PARIS,[DECRYPTAGE/analyse] — Adoptée en avril 2001, la loi sur la légalisation de l'euthanasie est entrée en vigueur le 1er avril aux Pays-Bas. Les médecins pourront pratiquer l'euthanasie sans risque de poursuites judiciaires s'ils respectent certains "critères de minutie".

Le patient doit avoir fait une demande claire d'euthanasie et être atteint de souffrances incurables et insupportables. Le médecin doit ensuite solliciter l'avis d'un confrère indépendant avant de procéder à l'acte. Toutes les demandes seront transmises à des commissions, composées d'un juriste, d'un médecin et d'un spécialiste en éthique, qui vérifieront le respect des critères de minutie. En cas de non-respect, le dossier sera transmis à la justice et le médecin passible de poursuites. Le texte codifie en fait une pratique qui bénéficie dans les faits d'une "tolérance" depuis 1997 sous certaines conditions. En 2000, 2.113 cas d'euthanasie ont été notifiés dont plus de 1.800 concernaient des malades atteints de cancer en phase terminale.

Dominique Quinio, rappelle dans le journal La Croix qu'il serait faux de penser que l'euthanasie remédie à toutes les interrogations de l'homme face à la mort. Pour l'éditorialiste, " rendre le passage moins douloureux pour ceux qui partent comme pour ceux qui restent " tel doit être notre combat.

Ce débat à été l'occasion de réfléchir au développement des soins palliatifs. Aux Pays-Bas, il a été constaté que le développement de ces soins s'accompagne d'une diminution des demandes d'euthanasie. Les unités de soins palliatifs se multiplient dans les hôpitaux et les projets de formation connaissent un énorme succès auprès des médecins. Alors que la nouvelle loi est souvent perçue par les patients comme leur donnant un droit à l'euthanasie, les médecins rappellent qu'ils doivent d'abord proposer toutes les solutions thérapeutiques possibles.

En Europe, seuls les Pays-Bas ont dépénalisé l'euthanasie mais quelques pays tolèrent le suicide assisté et l'abstention thérapeutique si le patient le demande. La Belgique pourrait être le deuxième pays à l'autoriser. Aux États-Unis, la loi fédérale interdit l'euthanasie et seul l'Oregon possède une loi autorisant le suicide assisté.

En France, l'euthanasie reste un meurtre passible de trente ans de réclusion mais de nombreux débats sont actuellement en cours pour dépénaliser partiellement l'euthanasie. Le ministre délégué à la Santé Bernard Kouchner a annoncé pour le 16 avril la soumission à une vingtaine de personnalités d'une déclaration de principe sur l'euthanasie, en préalable à une modification législative. Son argumentation s'inspire de la logique hollandaise : priorité aux soins palliatifs, scandale de la clandestinité de " l'extrême compassion " et conditions sévères à " l'interruption de vie ". Ces dernières ayant pour objet essentiel de s'assurer la volonté du patient. Pour le ministre, le " respect de ces engagements sera la garantie pour nos concitoyens qu'ils peuvent, en situation extrême continuer d'avoir pleinement confiance en la médecine. " Bernard Kouchner ne précise cependant pas dans quels cas ces demandes d'euthanasies seraient recevables.

On sait malheureusement ce que ce type de propositions, au nom du " débat ", signifie le plus souvent : des occasions de banaliser l'interdit moral au nom du pluralisme d'opinion et du progrès social.

L'idée n'est pas neuve. Deux scientifiques, Klaudia Schank et Michel Schooyans (1), viennent de faire paraître la traduction intégrale d'un ouvrage publié en 1922 à Leipzig que l'on peut considérer comme la pièce maîtresse de la progression de l'euthanasie en Occident au XXe siècle : La libéralisation de la destruction d'une vie qui ne vaut pas d'être vécue (Sarment) (2). Les auteurs de cet essai, Binding (juriste) et Hoche (médecin), sont inconnus du public de langue française. Pour leurs traducteurs, " ils font pourtant partie des hommes qui ont influencé le plus profondément le cours du siècle précédent ". Renommés dans les milieux universitaires allemands de l'époque, Binding et Hoche exposèrent dans leur ouvrage la justification juridique et médicale de l'euthanasie, qui conforta le IIIe Reich dans l'établissement de la solution finale et son horreur absolue.

Cette petite étude, très facile d'accès, est fondamentale pour comprendre les enjeux des débats bioéthiques contemporains. Une grande partie de l'argumentation des partisans actuels de l'euthanasie est absolument similaire à celle développée par Binding et Hoche. Connaissant les conséquences historiques terrifiantes de ces idées eugénistes, l'homme du XXIe siècle ne doit-il pas s'interroger de toute urgence ? Une société qui se dit démocratique peut-elle, sans se renier, admettre que la vie de certaines catégories d'êtres humains ne mérite pas la protection pénale et, par conséquent, qu'elle pourrait être détruite ? N'introduit-on pas là un principe de discrimination qui pourrait être étendu à d'autres catégories d'êtres humains et en "libéraliserait" la destruction ? Ce document démontre à merveille les conséquences tragiques auxquelles aboutit l'argumentation éthico-juridique de Binding et Hoche : une argumentation qui occulte son caractère inhumain derrière des considérations pseudo-scientifiques à connotations eugéniques et économiques.

Binding et Hoche nous invitent ainsi à nous poser des questions essentielles : n'est-ce pas au nom de la recherche scientifique et de l'utilité économique que l'on conteste l'égale dignité de tout être humain ? Cette relativisation de la valeur de tout être humain n'a-t-elle pas pour objectif d'adapter la morale et le droit aux convenances de la recherche scientifique, voire du marché ? Derrière son caractère "progressiste", le discours permissif de Binding et de Hoche cache un archaïsme dont la résurgence pourrait échapper à notre contrôle.

Une perspective que développe avec rigueur et clarté le professeur Lucien Israël (3) dans Les Dangers de l'euthanasie (Éditions des Syrtes, mars 2002).

Décryptage, avec www.généthique.org

(1) Klaudia Schank, licenciée en droit et en relations internationales, sensibilisée aux questions fondamentales des droits de l'homme, est la meilleure spécialiste des problèmes juridiques posés par la médecine au XXe siècle en Allemagne.

Michel Schooyans, professeur émérite à l'université de Louvain, a enseigné la philosophie politique et les idéologies contemporaines. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages traduits en plusieurs langues (dont La Face cachée de l'ONU, le Sarment, 2000), il est membre de l'Académie pontificale des sciences sociales (Rome), du Population Research Institute (Washington), de l'Institut de démographie politique (Paris).

(2) Euthanasie, le dossier Binding et Hoche est encore indisponible sur notre partenaire Amazon.

(3) Lucien Israël, de l'Institut, président du conseil scientifique de la Fondation Jérôme-Lejeune. Livre encore indisponible.