29 mai 2005, le jour d’après la démocratie

Dix ans après, la suite du référendum a confirmé les bonnes raisons que le peuple français avait eues de voter Non au projet de Constitution européenne, le 29 mai 2005.

La première d’entre elles était, et demeure, qu’on lui refuse le choix.

D’abord en ce qu’on a essayé, par cette Constitution, de faire ratifier par le peuple son enfermement dans la seule option du libéralisme économique, quelles que puissent être les contre-performances, passées, actuelles ou ultérieures, de cette doctrine. La question n’était pas même de savoir si l’on était ou non favorable aux prescriptions libérales contenues dans la partie III, mais si l’on acceptait de voir constitutionnalisée une doctrine économique.

Une consultation ornementale

Ensuite en ce que le suffrage populaire se voie tenu pour quasiment nul. Nicolas Sarkozy ayant dupé les Français en leur promettant de n’accepter la partie proprement institutionnelle du traité que sous la condition que la partie économique en ait été renégociée, ce qui ne fut bien sûr jamais le cas, le spectaculaire contournement de la volonté populaire opéré en 2007, par la ratification du traité de Lisbonne,  a confirmé que, dans la post-démocratie européenne, on ne demande plus aux peuples leur volonté, mais leur simple aval.

Le peuple demeure souverain, mais au sens où peut l’être la reine d’Angleterre, et sans plus de pouvoir : aussi formellement, aussi symboliquement… Ornementalement ? « Toute révérence due, consentez-vous ce que l’UE a déjà voulu, décidé et réalisé, et sur quoi il serait de toute manière trop tard, car trop coûteux, de revenir ? »

Le résultat du vote n’a plus valeur décisionnelle, mais consultative, raison pour laquelle on parlera désormais de simples « consultations » populaires, tels des sondages à grande échelle. Les peuples y sont attachés, donc on en maintient la forme, comme on conserve une tradition sympathique, mais pour autant qu’elle soit rendue inoffensive.

Le fait accompli

Ce contournement des volontés populaires porte un nom, très officiel, c’est la technique des « petits pas » et des « solidarités de fait », dont apparaît partout, aujourd’hui, en Europe, le cynisme tranquille. Elle consiste à mettre petit à petit, insensiblement, les peuples devant le fait accompli (« il n’y a pas de plan B ») afin de leur demander ensuite, non s’ils sont d’accord, mais de le ratifier.

Il faut le savoir : une seule réponse est désormais acceptable. Ainsi le Conseil européen du 17 juin 2005 avait-il très officiellement déclaré, par la bouche du même Jean-Pierre Juncker aujourd’hui parvenu à sa suprême onction, que le peuple français n’avait pas apporté « la bonne réponse ». Ce qui consonne étrangement avec les récentes déclarations de Manuel Valls à la télévision portugaise, annonçant « hors de question » l’accession du FN au pouvoir en France… Nous savons désormais que lorsque nous votons, certains choix sont plus égaux que d’autres. Le volant est bloqué dans une seule direction : le Non n’est que le chemin le plus long pour parvenir au Oui.

Une seule bonne réponse

Dérive  grave : nos gouvernants ne veulent plus de la démocratie, de la capacité du peuple à faire ses propres choix. Infantilisé, le peuple n’est plus jugé capable de se hisser « à la hauteur des enjeux ». Si le peuple vote non à un référendum, ce n’est pas qu’il ne veut pas mais qu’il ne comprend pas, de sorte qu’il faudra lui réexpliquer lentement – lui demander, souvent, de revoter –, jusqu’à ce qu’il apporte « la bonne réponse ».

En démocratie, « vox populi, vox dei » ; en post-démocratie, si le peuple ne fournit pas la réponse attendue, c’est lui qui a tort, à lui de se remettre en question. En démocratie, le vote sert à connaître la volonté populaire, en post-démocratie, il ne peut que permettre de ratifier : il vient après (« post- ») que la décision a été prise et une fois que la situation qui en résulte est jugée suffisamment avancée pour être présentée comme irréversible.

L’ultime liberté du non

Cette réduction de notre capacité de choix corrobore malheureusement  les multiples régressions auxquelles nous assistons en matière de liberté d’expression, où nos gouvernants législateurs feignent de considérer que l’expression d’une opinion, par exemple raciste ou « homophobe », est une incitation à y soumettre ceux qui ne la partagent pas. Dans le monde de la fin des alternatives, au motif qu’une opinion est condamnable, on condamne son expression.

Le 29 mai 2005 est une effraction de liberté typiquement française.

« Quand bien même la terre entière serait soumise à une loi d’airain, quand bien même toute révolte contre cette loi serait vouée à l’échec, au point que nul ne songerait seulement plus à se révolter, quand bien même on aurait partout perdu jusqu’à l’idée d’aucune liberté, c’est alors, à cette heure au contraire, dans ce silence de plomb qui couvrirait toute l’étendue de la planète, que la seule explosion d’un Non serait la plus retentissante, car c’est alors qu’elle témoignerait justement du plus de liberté, d’une liberté capable de transcender jusqu’à l’impuissance absolue où serait enfermé le monde – et le seul cri, même impuissant et désespéré, de ce seul Non, suffirait alors à transfigurer ce monde. »

 

Thibaud de La Hosseraye est l’auteur du « Témoignage d’un revenu du Oui » publié en 2005 sur le site des « Inédits pour le Non » (www.ineditspourlenon.com).

 

 

 

***