Au terme du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il est judicieux de regarder dans le rétroviseur et tenter de dresser un bilan de l’état du respect de la vie humaine dans la France de 2012. Est-il positif, négatif, nuancé ? Notre analyse explorera trois thématiques cruciales : la fin de vie et la question de l’euthanasie qui vient de rebondir avec la décision du candidat socialiste de dépénaliser l’« aide active à mourir » (I), les problématiques relevant de la bioéthique au sens large (II) pour finir sur l’interruption volontaire de grossesse (III).
Le jugement sur ces 5 années d’exercice de pouvoir par la droite nous permettra parfois de dégager des perspectives d’avenir dans chacun de ces trois secteurs si la majorité présidentielle était reconduite aux affaires pour un second mandat. Dans le cas contraire où la gauche gagnerait les élections présidentielle et législative, nous indiquerons à grands traits les menaces susceptibles de se produire dans les cinq prochaines années. Ce n’est en effet un mystère pour personne, le clivage sur ces questions est généralement très important entre la droite et la gauche, mise à part la question de l’avortement où les différences s’estompent.
Une exigence éthique non négociable
Le choix du respect de la vie humaine n’est pas anodin et ne doit pas être considéré comme un aspect mineur ou isolé de la responsabilité politique. La protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle constitue avec le respect du droit des parents d’éduquer leurs enfants, la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage l’un des piliers fondamentaux sans lequel il ne saurait exister de véritable justice dans la société. C’est au cours d’un discours historique adressé le 30 mars 2006 à des parlementaires européens que le Pape Benoît XVI qualifia ces principes de « non négociables » en rappelant qu’ils n’étaient pas d’abord des vérités de foi mais étaient inscrits de manière indélébile dans la nature humaine et donc communs à toute l’humanité[1]. Dans la célèbre « Note doctrinale à propos de l’engagement et du comportement des catholiques dans la vie politique » dont il fut la cheville ouvrière, l’ancien préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi avait déjà fait de ces principes essentiels des « exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer » parce qu’elles ne permettent « ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis » et sont les fondements vrais de toute démocratie digne de ce nom[2]. Et de citer explicitement dans ce document majeur du magistère catholique « les lois civiles en matière d’avortement et d’euthanasie, à ne pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique qui du point de vue moral est aussi légitime » ainsi que « le devoir de respecter l’embryon humain et protéger ses droits ».
Le rôle déterminant de la majorité présidentielle contre l’euthanasie
Qu’en est-il de la fin de vie ? D’une manière générale, nous pouvons reconnaître l’intervention déterminante de nos actuels responsables politiques qui ont su repousser le spectre d’une légalisation de l’euthanasie. Lorsque Nicolas Sarkozy accède à la fonction suprême en 2007, la loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti est alors en vigueur et ses décrets d’application ont tous été promulgués. On sait que cette loi présente une réelle faiblesse en permettant à certaines conditions le retrait de l’alimentation artificielle chez les personnes en état végétatif. Toutefois, l’économie générale de la législation récuse clairement le choix mortel de l’euthanasie en fin de vie tout en réprouvant la tentation de l’acharnement thérapeutique. La législation française constitue indéniablement une voie originale pour le respect de la dignité de la personne malade, d’autant plus que son arrière-plan éthique est solidaire d’une tradition morale millénaire qui s’enracine bien sûr dans le serment d’Hippocrate mais également dans de nombreux développement du magistère récent de l’Eglise. La loi Leonetti est aujourd’hui regardée avec intérêt, voire avec admiration, par de nombreux Etats européens.
Il n’est donc guère surprenant que ce texte hautement symbolique qui protège le bien de la vie humaine fragile ait fait l’objet ces cinq dernières années d’attaques en règle de la part des idéologues de tous poils, parlementaires socialistes en tête, qui n’ont perdu aucune occasion pour ouvrir une brèche dans l’interdit moral de tuer.
L’orchestration de l’affaire Sébire
En 2008, ils ont ainsi essayé d’instrumentaliser l’affaire Sébire du nom de cette femme atteinte d’une tumeur lui déformant le visage, aidés il est vrai par une déferlante médiatique sans précédent. Tout en se disant très touché par la lettre que lui avait adressée la malade qui demandait que la médecine l’assiste dans son suicide, Nicolas Sarkozy lui avait répondu avec humanité et fermeté que « nous n'avons pas le droit d'interrompre volontairement la vie ». Afin de s’assurer que tout avait été mis en œuvre pour soulager ses souffrances, il avait immédiatement mandé auprès de Chantal Sébire son conseiller spécial pour les questions de santé et de bioéthique, le professeur Arnold Munnich, pour lui proposer de rencontrer un collège de spécialistes du traitement de la douleur.
De manière particulièrement intelligente, le premier ministre François Fillon a su dans un second temps éviter le piège et faire retomber la pression en confiant une nouvelle mission parlementaire au député Jean Leonetti afin de procéder à une évaluation de sa propre loi et interroger à nouveau les enjeux soulevés par une dépénalisation de l’euthanasie. Le volumineux rapport qui en fut issu a non seulement confirmé les principes affirmés en 2005 mais montré une nouvelle fois les dangers majeurs qu’il y avait à légaliser l’ « administration médicale de la mort », même exceptionnelle. Les conclusions du travail entrepris par Jean Leonetti avaient à l’époque été saluées par Benoît XVI lui-même, fait assez rare pour être souligné : « Je me réjouis que la mission parlementaire sur les questions relatives à la fin de vie ait rendu des conclusions sages et pleine d'humanité en proposant de renforcer les efforts pour permettre de mieux accompagner les malades [3]».
