[Source : Les Echos]
LE CERCLE/POINT DE VUE - La politique monétaire accommodante de la BCE n’a pas d’effet favorable sur l’économie réelle. Remplaçons l’euro par le franc et créons, en contrepartie, une nouvelle monnaie commune.
Alors que l'économie réelle stagne dans beaucoup de pays, on observe une hypertrophie de la finance, avec la multiplication des produits dérivés et des effets de levier, ainsi que le « trading » à haute fréquence sur les marchés internationaux. Dans l'ensemble du monde, les dettes publiques et privées ont désormais atteint un niveau historique. C'est pourquoi certains craignent une déflagration financière pire que celle de 2008.
Si la financiarisation a été facilitée par une vague de déréglementation, son origine tient à la nature même de la création monétaire, dont la masse est devenue extravagante. Cette création fut d'abord le fait des banques privées qui, depuis de nombreuses années, créent de la monnaie ex nihilo par le moyen du crédit bancaire, selon l'adage bien connu « les crédits créent les dépôts ».
Pas d'effet favorable sur l'économie réelle
Plus récemment, pour tenter de relancer l'économie, les banques centrales ont mis en oeuvre des mécanismes d' « assouplissement quantitatif », consistant à racheter régulièrement de la dette souveraine détenue par les banques privées. Cette solution a créé de la liquidité pour celles-ci, encourageant la spéculation sur les actifs existants, et donc la montée de leurs prix. En revanche, elle n'a eu aucun effet favorable sur l'économie réelle.
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En ce qui concerne l'Europe, la situation s'est aggravée au sein de la zone euro, dont la croissance de la production est devenue la plus faible du monde. Après la gestion pour le moins discutable de Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi a suivi cette méthode de l'assouplissement quantitatif, faisant tomber les taux d'intérêt au voisinage de zéro (voire négatifs).
Cette politique de la BCE a permis d'engendrer une baisse bénéfique du taux de change de la monnaie unique européenne, qui avait atteint un niveau exorbitant vis-à-vis du reste du monde. Cependant, l'euro demeure un échec cuisant, en raison des disparités structurelles entre les pays de la zone : d'une part, la divergence chronique d'évolution des prix intérieurs, qui reflète la diversité socioculturelle des pays ; d'autre part, la différence d'efficacité et de spécialisation sectorielle entre leurs systèmes productifs.
Une réforme Allais
Partout, la question centrale est de savoir comment sortir de l'impasse dans laquelle tous les pays sont engagés. Dans l'ensemble du monde, la seule solution serait d'appliquer une véritable réforme monétaire, telle qu'elle a été préconisée par Maurice Allais, prix Nobel d'économie, et proposée sous des formes diverses par des ténors de la science économique. Cette réforme est, dans son principe, une « vieille idée », mais elle n'a jamais été autant d'actualité.
Dans la formulation présente, la création monétaire serait le fait de la seule Banque centrale, tandis que les « banques universelles » seraient scindées en trois catégories d'établissements strictement indépendants :
- des compagnies de services monétaires, n'ayant à leur passif que des dépôts à vue, et à leur actif que des créances sur la Banque centrale (billets en circulation et monnaie électronique émise par celle-ci)
- des banques de crédit, qui récolteraient les dépôts d'épargne à différents termes pour les replacer sur des échéances légèrement inférieures, sans effectuer de « transformation »
- des banques de marché
La Banque centrale aurait à son passif les billets en circulation, la monnaie électronique, et le compte du Trésor public, à son actif les avoirs et titres, ainsi que les créances sur les compagnies de services monétaires. Les dépôts de nature monétaire seraient complètement couverts par de la monnaie de base et circuleraient comme par le passé, la monnaie électronique circulant comme la monnaie fiduciaire, et les agents économiques effectueraient toutes leurs opérations comme par le passé.
Retour au franc
Dans le cas de la France, cette réforme permettrait de retrouver la souveraineté monétaire, confisquée par la Banque centrale européenne et les banques privées. Le franc français serait recréé, cependant que la monnaie unique serait remplacée par une monnaie commune, unité de compte équivalente à l'ancien écu. La dette souveraine de l'État français, émise pour 97 % en droit français, serait convertie en notre nouvelle monnaie nationale, selon le principe de la lex monetae, puisqu'en vertu du droit international, chaque pays a droit à sa souveraineté monétaire.
Au lieu de recourir à la finance internationale, tout nouveau déficit budgétaire serait financé monétairement sans aucune inflation, par la mise à disposition des ressources résultant de l'augmentation souhaitée de la masse monétaire en circulation. Ce serait la seule voie d'injection monétaire, la source bancaire étant tarie du fait de la réforme.
Pour être crédible, et afin d'éviter toute dérive démagogique, le principe d'indépendance de la Banque de France serait affiché clairement, dans le cadre d'un mandat assurant une croissance raisonnable de l'offre de monnaie (taux annuel de l'ordre de 4% à 5%, correspondant à l'augmentation du volume de production et d'une hausse modérée des prix).
La France donnerait ainsi au reste du monde un exemple novateur, qui serait rapidement imité ensuite par de nombreux pays. Au slogan creux de François Hollande (« Mon adversaire, c'est la finance »), on proposerait un slogan plus rassembleur : (« nationalisons la monnaie et pas les banques »), pour faire de la monnaie ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : un bien commun.
Christian Gomez est économiste et ancien banquier d'investissement.
Gérard Lafay est professeur émérite d'économie à l'université Panthéon-Assas