Nos coups de coeur
George Weigel, Le Cube et la Cathédrale - L'Europe, l'Amérique et la politique avec ou sans Dieu, La Table ronde, avril 2005, 186 p., 17 €
Le Cube et la Cathédrale
L'Europe, l'Amérique et la politique avec ou sans Dieu
lu par Philippe de Saint-Germain.
LE CUBE, c'est la "Grande Arche" de la Défense ; la cathédrale, c'est Notre-Dame de Paris, cet édifice religieux qui pourrait tenir, tours et flèches comprises, sous l'Arche elle-même, comme l'expliquent complaisamment les guides touristiques parisiens.
De cette observation, George Weigel, l'ami américain et le biographe de Jean Paul II (*), a tiré cette interrogation : quelle culture est la plus à même d'assurer les fondements moraux de la démocratie ? La culture de ce cube rationnel et anonyme ? Ou la culture de la "sainte folie" de Notre-Dame ?
L'essai de Weigel n'a rien de théorique. Le contexte de sa réflexion, c'est le divorce Europe-États-Unis de l'après 11-septembre et le projet de Constitution européenne. Et les questions ne cessent pas : quelle est la crise morale que traverse l'Europe ? Comment a-t-elle pu enfanter hier Auschwitz et le Goulag ? Pourquoi nie-t-elle aujourd'hui ses racines chrétiennes ? L'amnésie volontaire la condamne-t-elle à la passivité politique ? Et la volonté de sortir de l'histoire au déclin démographique ? Ou, plus simplement, le rejet de la Bible à la haine de soi ?
Pour l'auteur, ces interrogations n'en font qu'une. Contemplant, sur les bords de Seine, le face-à-face entre le vide de l'"Arche de la Fraternité" et le foisonnement de Notre-Dame, il ose poser, de manière iconoclaste, la seule question vraiment taboue de ce début de XXIe siècle: une civilisation qui prétend se fonder sur les droits de l'homme peut-elle se donner pour culte l'ignorance de Dieu ?
Weigel s'attarde beaucoup sur le projet de Constitution européenne, 70.000 mots, mais pas de place pour "christianisme". Le problème n'est pas d'abord historique, il est spirituel (il évoque longuement les multiples visages de la "christophobie" européenne), mais aussi politique : "La mémoire historique est vitale pour la communauté éthique. Et il n'existe pas de communauté politique libre sans la fondation d'une communauté éthique, reposant sur le partage d'engagements moraux communs." Quel crédit accorder à cette Europe-puissance laïque qui prétend résister aux États-Unis et la mondialisation en refusant d'assumer son identité ? Ce n'est pas la logique des blocs, montre l'Américain, qui éteindra le choc des cultures.
Plus fondamentalement, c'est la vieille question "christianisme et démocratie" qui est reposée. L'Église assume désormais la démocratie. Mais "est-il possible de construire une communauté politique démocratique en l'absence des références morales transcendantes que le christianisme offre pour régler la vie publique ?" En Europe, dit Weigel, la réponse est claire : "Ceux qui ont gagné la partie constitutionnelle dans l'Europe de 2004 répondront pas l'affirmative : une politique sans Dieu est non seulement possible, mais elle est nécessaire." Mais la crise de civilisation morale que connaît l'Europe suggère que les promoteurs du traité sont dans l'erreur.
Inquiet sur l'impact que cette laïcisation forcée de la politique pourrait avoir sur les États-Unis, George Weigel éclaire le chemin de ceux qui veulent réarmer l'Europe de l'esprit pour faire face à ses propres défis, mais aussi aux défis du monde.
* Politologue et philosophe proche du pape Jean-Paul II, chercheur au Ethics and Public Police Center de Washington, George Weigel est l'auteur de la biographie de référence, Jean-Paul II, témoin de l'espérance (Lattès, 1999), qui a rencontré une audience mondiale.
© Libertepolitique.com