se multiplient outre-Manche contre la décision du Premier ministre de suspendre le Parlement pour une durée inédite. Quelles chances de succès pour ses opposant ? Aurélien Antoine, professeur de droit public à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne et directeur de l'Observatoire du Brexit, nous répond.

Les opposants à un Brexit dur ont lancé une offensive judiciaire contre la décision du Premier ministre de suspendre le  parlement britannique. Leur stratégie peut-elle s'avérer payante ? Éléments de réponse avec Aurélien Antoine, professeur de droit public à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne et directeur de l'Observatoire du Brexit.

FRANCE INTER : Comment analysez-vous d'un point de vue juridique la décision de Boris Johnson de proroger les travaux des députés britanniques, c'est-à-dire de suspendre les sessions du Parlement pour une durée inédite de cinq semaines ? 

Aurélien Antoine : "Si sa manipulation politique et constitutionnelle va au bout, c'est-à-dire si l'on n'arrive pas à lui opposer d'autres arguments ou, disons, des alternatives, ça pourrait être un coup de maître. On ne le saura vraiment qu'au 31 octobre [date du Brexit, NDLR]. Mais sa décision est, de mon point de vue, assez subtile, car elle préserve la légalité de la manœuvre.

Il faut aussi se méfier des déclarations politiques qui visent à le mettre en difficulté. On a saisi des juridictions, les citoyens ont signé des pétitions, les parlementaires essaient de trouver une riposte et ils en ont encore les moyens. Certes, ces ripostes sont réduites, mais, il faut le rappeler, ils en ont eu les moyens avant et ils en ont encore les moyens.

Donc on n'est pas dans une dictature, on n'est pas dans un coup d'Etat. Et le geste de Boris Johnson n'est pas un coup grossier parce que si les parlementaires ne se mettent pas d'accord sur les moyens d'une riposte, il sera évidemment en position de force.

FRANCE INTER : Il faut en effet rappeler, comme vous le faites dans votre dernier texte del'Observatoire du Brexit, que les parlementaires ont eu le temps, au printemps notamment, de se mettre d'accord pour trouver une alternative à une sortie sans accord et qu'ils ne sont pas parvenus à le faire... 

"Absolument. Tous les moyens de riposte dont ils disposaient depuis que le fameux accord de novembre 2018 avait été conclu par Theresa May et l'Union européenne, ils les ont encore. Pour peu de temps, certes, mais ils les ont donc comme ils les avaient auparavant : la possibilité de censurer le gouvernement, la possibilité de refuser l'accord (c'est ce qu'ils ont fait) et ensuite, souvenez-vous, il y a a eu près d'une dizaine de votes, de motion déposées pour trouver des alternatives à cet accord. Ils ont dit non à tout.

Donc, de deux choses l'une : ou bien Boris Johnson arrive à ses fins parce que les parlementaires ne se sont pas mis d'accord, ou, enfin, les parlementaires parviennent à se mettre d'accord sur une plateforme commune pour trouver une alternative, repousser à nouveau le Brexit, renégocier l'accord en introduisant plus de souplesse ou accepter le "back-stop". Ils en auront encore la possibilité mais ils avaient déjà eu cette possibilité et ils ne se sont jamais mis d'accord. Donc au bout d'un moment il est évident qu'on en arrive à ce type de clash où l'exécutif reprend la main."

Quelles sont les possibilités des parlementaires pour empêcher ce coup de force ? Rappelons que les cours écossaise, irlandaise et anglaise doivent se prononcer. Donc quel avenir pour ces recours juridiques contre cette manœuvre de prorogation du Parlement, donc de suspension du Parlement ? 

"Une précision, tout d'abord, d'un point de vue technique. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une suspension. La suspension en réalité conduit à ce que les travaux en cours soient simplement... suspendus. Ils ont vocation à reprendre tels qu'ils étaient à l'issue de la suspension.

La prorogation, c'est différent. C'est une vraie rupture. La nouvelle session est ouverte par un nouveau Discours du Trône, c'est-à-dire un nouveau programme législatif et politique. C'est un peu plus radical, un peu plus extrême que la suspension.

Cela dit, pour ce qui nous intéresse, cela ne change pas grand chose. En ce qui concerne ces recours juridiques, l'idée d'une prorogation est évoquée depuis plusieurs semaines et, nous, experts et membres des universités nous interrogeons sur sa constitutionnalité. Personne ne répond avec certitude. Des députés écossais ont donc saisi la Cour suprême écossaise au niveau civil, la Court of Session mi-août. Elle devrait se réunir le 6 septembre pour en débattre.

John Major a, lui, prévu de saisir la High Court de Londres, qui est la juridiction la plus importante en Angleterre et pour le Pays de Galles. On ne sait quelle décision peuvent prendre ces juges. Mais ce qui est certain, c'est que s'ils remettent en cause la décision royale, cela ira quand même très loin. 

Parce que, justement, le Parlement a encore la possibilité de renverser le gouvernement, d'adopter des textes et donc de contrer les effets de la prorogation. L'autre difficulté, c'est que la prorogation est un acte, une décision juridique qui en tant que telle en fait ne vise pas directement le Brexit. C'est pour cela que, tout compte fait, cette manœuvre n'est pas si grossière que cela d'un point de vue juridique."

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