La seconde tentative pour légaliser la piqûre létale fut une proposition de loi sénatoriale heureusement rejetée en séance le 25 janvier 2010 par la droite qui disposait alors encore de la majorité au Palais du Luxembourg. Le piège dialectique dans lequel les auteurs de la proposition de loi voulaient enfermer la discussion était parfaitement au point, le texte prévoyant d’autoriser une « mort rapide et sans douleur (…) en cas de souffrance physique ou psychique insupportable ». La longue tribune publiée la veille du débat dans un grand quotidien par le premier ministre monté au créneau en personne permit de mettre encore en échec une opposition bien décidée à revenir à la charge dès qu’une nouvelle occasion se présenterait.
François Hollande a d’ores et déjà fait de la légalisation de l’euthanasie une mesure phare de son programme présidentiel en s’inscrivant dans la continuité idéologique de sa famille politique : «Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour finir sa vie dignement.» (Proposition 21)
Il s’agit de nous faire croire une nouvelle fois que certains malades en fin de vie n’ont d’autre alternative que subir l’acharnement thérapeutique et son lot de souffrances ou obtenir l’euthanasie qui les ferait paisiblement passer de vie à trépas. Le parti-pris du candidat socialiste témoigne d’une profonde méconnaissance de la question. Par la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie et aux droits des malades, la France a su en effet faire le choix de la sollicitude humaine envers les plus fragiles en s’engageant dans la diffusion d’une médecine palliative moderne et compétente permettant d’accompagner les patients en fin de vie et de traiter leur douleur sans qu’il ne soit à aucun moment nécessaire d’accélérer leur décès.
La « politique de civilisation » des soins palliatifs
Contrairement à ce qui est parfois rapporté, la valorisation de la médecine palliative dans notre pays est une réalité qui prend forme. Le programme national 2008-2012 de développement des soins palliatifs promu par le Président de la république a incontestablement instauré un cercle vertueux. Il existe à présent une volonté politique, forte et constante dont les fruits se font sentir sur le terrain comme l’a noté l’Inspection générale des affaires sociales : « Les réussites de cette politique sont nombreuses : beaucoup de malades ont, grâce aux unités de soins palliatifs, pu mourir dignement, entourés de leur famille ; la culture palliative a considérablement influencé les actes personnels hospitaliers, beaucoup d’infirmiers ont été formés, la douleur a reculé et les antalgiques ont été de mieux en mieux employés, des réflexions sont partout en chantier [4]».
S’il reste beaucoup à faire, notamment pour résorber les inégalités territoriales régionales ou intrarégionales, le maillage du territoire national commence à se resserrer. Le choix propre à la France de combiner différentes structures novatrices (unités fixes de soins palliatifs, équipes mobiles, lits dédiés, hospitalisation à domicile,…), explique que la diffusion de la « culture palliative » dans le monde soignant est bien une réalité, même s’il faut se garder de tout triomphalisme. Aujourd’hui la France se situe plutôt dans la moyenne supérieure en termes d’offre par rapport à ses voisins européens.
Enfin, la création le 17 février 2010 par le Parlement d’un congé rémunéré d’accompagnement d’une personne en fin de vie à domicile a représenté un message puissant adressé à l’ensemble de la population tentée par le déni de la mort. Accepter et financer ce temps essentiel de l’accompagnement d’un proche qui va mourir témoigne d’un choix qui honore les responsables politiques.
Perspectives et menaces
Concernant cette thématique, nous pouvons donc saluer un bilan largement positif de ces 5 dernières années. Si l’actuelle majorité devait être reconduite aux affaires, des pistes d’action pourraient être par ailleurs proposées pour faire de la France un pays d’excellence en la matière. Sans être ici exhaustif, nous pouvons en mentionner deux. Premièrement, poursuivre sans baisser les bras les efforts entrepris pour doter nos territoires de réseaux de soins palliatifs modernes et compétents. Deuxièmement promouvoir une politique ambitieuse de formation éthique des professionnels de santé et des étudiants des filières soignantes. La loi Leonetti doit être longuement enseignée dans les facultés de médecine et les écoles d’infirmières.
Il va sans dire que dans l’éventualité de l’accession de la gauche au pouvoir en avril et juin prochain nous aurions droit à une offensive sans précédent pour légaliser rapidement l’euthanasie, signant la destruction de l’essence même de la médecine comme on l’observe malheureusement déjà aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg. Quant aux avancées enregistrées en matière de soins palliatifs et d’accompagnement des malades, elles n’auraient plus guère de sens et se déliteraient lentement mais sûrement comme c’est aussi le cas dans les Etats du Benelux.
Depuis que Jacques Attali l’a évoqué publiquement, nous ne pouvons complètement écarter les arrière-pensées « financières » de cette entreprise. La gauche espère-t-elle engranger de substantielles économies en ces temps de crise budgétaire en précipitant la mort des malades en fin de vie ? Veut-elle faire de l’euthanasie une variable d’ajustement économique ? Il est vrai qu’une injection mortelle de chlorure de potassium coûte moins d’un euro tandis qu’une journée d’hospitalisation en réanimation dépasse les 1500 euros.
Retrouvez les autres articles de bioéthique dans le dossier :
[1] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti Populaire Européen, 30 mars 2006.
[2] Congrégation pour la doctrine de la foi, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002.
[3] Benoît XVI, Discours à M. Stanislas Lefebvre de Laboulaye, nouvel ambassadeur de France près le Saint-Siège, 26 janvier 2009.
[4] Inspection générale des affaires sociales, La mort à l’hôpital, La documentation française, 2010, p. 59.
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